In memoriam
Il est des jours
où l’on est foncièrement découragé. Le spleen despotique, atroce, dont parle
Baudelaire plante sur nos crânes son drapeau noir.
Début janvier, deuxième-troisième
semaine, depuis des années, je recevais assidûment le retour de vœux de mon
maître et ami Paco Hernández. Une collègue proche m’apprend hier qu’il est mort
la veille de l’épiphanie ! Claudio Magris a écrit que « celui qui a
eu son jour », comme dit le roi Lear, a senti, au moins une fois, la
grandeur et la signification de son existence. Grâce à lui, moi aussi j’ai eu
mon jour (inoubliable soutenance de thèse en présence de Claude Simon !) et j’en
ai conservé le souvenir, avec la même objectivité reconnaissante « qu’on
contemple l’étendue d’un paysage ».
* * *
Galette des rois et fèves indésirables
J’ai supprimé de Facebook-Twitter les traces d’une
longue liste d’indésirables. Libéré, en principe, de l’obligation sociale de la
politesse, je ressens la simple apparition même involontaire du nom ou de la gueule d’un de ces « contacts » pire que la piqûre d’une tarentule : immobilisation rigide des
membres, catatonie, aboulie intense ...
Remémorer mes liaisons ("amis") indépendantes de toute hiérarchie devient une forme
de guérison qui fait retourner la force mystérieuse de l’imagination en lui
donnant libre cours. Et de bons souvenirs viennent se greffer sur l’effet
dévastateur de l’image d’épouvante du pignouf ou la pétasse entraperçus en
ligne qui m’avaient fait flotter in statu
moriendi …
Retour donc au combat, conscient que, dans le théâtre permanent
et public de la vie sociale, l’état maladif de défaite ne bénéficie pas du
statut ambivalent de crainte-respect mais relève uniquement de la pitié.
Récupération immédiate, donc, par le seul exorcisme de penser aux gens qui m’aiment
bien, de l’efficacité symbolique du sarcasme en pagaille …
* * *
Le drapeau noir flotte sur la marmite
Nous vivons dans
un tourbillon de transformations où les idées passent d’un camp à un autre dans
un tremblement incessant. Tout change et tout fluctue dans nos cieux traversés
par des drones et des satellites. Mais la figure grimaçante de la mort est
toujours là. Notre « vie » ne dépasse pas quelques années. Le poison
communautaire nous est inoculé dès la naissance. L’individu doit immédiatement
accomplir les rites bénéfiques d’orientation de son énergie vers l’activité,
payant de son existence, à la fin, pour cette irruption qu’il n'a pas demandée,
au sein des humains.
Fatigue des pratiques
sociales : apprendre, apprendre à plaire, à séduire pour réussir, à
contrefaire subtilement l’adversaire pour mieux s’en débarrasser … Catharsis de
groupe qu’on appellera cohésion sociale par les détenteurs des pouvoirs
(gérants des calendriers de l’existence des autres, figée à dates fixes !)
et des solides béquilles du respect et de la crainte. Et le meilleur remède qu’on
ai inventé contre le respect et la crainte, c’est encore l’écriture !
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