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jeudi 1 novembre 2018

Pertes et oublis dans les brumes d'automne





Une manipulation malhabile des messages Gmail m’a fait en éliminer des dizaines soigneusement conservés depuis des années. Des échanges avec des amies que j’aime toujours bien ou qu’il m’avait été donné d’aimer et avec qui, pour des raisons diverses, j’avais interrompu tout contact… De ISU, tout volatilisé ! Élève d’une rare conscience professionnelle, déjà adulte et vaccinée comme on dit. Elle avait traversé pas mal de tornades dans sa vie. Sa licence en poche, par le plus grand des hasards, on a partagé le même bureau de la fac de lettres. Elle était contente ! Elle assurait des cours de littérature et se projetait dans un avenir prometteur. Comme elle était incapable de garder la langue dans sa poche, elle a rapidement été la victime de la hargne stupide d’une bigote qui dirigeait (?) le département sous la tutelle d’un savant cyclotymique qui se prenait pour l’incarnation vivante du talent et du génie, victime lui-même dans le passé du tandem de mégères qui faisaient et défaisaient à leur guise dans le pathétique panier de crabes qu’elles croyaient centre de l’univers… Lors d’une saisie de notes de devoirs corrigés, elle a eu des problèmes de connexion : mot de passe incorrect à plusieurs reprises. Du coup, elle apprend que l’arrêt de travail pour maladie du despote libertaire dont elle assurait le remplacement a brusquement pris fin sans préavis et sans qu’on se donne la peine de lui souffler le moindre mot. Gentils, à la direction collégiale du département : petits dans la conduite des affaires courantes, très très grands, de vrais géants, immenses, dans la bassesse…
Perdue également, l’intégralité des textes échangés avec NB. J'écarte toute possibilité de renouer le contact avec elle, pour récupérer l’essentiel. Elle a changé d’amitiés et sans doute d’alliances, ce qui libère de la besogne de la gratitude. Soutenance oblige et, je comprends, c’est son droit. On n’a pas à le discuter. Du coup, son estime envers moi, témoignée à plusieurs reprises, s’est rétrécie : l’intelligence correcte de sa situation actuelle n’a plus besoin d’émotions percées des flèches du souvenir… Un jour, j’avais cru mériter sa confiance, je sais pertinemment en tapant ces lignes que je n’ai ni sa confiance ni son cœur. « L’on peut, écrivait l’auteur des Caractères, avoir la confiance de quelqu’un sans en avoir le cœur : celui qui a le cœur n’a pas besoin de révélations ou de confiance ; tout lui est ouvert. »
Mais là où je me vois, atterré, comme dans un jardin dans lequel on aurait abattu les plus beaux arbres, juste ceux qui faisaient partie de ma mémoire et qui dépolluaient – à chaque relecture – des parties de mon chagrin, c’est dans le vide laissé par la disparition des messages, lettres, missives, courriers de FAR. Amie des années de jeunesse, toujours prête à rendre service. Collègue, tant d’années après, dotée d’une incroyable capacité de respect, dans la mare pourrie de notre métier, frappé de la condamnation éternelle de la haine d’autrui. Longtemps attachée à l’œuvre et à la personne du poète A. Pardo (aristocratie du cœur !), elle m’adressait il y a quelques mois des mots de remerciement pour avoir restitué en espagnol comestible un article écrit en basque ressuscitant les vertus originelles de son travail poétique, après l’attribution d’un prix important. La tentation était grande de croire aux figures imaginaires des qualités qu’elle m’y attribuait.
Désormais, je devrais m'infliger la pénitence de restituer de mémoire les expressions d’affection de chaque mail perdu… s’impose alors, la phrase d’Yves Bonnefoy : « Il n’y a pas de passé dans ce moment qui s’achève. »