J'aime

jeudi 27 juillet 2023

Le retour des beaux jours...


Mon bureau est tapissé de livres escortés de mille et un bibelots et de quelques cavaliers de plomb montant la garde, infatigables. Peu de plantes, excepté côté sud, sur le solarium. Mon nouveau loisir, j'espère qu'il me durera des mois : changer régulièrement l’emplacement de certains volumes, de vieux dictionnaires dont personne n’en veut lorsque j’essaie de faire place nette pour de nouvelles pléiades. Quand je me lance dans ce type d'activité, j'ai tendance à y investir un peu trop de mon temps, façon de procrastiner, de fuir la réalité, en l'occurrence la longue période en perspective avant de voir formé un nouveau gouvernement pour ce pays surréaliste. Je reprends le contact par courriel avec d’anciennes collègues, très proches et très chères, de la fac. Je n'arrive pas à préparer mes longues réponses d’avant, bien fignolées et pleines de lyrisme amical. J’ai un peu la flegme et la fatigue des derniers mois passés dans l’angoisse et qui revient chaque fois que ma sœur me donne des nouvelles de sa fille aînée, atteinte d’un cancer au poumon. Espérons que début août j'aurais réussi à mettre un bémol à pondre quelques alarmes, en compagnie de ma petite fille. En attendant, je me jette à corps perdu dans le téléchargement de gros livres oubliés, marginaux ou carrément interdits pour me faire un stock de trucs respirables, la nuit, jusqu’à la rentrée. Je (re)fais pour le moment des projets de voyage avec R. si son cardiologue lui donne le feu vert. J'ai pu ainsi feuilleter tranquillement des brochures d’une agence top niveau, qu’on connaît déjà d’avant la pandémie, proposant des visites à Naples, Pompéi et Herculanum pour la rentrée. On verra bien si on peut toujours récidiver, comme avant le grand tsunami de la santé. R. fait chaque jour une cuisine toute simple, délicieuse, basique, dont je raffole. Notre petite fille saura, elle aussi, s’en régaler les semaines à venir. Personnellement, à défaut de ne rien foutre d’intéressant, autant essayer malgré tout de faire quelque chose de positif, de joli, pour ma santé mentale : des petits articulets pour le blog. Cela me permettra de me forcer à lire ou à relire des articles grapillés çà et là avec le sentiment de revêtir un vêtement pas encore ajusté à ma taille : critique de l’actualité. La modifiant, le reprisant jusqu'à ce que je sois à l'aise dedans...



***


mardi 25 juillet 2023

Des lendemains qui déchantent



Ce n’est pas moi qui me plaindrais de la douceur qui règne à Irun alors qu’il est tant d’endroits où l’on est victime d’une chaleur infernale. Aussi, je me satisfais du ciel gris et de la pluie qui sont d’actualité ce lundi postélectoral. Un peu de pluie au réveil, qui a cessé à l’heure où je tape ces lignes mais qui nous a complètement trempés, ma femme et moi, en direction du cabinet médical lorsqu’il s’est mis à pleuvoir à torrents quelques minutes. Ce mois de juillet à Irun, c’est ville en fête et des touristes français partout. J’en côtoie quelques-uns quand je prends une bière à la Vinothèque ou au Casino. Ils ne sont pas moins bavards que les locaux. Je cherche des bouts de phrases pour déguster en silence. Le plus souvent, c’est des discussions creuses ponctuées de propos ordinaires ou de rires polis. Pas de quoi me détourner d’une longue conversation avec R. Exemple de discussion de café :
-Je voulais aller au cinéma mais j’ai pas trouvé le temps.
-Pour voir quoi ?
-Bah, je sais pas, Oppenheimer ou Barbie ...
J'aimerais être indifférent, vu le résultat des élections, à cette disparition annoncée d’un monde imaginé qui mine de l'intérieur presque tous nos espoirs, nos énonciations à propos d’un avenir meilleur, d’une politique propre, qui les rend si éphémères et si précaires, qui rend nos calculs faux, nos phrases incertaines, fragiles. Le spectre d’un éclatement définitif de la nation revient sans cesse me déloger de moi-même, aux moments où je m'y attends le moins. Écrire pour saluer une victoire sur le fascisme serait sans doute plus facile mais cela n'aurait plus aucun intérêt : "no pasarán", vociféraient quelques crétins hier encore… Oh que si ! Ils sont passés, juste au moment où il aurait fallu qu’ils ne passassent pas, mais le culte stupide du slogan creux et honteux, vu sa cohérence historique, semble inguérissable. Je suis plus vieux que mon père aujourd'hui mais je suis toujours plus jeune que ma mère, bien qu'elle soit morte il y a vingt-quatre ans. Qu’en penseraient-ils de nos générations de dégénérés ? La vie, ce n'est pas ce qu'on a vécu, mais ce dont on se souvient, dit Gabriel Garcia Marquez. Quand nous perdons la mémoire, est-ce que nous perdons tout ? Je refuse de répondre par l'affirmative, je ne peux m'y résoudre, mais je n'ai pas suffisamment de mémoire pour être sûr de ne jamais avoir affirmé le contraire. Chaque sale discours de basse politique politicienne de ces jours semble signer la fin des récoltes sur une terre où plus rien ne poussera. On ne parvient à penser dans des moments pareils que par indifférence à ces phénomènes. C'est sous la plume d’un écrivain roumain philosophe que je lis ça à l’instant, et c'est comme si la coïncidence des pensées, aussi éloignée semble-t-elle, marquait le présent d'une lumière inattendue… Voilà devant nous un futur proche qui promet à la nouvelle coalition frankenstein des lendemains qui déchantent, tant ses membres ne sont d'accord sur rien tout en étant d’accord pour s’agripper au pouvoir...



samedi 22 juillet 2023

S'il pleut à la Sainte-Brigitte, il pleuvra six jours de suite.

 

Pour l’édification des générations du futur. Et des actuelles… quand on pense à tant d’ « atrocités » documentées sur mesure...



https://rarehistoricalphotos.com/weeping-frenchman-1940/

Non, malgré les apparences, ce monsieur ne pleure pas, inconsolable à côté d’une femme qui applaudit, bien sereine, elle, au passage des troupes allemandes dans les Champs Elysées à Paris après l’armistice en juin 1940. Erreur ! Monsieur Jérôme Barzetti fond en larmes, en septembre 1940, à Marseille, au passage des troupes françaises embarquant pour l’Afrique. Ces images, la revue LIFE (édition du 3 mars 1941 ; le « créatif » Franz Capra ?) s’en est servie, en tant que propagandiste alliée, pour les insérer dans un autre flot d’images illustrant l’entrée de la Wehrmacht à Paris. Les centaines de légendes concernant cette photo et glosant l’émotion, le courage, l’impuissance de ce citoyen exemplaire, etc. ne sont que du pipeau.                                                                    ---


Non, Robert Capa n’a pas capté juste le moment de la mort d’un milicien en 1936. Il y a eu « interprétation ». Si vous avez le temps, l’envie et la curiosité, visitez :

EastRiver: MUERTE DE UN MILICIANO (1/5): HISTORIA DE UNA FOTOGRAFÍA MÍTICA (ramoneastriver.blogspot.com)

Fotorreporteros de guerra (2): Robert Capa - MiquelPellicer.com

La verdad sobre Robert Capa | El Diario Vasco

Et, par la même occasion :

Juan Antonio Ríos Carratalá, La mirada del documental. Memoria e imposturas, Publicaciones de la Universidad de Alicante, 2014 (ISBN 978-84-9717-335-3, pp. 49-60);

José Manuel Susperregui Echeveste, Sombras de la fotografía, EHU/UPV Servicio Editorial, 2009 (ISBN 978-84-9860-230-2)

***

Les États-Unis ont livré des bombes à fragmentation à l'Ukraine. La dynamique et l'intensité de la lutte n'en seront pas modifiées pour autant. Ces bombes ne changeront pas l'issue de la guerre, qui se joue à un autre niveau, où l'OTAN a déjà échoué. Ce niveau est celui de la guerre électronique, dans laquelle les Russes ont démontré depuis le 4 juin leur capacité à brouiller les systèmes de communication, de commandement et de contrôle, les systèmes de défense aérienne occidentaux et les radars de combat de contre-batterie. Les militaires de l'OTAN ont eu la mauvaise surprise de constater que leurs systèmes « hors pair » basés sur les séries Motorola DP1400 et 4000, d’un design élégant et d’un poids de 200 gr., étaient inutiles. Dans les 10 minutes qui ont suivi le lancement de la « contre-offensive », les forces armées ukrainiennes étaient devenues sourdes. D'après les résultats, il semble que la communication dans les unités russes ait fonctionné de manière assez satisfaisante avec leurs lourdes boîtes d’un 1,2 kg. Ils ont également été surpris que les essaims de drones préparés pour le soutien n'aient pas décollé et que ceux qui l'ont fait soient allés n'importe où. La surprise a suivi lorsque les radars russes ont détecté l’endroit de lancement de ces drones et ont fait exploser les positions dans lesquelles ils étaient stockés. Et la plus grande frayeur lorsque les véhicules blindés ukrainiens ont été traqués par des hélicoptères russes au milieu de la nuit et que d'autres ont été détruits soit par des mines, soit par des embuscades de drones nomades ou par d'autres armes que personne ne connaît. Pour ajouter au sarcasme, les défenses aériennes de l'OTAN couvrant l'opération n'ont pas fonctionné du tout, et les hélicoptères et les avions d'assaut russes ont opéré sans pertes. Les soldats ukrainiens croyaient qu'ils avaient un avantage : les systèmes OTAN de vision nocturne. Mais il s'avère que les soldats russes avaient eux aussi une vision nocturne, d’une égale ou meilleure qualité. Mais le plus dur a été de réaliser que le renseignement russe en savait autant ou plus que celui de l'OTAN. Ils avaient convaincu l'armée ukrainienne qu’ils étaient les seuls à avoir des satellites de reconnaissance, des drones stratégiques qui voient tout, qu’ils étaient les seuls, eux uniquement, à écouter tout le monde secrètement, mais... il s'avère que les Russes ont attaqué la plupart des lieux de stockage et de concentration des troupes des forces armées ukrainiennes à l'arrière. On pourrait, si ça se trouve, parler de l'entraînement de l'OTAN pour former des chasseurs de combat, mais ce serait humiliant à l'excès. Après deux semaines d'attaques de ce type, l’armée ukrainienne n'a pas réussi à pénétrer dans la zone de sécurité russe et a subi de lourdes pertes en équipement et en effectifs. Après, l'armée ukrainienne et ses conseillers de l'OTAN ont changé de tactique. Maintenant, ils attaquent constamment les positions russes par de petits groupes tactiques d'infanterie sans soutien blindé. Ce qui, évidemment, provoque la mort de soldats ce dont les dirigeants ne semblent pas se soucier outre-mesure. On dit de gros mensonges au peuple ukrainien. Les forces armées ukrainiennes utilisent actuellement des tactiques de « hachoir à viande » en raison du coût trop élevé de l'équipement occidental. Ils pensent ainsi affaiblir l'ennemi et en profiter pour faire quelque chose de « sérieux » le plus vite possible.
Plus de renseignements utiles: https://t.me/s/russiejournal?before=18380

***


Qu'en sera-t-il encore de l’Espagne, de son « image interprétée », comme les photos ci-dessus, après les élections, juste demain  ? Il vaudra mieux regarder ailleurs. Je suis lâche, sans doute, mais je sais qu'il ne me reste que peu d'années à vivre, et le paradis des images du passé me tend les bras, content devant mes difficultés à imaginer l’avenir. Ils se débrouilleront très bien sans nous, les nouveaux-venus. On ne perdra pas notre temps à les déranger. On a essayé de leur parler, on a essayé de se faire comprendre d'eux, et l'on a dû se rendre à l'évidence. C'est impossible. Le monde yankisé, wokisé à fond, qui s'avance et qui s'impose ne laisse aucune place au doute : il proclame notre défaite en tant que société « normale » en hurlant la culture de l’effacement partout et nos paroles n'ont aucune chance d'être entendues. Les livres nous tombent sur la figure et se referment sur nous. Ça me fout la déprime petit à petit. Je vois la grande terrasse aux plantes, côté nord, et le petit coin de jardin, côté sud de la maison, qui nous séparent du monde hostile qui frappe déjà à nos portes. Je vois le grand pré submergé par l’avancée de la brousse jusqu’aux pieds de notre haie et de l'autre côté, les chemins qui communiquent les métairies avec leurs vaches, leurs arbres et, un peu plus en bas, l’autoroute. Un jour proche, ils commenceront à niveler les terrains en vue d’y construire un stade d’athlétisme et des pistes omnisports. Il n'y aura plus rien entre notre havre de paix actuel et le ciment. On a acheté la maison en 2002, c'était le paradis. M. était déjà partie vivre sa vie mais venait très souvent avec N. À la maison, on parlait de littérature, de politique du goût des vins transfrontaliers et des projets des uns et des autres. Cela ne heurtait personne. Nous avions nos rituels et nos détestations. On pouvait disparaître à l’intérieur de la maison comme on pénètre dans la forêt vierge. Et les barbecues et les sorties dans des cidreries et, de temps en temps, des dîners entre amis. Il n’y avait rien de meilleur. Il faut cultiver les amitiés fidèles, il faut les préserver au fil du temps : ça ne s'achète pas. Après la pandémie, les deux versants de la frontière sont tuméfiés. Ils ont pris tellement de coups qu'on ne les reconnaît pas plus que les paysages. Où que se pose le regard, on voit des hématomes et des plaies, des champs et des rivières saccagées, des bâtisses défigurées, enseignes et pubs éteintes, portes de magasins fermées et, surtout côté français des scénarios de guerre civile. On voit bien que quelqu'un s'est acharné contre nos sociétés avec une brutalité qui étonne. Et cela s'est fait en plein jour, sous une joie mauvaise. Nos tortionnaires ont les dents blanches des bonnes intentions et le jarret musclé du tchékiste. Nous sommes encore quelques-uns dont la mémoire n'a pas été complètement formatée. Tout notre malheur vient de là. La réinitialisation n'a pas fonctionné, pas vraiment. Nous portons nos derniers souvenirs comme des lépreux exhibant leurs bandages. Ils nous signalent de loin, c'est une odeur qui nous colle à la peau, c'est un stigmate indélébile. Le vent de l'Histoire nous avait relativement épargnés mais il a fait de nous des naufragés inconsolables. J'ai cru un temps que la lecture allait me sauver. Elle m'a au contraire précipité dans l'œil du cyclone. Elle m'a tant appris que je suis devenu trop obscur pour me comprendre, trop fidèle pour les aventures d'un enthousiasme électoral passager ou pour des utopies stupidement criminelles qui tentent toujours les plus obtus de chaque génération. Nous n'avons plus soif d'une indépendance et encore moins d’un fumeux socialisme, mais d'un jardin, de conversations libres entre amis, des voisins bienveillants et de parfums de paix. Besoin que les nuits d'été nous apportent de loin la rumeur du monde. Besoin des conquêtes simples et aimables, privées, qui nous arrangeraient comme on s'arrange entre compères de vieille date, dans un jeu aux règles souples et changeantes. Mais ces ô combien modestes vœux s’avèrent non-négociables aux yeux des agents du mondialisme farfelu et des écologistes poitrinaires. Il y a trop de calme, trop de sérénité, pour eux, de désinvolture. Et il faut tout effacer ! À commencer, les grammaires heureuses de la connaissance et de la délicatesse et le silence, qui permet à la langue autogérée de se faufiler entre les jambes de la radicale soldatesque inclusiviste. Pourquoi avons-nous choisi la défaite devant le malheur ? La vie semble nous avoir désertés, comme si elle se tenait tout entière dans nos mémoires, ces mémoires qui nous font honte, ces phrases que l'on saccage, ces pages que l'on arrache, ces films qu’on interdit, cette histoire méprisée et censurée et toutes les limites que la vie avait sagement disposées à l'intérieur de nos vies déjà complexes. Nos blessures et nos folies étaient trop douces, si on les compare au « Bien obligatoire » sans grâce qui partout confond l'homme et l’écrase de son triomphe obscène.

***

J’apprenais à la radio il y a quelques jours la mort de Jane Birkin et c’était, presque comme avec Johnny Hallyday, parti pour les hommages, jusqu’au ridicule, et la diffusion de chansons signées Serge Gainsbourg qu’on se garde bien de faire entendre intégralement, car elles sont aujourd’hui condamnées par le nouvel ordre moral. Depuis quelques années, les journaux s’ingénient à faire le procès de Gainsbourg, la seule à le défendre, nuances et réserves à part, étant sa fille Charlotte. On se gardera bien de montrer les images « cultes » que fit « l’immense compositeur » de sa muse, pour Lui, « le magazine de l’homme moderne », où la filiforme Birkin le se contorsionne nue entre les griffes de son pygmalion. On préfère évoquer celle qu’elle devint ensuite. Le fil de voix de ses chansons érotiques et ses rôles plus ou moins déshabillés dans plusieurs navets ont fait rêver des ados dans les années soixante-neuf à soixante et onze aux salles de cinéma qui font partie de l’histoire. Sinistre monde du showbiz, impeccablement généreux et de gauche, qui feint d'être libéré de tous les préjugés bourgeois et des envies ridicules du people mais dont la vie nous montre qu'il est en réalité régi par des lois de castes aussi impérieuses que celles de la tradition indienne.



***

Simon Leys (Pierre Ryckmans) dans un discours qu'il prononça le 18 novembre 2005, lorsqu'il fut reçu docteur honoris causa de l'Université catholique de Louvain, où il avait fait une partie de ses études, affirmait : « Si l'exigence d'égalité est une noble aspiration dans sa sphère propre – qui est celle de la justice sociale –, l'égalitarisme devient néfaste dans l'ordre de l'esprit, où il n'a aucune place. La démocratie est le seul système politique acceptable, mais précisément elle n'a d'application qu'en politique. Hors de son domaine propre, elle est synonyme de mort : car la vérité n'est pas démocratique, ni l'intelligence, ni la beauté, ni l'amour – ni la grâce de Dieu. […] Une éducation vraiment démocratique est une éducation qui forme des hommes capables de défendre et de maintenir la démocratie en politique ; mais, dans son ordre à elle, qui est celui de la culture, elle est implacablement aristocratique et élitiste. »






samedi 15 juillet 2023

Sur la terre sableuse de juillet

 

Toute comparaison est odieuse, à ce qu’on dit. L’immigration d’il y a quelques années aux vagues déferlantes actuelles, par exemple. Pour les gens de la photo, il fallait ravaler les larmes amères de leur pauvreté en quittant l’Espagne, l’Italie, le Portugal à la recherche d’un avenir meilleur. Ils n’ont pas reçu des aides dont ils avaient cruellement besoin ni des subventions ni créé des mafias pour vivre sur le dos du contribuable. Ils n’ont pas, non plus, attaqué les institutions du pays d’accueil ni voulu lui imposer leurs modes de vie. Bien au contraire, l’intégration représentait pour eux une fierté, une conquête, une victoire durement remportée à force de ténacité et de courage. Grand respect à ces générations qui ont fait don de leurs vies et de leur force de travail « à l’étranger » …

***


Sur la terre sableuse du Champ de Mars, apparaît la Tour Eiffel comme symbole de la modernité et de la technique, comme « temple de la science » dans un ciel vide éclairant les moindres recoins de la capitale (Roland Barthes, La Tour Eiffel). Elle deviendra mythologique grâce à des artistes, des écrivains, des poètes : Apollinaire, Bonnard, Buffet, Chagall, Cocteau, Delaunay, Léon-Paul Fargue, Picasso, etc. La regarder, la visiter deviennent quelque chose d’obligatoire pour chaque visiteur de Paris.

***

Anniversaire de l'assassinat de Miguel-Angel Blanco. Conciliation, réconciliation, mécanismes judiciaires pour les crimes graves. Le « conflit basque » a-t-il été réglé à l’amiable ? La réconciliation aurait été possible si on avait pu restaurer les liens détruits par le crimes, les blessures, les offenses. Les pratiques non-officielles de réconciliation, essentiellement sociales, en marge des cours de justice mais sans être forcément une défaillance de celle-ci, auraient pu conjuguer l’idée de responsabilité collective mais aussi individuelle. La réconciliation (collective), c’est la base, mais pour se mettre en œuvre correctement, il aurait fallu que justice (individuelle) eût été faite et qu’elle bénéficiât d’un climat général d’apaisement. Ce ne pas le cas à l’heure actuelle.

***

Étonnement d’apprendre, à la lecture d’un texte de F. Fanon (Peau noire, masques blancs, Seuil, Paris) l’histoire du garçon de campagne qui revient dans la ferme où il prétend ne pas savoir à quoi sert un outil agricole particulier. La même histoire que j’avais tant de fois, plié de rire, entendu raconter à mon propre père quand j’étais petit. Le paternel du garçon oublieux lui rend miraculeusement la mémoire en lui faisant tomber sur les pieds l’outil en question. Après avoir colonisé des continents, les Européens sont colonisés. Rien n’interdit de penser que le processus de colonisation ne puisse s’étendre à des peuples européens victimes de l’inextinguible rapacité américaine. « Tout peuple colonisé – c’est-à-dire au sein duquel a pris naissance un complexe d’infériorité du fait de la mise au tombeau de l’originalité culturelle locale – se situe vis-à-vis du langage de la nation civilisatrice » (Peau noire, masques blancs,). Le colonisé, dépossédé de sa langue maternelle, souffre de cette dislocation qui ne fait que renforcer son complexe d’infériorité car le colonisateur lui dit en fait que sa langue est sans valeur : l’histoire, la culture et l’origine du colonisé perdent également toute valeur. Sans langage, la nature humaine se réduit à la notion hégélienne de « certitude sensible » sans pouvoir exprimer d’émotions, de passions et d’énergie liée à la vie même. Pour s’intégrer, le colonisé est forcé de renoncer à son identité ancestrale et de revêtir le costume de la société et de la culture auxquelles il souhaite adhérer. Vivre comme des Yankees même si on ne comprend rien à leur monde.

***

Le cas Nahel. Impossibilité d’adhérer au principe marxiste selon lequel une théorie ne peut attirer les masses que lorsqu’elle devient radicale. Pour être radical il faut saisir « la racine de la chose », pour reprendre l’expression de Marx (Critique du droit politique hégélien, Éditions sociales, Paris 1980) selon qui, pour l’homme, la racine c’est l’homme lui-même. Mardi, à l’issue d’une demi-heure de course-poursuite, commencée alors qu’un jeune chauffard récidiviste mais toujours sans permis avait été surpris en train de rouler à vive allure dans un couloir de bus, au volant d’une voiture dont on ne sait d’où elle sort, le pilote s’est fait flinguer par la police. C’est cher payer le refus d’obtempérer, mais enfin on ne peut pas dire que le défunt n’avait pas cherché les ennuis. Dans cette affaire, le président de la république, en se précipitant pour juger le policier « inexcusable » avant même de savoir au juste ce qui s’est passé, et l’abruti milliardaire Mbappé, en qualifiant carrément le malfrat de « petit ange », se sont comportés comme deux irresponsables. Le lendemain la mafia politique, ne ratant jamais une occasion de prendre le parti de la racaille, a fait observer à l’assemblée nationale, s’il vous plait, une minute de silence à la mémoire du hors-la-loi abattu. On n’en fait pas tant, semble-t-il, pour les innocents massacrés chaque semaine par la meute sauvage. Les télévisions ont retransmis les déclarations de la mère et de la grand-mère de l’automobiliste, le dépeignant sans gêne et contre toute vraisemblance comme un gentil petit garçon sans problème.

Aucun regret quant à ses infractions répétées, ni quant à sa très imparfaite éducation. Accessoirement aucune larme, à ce que j’ai pu observer, tout au contraire on a vu la mère, portant déjà un t-shirt à l’effigie de son lardon, pérorer sur un camion et une motocyclette. Et bien sûr dans les jours et surtout les nuits qui ont suivi, les hordes de banlieue, déjà très indisciplinées en temps ordinaire, et ne se sentant plus pisser dès qu’un tel prétexte leur est fourni, ont fait régner toute la sauvagerie dont on les sait capables. La horde d’en bas est l'alliée objective de la horde d’en haut dans une guerre contre la population qui les arrange bien : à la peur générée par les bandes déchaînées succédera comme on commence à en avoir l’habitude, des restrictions de libertés. D’un autre côté, les dirigeants sont incapables de ramener le calme. Aucun n’a dit à propos du drame de Nanterre qu’il s’agissait d’une situation confuse au terme d’une course-poursuite dangereuse et que la justice essayait de débrouiller les faits. Les journaux parlent d’un simple contrôle routier, comme les faux-barrages mis en place en Algérie dans les années 90 par des pillards islamistes, sans doute. Le président a parlé de geste inexplicable, ce qui a pour effet de signifier « ne cherchez pas à comprendre, indignez-vous sous le coup de l’émotion », ou bien encore « si vous avez une idée, nous les autorités, on n’en a pas et on n’en reconnaîtra pas, donc soyez bien furieux ». Bingo. Je ne dis pas que ça aurait tout changé, mais l’une des caractéristiques des troubles est qu’ils s’apaisent quand les gens sentent non seulement un pouvoir, mais une volonté déterminée en face d’eux. Il n’y a plus ni l’un, ni l’autre.

***

Que peut-on faire quand on a été professeur de philologie française dans une université de « l'État espagnol » et que tout semble vouloir s’évanouir autour de soi, que votre femme, que vous aimez le plus au monde et pour laquelle vous vous faites en permanence du souci – infirmière dévouée avec une « clientèle » fidèle et admirative : saluée partout dès qu’elle met les pieds dans la rue ! –  a donc dû se résoudre à passer en salle d’opération à deux reprises en moins d’un an, que vos enfants, dans la course accélérée de leurs vies, semblent au bord de verser définitivement dans le progressisme optimiste, la forme même du temps, que votre petite-fille pense, évolue et réfléchit exactement comme une adulte, que le fisc vous harcèle, qu’un Monsieur Feijoo est sur le point de battre à l'élection qui s'annonce dans une semaine un chef du rayon vêtements de chez LIDL qui s’était trompé de lieu, pathétique pantin gonflé de suffisance, que votre entourage professionnel disparaît sans faire du bruit, que vous avez renoncé à consulter l’immonde presse quotidienne à la vitesse habituelle et à ouvrir votre courrier, sachant trop bien ce qu'il contient de pénible ? Que peut-on faire, disais-je ? Rien. Si ce n’est se résigner à écluser jours après jour, seul ou accompagné d’autres coureurs de fond, quelques verres de blanc ou de rouge. Quitte à refaire le monde avec vos connaissances nulles et laisser l’opinion gober les conneries dont elle raffole. Eh bien, quand la vie change à ce rythme, il n’y a comme issue que la lucidité : franchir vite fait les frontières de Baskoland et foncer vers les chaudes plages méditerranéennes pour y jouir du lever du soleil. Et, une fois rénové de fond en comble un appartement qui était presque aussi fragilisé que votre existence, s'y installer dans le but hautement affirmé de lire à perte de souffle des auteurs oubliés et d'écrire des billets anodins que presque personne ne lira et que le monde entier n‘attendait point de vous.

***

 

 

 

 

jeudi 6 juillet 2023

Fugiendo Vincimus ...

Notes du 5 juillet. Le ciel est bleu foncé. Très bleu en haut, avec une mince bande nuageuse le long de l’horizon, loin derrière les montagnes, côté nord, d’un gris liquide de mercure bleuté, zébré ça et là de légères cicatrices de nuages blancs. Le jour commence à se lever, pas encore de soleil. Notre voyage à Alicante sera si bref ! Juste le procès verbal de réception des travaux de l’appartement, rue Melva. La lumière sur la mer a uni le ciel, dans un dégradé de bleu poussiéreux. J’ai peu dormi, de 5h à 6h30. De nouveau, le bonheur d’être seul avec ma petite Rosa. Notre relation particulière depuis 50 ans ! Les relations humaines ne peuvent être autres que particulières. Les gens qui s’en étonneraient, j’en viens à croire qu’ils n’ont aucune relation. Je m’approche de la cuisine et j’entends de la musique d’il ya longtemps. Le temps transmué en sons. Douceur infinie du souvenir. Naissance, demain, de notre petite M. Elle a commencé sa traversée de l’éternité avec nous en 1979. Nos trajectoires sont là, marquées quelque part, discrètes, silencieuses. Bienheureux voyageurs à travers le calendrier ! Qu’en sera-t-il de nous, loin d’elle depuis longtemps, qui a ses propres nuages à regarder dans le ciel tout de lumière de sa vie. Calme et tourmente. Patience et agitation. Gammes de bleu dans l’après-midi, souvenirs de tant d’années heureuses. Je me demande si elle, avec son expérience des classiques, aurait aimé cette année des épreuves à tant de titres, mon poème improvisé comme un bouquet de fleurs d’un gosse émerveillé à sa maîtresse …