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mardi 5 juin 2018

Philosophie et lettres






Aujourd’hui, les défenseurs de l’enseignement du grec et du latin se croient les plus convaincants quand ils montrent tout ce que notre société doit à l’Antiquité. Mais, ce faisant, ils entrent malgré eux dans le jeu de leurs adversaires. Car, si les classiques ne nous intéressent que parce qu’ils nous ressemblent, autant vaudrait nous intéresser directement à nous-mêmes sans passer par l’intermédiaire des Anciens, et ne lire qu’articles de presse et enquêtes sociologiques, ce qui se fait déjà suffisamment, sans qu’il paraisse utile de renforcer cette pédagogie d’une modernité close sur elle-même par une défense orientée à tort vers les études antiques. En fait, c’est tout l’inverse qu’il faudrait faire : c’est justement parce que les Anciens nous sont foncièrement dissemblables qu’ils méritent d’être lus et étudiés de façon sérieuse. Dans un monde persuadé de vivre sur des soubassements éternels ou qui – c’est la même chose – n’admet que des nouveautés de façade, le philologue est celui qui va y regarder de plus près. 
Ce ne sont plus seulement les œuvres antiques qu’il s’agit alors d’examiner, mais les idéologies et les affects auxquels sont appliquées les règles de constitution du savoir lettré et les mêmes méthodes d’analyse que celles de la philologie : de même que l’helléniste et le latiniste recherchent les sources d’un texte, en traquent les erreurs, en déterminent les bonnes leçons, il convient de retracer la généalogie des valeurs, de débusquer les fausses, les trompeuses, et d’en proposer la rectification… C’est ce moment particulier où la recherche philologique tourne à la philosophie et c’est (ou c’était) aussi et surtout le but même des études de « philosophie et lettres ».