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jeudi 11 mars 2021

Refus de savoir et nécessités de taire.


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Aujourd’hui, je contribue consciencieusement par ma survie à creuser la tombe du système de retraite par répartition après quarante années de service. Me retrouvant inactif alors que je possède toujours un tempérament hyperactif, j’ai constaté que la retraite n’est pas du tout un naufrage. D’où la question ouverte et orthodoxement marxiste-léniniste : Que faire ? Le prof retraité peut devenir un méta-prof, ou prof de profs, ce que j’avais déjà pratiqué en tant que facilitateur / remédiateur dans mon université avec un groupe de travail d’enseignants-chercheurs francophones, toute spécialité confondue. Pourquoi devenir un méta-prof ? Parce que qu’on en a envie, tout simplement. Comment procéder pour devenir un méta-prof ? En partageant des trucs utiles en ligne et surtout en particulier quand on vous sollicite. J’habite toujours dans une villa mitoyenne d’un quartier d’une ville sur la frontière franco-espagnole que je ne nommerai pas. Je ne suis pas divorcé, ce qui ferait chic. Madame est à la retraite comme moi et on a la chance d’habiter relativement proches de nos descendants, côté français. Un clan en vrai béton, tous unis entre comme les doigts de la main et où chaque pièce joue le jeu. Quand je déprime, je me sais porté par ce clan qui est ma plus grande fierté, pas pour l’éventuelle réussite professionnelle des uns ou des autres mais bien pour ce qu’ils sont. Les cerveaux supérieurs pourront toujours ricaner, je me sens aussi accompagné sur ma route par une certaine sensation de la présence divine ce qui ne m’empêche pas de boitiller souvent, vu que ma guibole fides semble quand même être un peu plus courte que ma guibole ratio… Malgré tout, au quotidien, je meuble souvent mon temps d’enfermement pandémique en surfant sur Internet et en lisant. Un quotidien sans histoires qui en vaut bien un autre… Imaginez un type tout ce qui a d’ordinaire, un vrai anonyme de base… N’étant doté d’aucune des options que propose la belle modernité des temps, qu’elles soient de série ou avec supplément, livrées d’origine ou montées après coup… A savoir, prioritairement xénophile, adepte intégriste du culte écolo, fidèle intransigeant des chapelles nostalgiques du paradis stalinien ou de ses avatars…  N’ayant même pas une de ces options plus ou moins gratuites qui sont des plus courantes : union libre, pacs, famille monoparentale ou recomposée… Bref, un citoyen lambda sans le confort idéologique moderne et qui n’éprouve pas le besoin de s’encombrer d’une seule des options ci-dessus pour mener à son goût sa petite vie tranquille dans son monde réel. Comme on en croise sûrement encore beaucoup tous les jours dans la rue. Et qu’on ne remarque pas, tellement ils sont transparents. Au point qu’on n’imagine plus que ça puisse encore exister. Tout juste un spécimen de zoo pour amuser les bobos branchés. Qu’on ne remarque pas parce qu’il n’intéresse a priori personne, notamment les média, et surtout, parce qu’il n’éprouve guère le besoin de se faire remarquer. Lorsqu’il prend l’envie à un tel anonyme de base de se faire remarquer, que les âneries de la grande maison de fous à ciel ouvert qu’est devenue la société est telle qu’il ne peut se retenir de pousser un coup de gueule ou simplement de partir d’un éclat de rire, il remplit alors aux yeux de ses contemporains toutes les conditions requises pour devenir illico l’incarnation parfaite et tant recherchée de l’haineux conservateur, du facho, du méchant différent : la différence, c'est bien mais c'est mal surtout de penser différemment.

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Les falsificateurs de l’Histoire sont des ingénus passionnés. Leur règne est court. Le temps balaye tout cela.

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Qui a donc exterminé le gentil peuple arménien, sans que personne ne bouge ? Il y a toujours des précurseurs.

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L’égalité, c’est un non-sens. Chaque homme à sa place, selon ses mérites, voilà le vœu de tous, y compris des communistes. Toutes les révolutions furent stupides. Il faut attendre qu’elles parviennent, par retouches, à une forme convenable. Je suis déjà converti à un communisme sensé ; je ne le verrai pas (sans regret). Le « capitalisme », de notre temps, c’est un scandale. 

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La postérité, quelle faribole ! Certes, je peux le répéter. Léon Bloy avait une belle verdeur de plume, personne n’en doute ; mais le personnage que la postérité imagine est une fantaisie ; en réalité, homme odieux. J’ai connu, et j’aimais beaucoup celle que l’on peut appeler Mme Léon Bloy, sainte et délicieuse femme, qui avait des yeux admirables. Quand je serai mort, personne ne s’n souviendra, elle n’aura plus d’existence, sous aucune forme, elle qui savait si bien vivre, tout en supportant un malheureux polichinelle.

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Les Sages de Venise, amateurs délicats des libertés permises, maîtres depuis des siècles dans l’art de gouverner et de vivre, ont vu venir un jour des soldats en guenilles qui leur apportaient des leçons sur les droits de l’homme et sur la liberté, et qui les ont asservis.

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L’écrivain est un maudit. Je ne fus inspiré dans mes meilleures pages que par la colère. Ma solitude, je l’ai voulue. Dans la solitude, il n’y a rien. Quelquefois un éclair. D’où vient-il ?

Jacques CHARDONNE, Propos comme ça

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Télé ras-le-bol. Le principe du programme El intermedio est simple. À chaque changement sujet, l’équipe garde le panel des derniers jours, et notamment notre Wyoming préféré qui, en tant que saltimbanque, sait bien sûr tout sur tout, et on donne à bouffer du gibier à une audience qui n’a pas bien compris qu’elle ferait mieux de lire, de se promener ou de se bourrer la gueule au lieu de descendre dans cette fosse aux lions où se font déchirer à belles dents et sans risque les martyrs qui incommodent la sinistre collection de personnages du pouvoir bicéphale actuel. Comme il n’est pas certain que les appointés habituels du plateau soient suffisants pour écraser les victimes en question, on leur adjoint une sorte de comiques professionnels (Dani Mateo, Thaïs Villas, Beatriz Montañez, etc.) à qui, si j’ai bien compris, avoir erré dans divers plateaux et émissions leur donne le droit de parler de la corruption (de la droite), de la société, de la santé, de l’économie etc., avec beaucoup plus d’autorité que le pauvre spectateur lambda, leur cible de choix… Quel que soit le sujet du soir, l’affaire est entendue : on amène dans l’arène pour se faire déchirer par cette troupe de malheureux simplets. Je pense qu’à la fin de l’émission, tout le monde l’a compris mais c’est trop tard. En général, les raclures médiatiques, chanteurs, acteurs, comiques officiels (Buenafuente, Gran Wyoming, cette super-conne d’Eva H, le nain de jardin Évole et un long etc.) sont des flatus vocis qui demandent d’avoir un estomac solide pour les écouter, et même seulement les regarder. Dans l’émission de J. M. Monzón, alias Gran Wyoming, sur La Sexta Noche (une merdre du puissant groupe Atresmedia) il était question du roi émérite. C’était pas trop top ! Dans un ridicule absolu – tellement que j’ai finalement zappé : je déteste voir les gens se ridiculiser – on entendait « si on a commis un délit, même dans la maison du roi, il faut démasquer le délinquant » Or, c’est ce qu’il a faisait, bien entendu…  Dans une société normale, personne ne demanderait son avis sur rien à ce souverain poncif absolu ; mais, là, on était à la télévision, chez un héros de la bienpensance qui, lui-même, enfin bon… il est animateur, quoi. On le sentait sûr de savoir certaines choses, il parlait sur ce ton pontifiant qu’ont tous les animateurs-comédiens espagnols et les imbéciles de toute nationalité, quand ils sont devant un micro. Il y aurait toujours des choses à dire à propos du « roi émérite ». Un individu pitoyable. Mais il en va de même, à quelques exceptions près, à propos de ceuzecelles qui se sont prêtés à lui faire se sentir dans la peau d’un intouchable tout au long de ces années passées. Un roitelet grotesque moralement indécent et intellectuellement nul, devenu au fil des ans l’icône de tous les excès. La sinistre farce de l’ersatz de coup d’État d’il y a quarante ans lui a donné une patine d’héroïsme dont il a largement profité et fait profiter des « amis » plus malins quand même que lui (t’inquiète pas, Jordi !) pour que cette démocratie partitocratique mute ouvertement en un régime de corruption et d'impunité. La patrimonialisation des institutions fut, à partir de ce moment, totale. Sarcasmes de notre monarchie. Et nous y sommes. Mais que dire de tant de cas d’héroïsme rétrospectif des courageux critiques d’aujourd’hui ? N’est pas Gregorio Morán qui veut ! Pas un mot sur la cleptocratie catalane incrustée au système, indéboulonnable, ou les longues (longues !) années de corruption socialiste en Andalousie et partout ailleurs. Ou plutôt sous forme d’astéisme rigolard, comme pour la thèse du boss de Madrid, sacré joueur de bonneteau devenu irréprochable par la grâce du pouvoir. Pas le temps ! Ils semblaient occupés, ces procureurs professionnels anti-droite-en-vrac du sanchisme, à peigner la pilosité envahissante de leur raie culière. Ce serait sans importance s’ils avaient décidé d'embrasser la corruption sur la planète terre, à droite et à gauche, mais comme ils ont choisi de jouer les moralisateurs de leur res publica monarchique, c'est un peu ennuyeux. Mais bon, tous les crétins tyranniques se targuent d'une supériorité morale, quand les deux seules supériorités objectives sont la cervelle et l'armement. Superbement efficace, « el intemerdio ». Pour l’audience, il faudrait évoquer ces rats de laboratoire, soumis par des éthologues sans cœur à d’incessants stimuli contradictoires. Je ne me souviens plus de ce qui leur arrive : rien de bien réjouissant. J’exagère, c’est pour rigoler. Ce n’est qu’un détail. Un détail ? Sans doute, sans doute. Mais un gravier dans la chaussure est aussi un détail ; il n'empêche qu'il peut vous gâcher toute la promenade. Si vous imaginez voir un jour la fin de la tyrannie que nous subissons, tyrannie de crétins, de corrompus et de criminels, d’une oligarchie d'incapables, ne vous faites pas d’illusions !

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Non à l’homme aux phobies !

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Certains sont écœurés de voir des suprémacistes excités devenus « progressistes » se réclamer partout de gauche. Plusieurs, par réaction viscérale, ont même commencé à lire la presse de droite à écouter des émissions douteuses ! Ils finiront par voter VOX ou PP ! Il s’en trouvera pour penser qu’un représentant de la méchante droite fasciste est toujours préférable devant le naufrage total de la noble gauche historique dans la mélasse la plus gluante. Remarquez que, pour une certaine frange, il suffit, pour être classé à droite extrême, de ne pas être hostile à l’entreprise privée, à la responsabilité personnelle, au gouvernement limité, à l’idée de patrie, et à une éthique qui ne se réduit pas à la subjectivité personnelle. Si c’est ça la droite, j’assume complètement. Tragique. Le capitalisme mondialisé, spéculatif, amoral, apatride, aliénant, qui creuse les inégalités, qui fabrique de faux besoins, qui endette pour domestiquer, qui fait de l’évasion fiscale, ce capitalisme a besoin d’être interpellé... Mais il l’est de moins en moins parce que ce qu’on appelait la gauche est aujourd’hui dynamité par de jeunes requins qui ne traquent que des mots et des notions creuses et stupides importées de Yankeeland. Et c’est toute la société qui en souffre.

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J’écoute à l’écran affirmer que les Algériens qui vivent en Corse ont construit les maisons dans lesquelles vivent les Corses et, de ce fait, ils sont également chez eux sur l’Ile de Beauté. Je veux bien. D'accord… Il serait judicieux de demander à la personne qui émet cette opinion ce qu’elle pense de ces Français et d’autres européens qui ont vécu en Algérie de 1830 à 1962 et qui y ont initié et construit une bonne partie des maisons modernes où vivent aujourd’hui les Algériens. Mais pas seulement. Ajoutons-y des milliers de kilomètres de routes, des ports équipés, des aéroports, des aérodromes, des kilomètres de voies ferrées, toutes les infrastructures gazières et pétrolières surtout sur le tard, puisque gaz et pétrole ont été découverts juste avant l’indépendance, des centrales hydroélectriques ou thermiques, des dizaines de milliers de bâtiments administratifs, ponts, viaducs, tunnels, écoles, des hôpitaux, des kms de lignes téléphoniques et, pour terminer, une agriculture exportatrice. Et pas seulement construit, tout cela, mais élaboré, pensé et planifié par les Français et les européens… Tout ce dont profitent les Algériens qui ne partent pas de depuis plus d’un demi-siècle. Etaient-ils chez eux, ces gens-là, en Algérie, comme sont chez eux les Algériens en Corse ? Etaient-ils chez eux avant que le FLN ne leur dise : « La valise ou le cercueil » ? De toute façon, il paraît que la manne pétrolo-gazière arrive à sa fin (voir en ligne l’émission Le Dessous des cartes diffusée sur Arte le 5 octobre 2019 ; cf. Akram Belkaïd, L’Algérie, un pays empêché en 100 questions, Tallandier, avril 2019) et les clans mafieux FLN au pouvoir depuis 62 ont placé déjà leur butin en lieu sûr. Chez eux quelque part, mais loin de l'Algérie.

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Le peuple allemand est-il eternellement suspect de quelque chose ? Non, et mille fois non : il est cou-pa-ble ! À deux reprises. Il a perdu les deux guerres mondiales. Grande erreur ! Il avait qu’à pas être dans le camp du mal ! Il n’a payé qu'un faible prix les horreurs dont il s'est rendu coupable : des villes rasées à plat, des millions de civils tués dans les bombardements, plusieurs millions encore ayant tout perdu et fuyant devant les libérateurs du genre humain, un nombre incalculable de femmes violées... Des règlements de comptes et de la revanche implacable au nom du Bien et de la Morale, des représailles féroces, du pillage partout, démantèlement de son tissu industriel et de l’État lui-même, etc. Il ne s'agissait donc pas de stopper les excès et le crimes du nazisme grâce à la justice et au bon droit mais d'utiliser tous les moyens imaginables pour écraser toute la population, pour bien cuire après les survivants pendant des générations à la flamme de la vengeance. René Lauret écrivait dans, rendant compte de ce livre (réédité dans le contexte européén d'ajuourd'hui) dans Le Monde : « Il (Karl Jaspers) vous adresse aussi un discret avertissement, rappelant que l’Allemagne n’est pas seule responsable des actes qu’on lui reproche, que partout les hommes ont des qualités semblables. Quand nous remontons à la source de notre propre culpabilité, nous finissons par nous trouver devant notre condition d’homme (...). Mais cette culpabilité est virtuelle en tout homme, en raison de sa condition d’homme. » Maître Vergès, ébranleur des opinions publiques en a réfléchi longuement...

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USA toujours gendarme mondial sous Biden. Quel sale pays, quand même ! À en croire nos intellectuels européens les plus proches, tellement enviable, organisé de la meilleure manière possible : guerres inter-ethniques, racismes divers et variés liés à leur mode de vie... Que sais-je encore ! Historiquement irréprochable pour l’ensemble de son œuvre : le génocide des Indiens, la destruction systématique, impitoyable, de l'Europe sauvée par eux à deux reprises, les bombes atomiques sur le Japon, le défoliant sur le Vietnam qui continue de faire des victimes à cause de la pollution des sols, le chantage pétrole contre nourriture en Irak, la dévastation en Afghanistan, la déstabilisation de la Syrie, l'intoxication du monde avec la sous-culture, le soutien inconditionnel aux bandits sionistes… « Si les Ricains n’étaient pas là… » chantait Michel Sardou. Trou du cul ! Vivre partout en Yankeeland est tellement meilleur que vivre en Germanie !

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« La plus grande faute du monde moderne n’est pas d’avoir incendié les châteaux, mais d’avoir rasé les chaumières. Ce qu'on voit s'effacer, au fil du XIXe siècle, c'est la dignité des humbles. »

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« Les sociétés agonisantes luttent contre l’histoire en émettant des lois, comme les naufragés contre les eaux en poussant des cris. Brefs remous. »

Nicolás Gómez-Dávila

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J’ai toujours discuté la valeur de la notion de racines si chère aux farfadets Goitysolo et compagnie depuis belle lurette. Certains de mes anciens élèves en sont témoins. La métaphore des racines ne peut se concevoir séparée de la partie de l’arbre qu’elles nourrissent. Appliquée à la société humaine, cela n’a que peu de sens. Cependant, l’enracinement a été une réalité. J’en veux pour preuve certaines recherches généalogiques faites par des spécialistes de la question. Jusqu'à très récemment donc, on pouvait considérer que beaucoup de familles de petits paysans étaient fixées dans leur terroir, parlant le patois local et vivant ou survivant grosso-modo de la même manière, en dehors des périodes de troubles civils, dans une société stable. De mon côté, bien que n’ayant fait aucune recherche généalogique, je suppose qu’il en alla de même pour mes ancêtres maternels et paternels vivant dans la Tierra de Campos et le Cerrato castillans. Si je croyais aux racines, je devrais donc me considérer comme Castillan. Mais mes retours plus ou moins fréquents à ces terres ont été souvent une source de désillusion, la Castille réelle ne ressemblant plus vraiment à la Castille idéalisée de mon enfance. Quant à moi, ayant vécu plus de deux tiers de ma vie au Pays Basque frontalier, je ne me sens pas plus Castillan que Basque ou Français. Plutôt qu’à de petites patries je me sens appartenir à une plus grande : l’Espagne. Si j’ai une identité, celle-ci est espagnole et rien d’autre. Le CNRTL donne entre autres définitions du mot identité la suivante (Étymol. et Hist. 2) : « Caractère de ce qui est permanent ; conscience de la persistance du moi. » Pourtant, le terme permanent mérite d’être précisé. Rien n’est immuable, tout évolue. Bien qu’indéniablement et fondamentalement Espagnols, les paysans que j’évoquais plus haut, étaient bien différents de moi. Ils s’en distinguaient par la manière de parler, le mode de vie, un rapport différent à la religion, un manque de mobilité, de moyens de communication, des vêtements différents, etc. De même, à soixante-sept ans, je ne suis plus ce que j’étais à vingt ni même à quarante ans. Des influences, des expériences sont venues me modifier, cependant je n’ai pas pour autant perdu mon identité personnelle. Pour ce qui est de mon identité nationale, il en va de même. L’Espagne de 2021 n’est pas celle de 1970 ou de 1990 mais je ne lui demeure cependant pas moins spontanément attaché. C’est, je crois, la durabilité de cet attachement qui fait la permanence de mon identité espagnole. Je ne me sens pas, je suis Espagnol, en ce que j’appartiens à la communauté espagnole et que je n’éprouve pas le besoin d’appartenir à aucune autre. J’ai pris conscience de cette appartenance au cours de plusieurs années en comparant les modes de vies, les uns avec les autres.

Séduit depuis pratiquement toute ma vie, dès que j’ai eu l’usage de la raison, aussi loin que je puisse m’en souvenir, par la pratique courante de la langue française, donc par la France, il est évident qu’il ne m’aurait été trop compliqué, si je m'y étais résolu, étant donné mes affinités avec elle et sa culture, de demander la naturalisation. Tout bien pesé, pourquoi faire ? Ni immigré économique ni réfugié politique, toute l’affection que je porte à cette nation et les liens forts que j’ai pu y nouer avec sa culture, qui est aussi mienne, les années que j’y ai passé et un accent - facile à vérifier dès qu'on ouvre sa bouche - capable de me faire identifier comme à cent pour cent francophone, n’effaceraient jamais ce quelque chose qui m’attache d’une manière toute particulière à la terre espagnole où sont nés, et maintenant reposent, mes parents. Cela dit, tenter de donner une liste des éléments constitutifs d’une identité espagnole, basque, française ou toute autre me paraît illusoire. Pour une simple et bonne raison qui est la diversité de toute population. On pourrait commencer par éliminer des critères non pertinents comme la couleur de peau, la religion, l’adhésion à un credo politique, des traits de caractère et, d’une manière générale, tout critère que serait censé partager l’unanimité de cette population. Même la connaissance de la langue n’est pas une condition suffisante vu qu’on peut très bien en avoir une maîtrise supérieure à celle de bien des indigènes sans pour autant être espagnol, basque, français ou norvégien. Considérer que posséder une culture commune serait nécessaire semble également erroné, tout individu n’en possédant qu’une partie voire de simples bribes de cette culture commune. Plus qu’un ensemble de caractéristiques unanimement partagées qui serait censé constituer l’identité, il me semble plus sage de se borner à considérer une sorte de plus petit dénominateur commun qui fait qu’en dehors de la classe sociale, du niveau d’éducation, de la race, de l’origine, de la région etc., on se sent chez soi quelque part et qu’on est certain d’appartenir à la communauté qui y habite. Je serais bien en mal d’en décrire avec exactitude les composantes. Toutefois, il est certain que ce plus petit dénominateur commun existe et qu’il est ressenti par une majorité, votants ou pas, faute de quoi tout partirait en vrille. Une autre évidence est que des forces sont en œuvre pour détruire ce fond commun et faire primer à tout prix l’individuel sur le collectif afin d’atomiser les nations existantes et de mieux les amener à se dissoudre dans une sorte de mixture humaine à base de citoyens du monde notion aussi vague qu’inexistante devenant, du moins pour un nombre croissant de membres des sociétés occidentales, l’idéal à atteindre.

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Dans le secteur de l'idéologie et des croyances, le marché fonctionne à merveille. Les partis-passoire espagnols - leur clientèle se renouvelle si vite que le public, indiférent au passé et crédule au présent, en vient à les considérer comme une espèce de couteau de Lichtenberg : un truc sans manche auquel il manque la lame - qui constituent l'actuelle coalition au gouvernement préfèrent ignorer les nuisances involontaires du communisme. Dans ces formations, la mode mondialiste fait pousser, flétrir et disparaître à une vitesse incroyable des figurants éphémères, des vedettes en détail, des rebelles de brocante et des stars qui connaissent la vogue pendant quelques semaines avant de retomber dans le néant. Cette haute société intellectuelle constitue toute une branche de la sociéte de consommation qui dévore les unes après les autres les innombrables causes dont se remplit le programme télé de chaque jour. Mais les disc-jokeys de la pensée, capables de rétrograder Homère ou Margaret Mitchell à la dernière place, placent toujours dans la catégorie succès de toujours le tube du siècle, historiquement nécessaire : le socialisme réellement existant, id est le joyeux et pétillant communisme. Le 19 novembre 2020, la bête immonde ibérique (terme de prédilection d'Ian Gibson, quoique naturalisé espagnol !), le Parti Populaire, présentait à la commission constitutionnelle du parlement espagnol une déclaration condamnant au même titre communistes et nazis. Rejetée par les députés de la gauche, l’initiative aura eu le mérite de mettre en évidence les lacunes historiques de certains de ses représentants ainsi que la complaisance vis-à-vis de la violence politique de certains partis. L’initiative des députés du Parti Populaire s’inscrivait dans la continuité de deux résolutions émanant de l’Union européenne : la résolution 1481 du Conseil de l’Europe de 2006 dans laquelle on déplorait que « le grand public est très peu conscient des crimes commis par les régimes communistes totalitaires » et que « les partis communistes sont légaux et encore actifs dans certains pays, alors qu’ils n’ont parfois même pas pris leurs distances par rapport aux crimes commis dans le passé par des régimes communistes totalitaires ». Afin de lutter contre cela, l’institution exhortait « tous les partis communistes ou postcommunistes de ses États membres qui ne l’ont pas encore fait à reconsidérer l’histoire du communisme et leur propre passé, à prendre clairement leurs distances par rapport aux crimes commis par les régimes communistes totalitaires et à les condamner sans ambiguïté ». Elle appelait les États à condamner fermement les régimes totalitaires communistes. Et plus récente, la Résolution du Parlement européen du 19 septembre 2019 portant sur l’importance de la mémoire européenne pour l’avenir de l’Europe. Cette résolution a été présentée par de nombreux députés d’États d’Europe de l’Est ayant vécu le communisme. Le Parlement européen rappelle que « les régimes communistes et nazi sont responsables de massacres, de génocide, de déportations, de pertes en vies humaines et de privations de liberté d’une ampleur sans précédent dans l’histoire de l’humanité ». Elle prie les États-membres de l’Union « de procéder à une évaluation claire et fondée sur les principes en ce qui concerne les crimes et actes d’agressions commis par les régimes communistes totalitaires et le régime nazi ». L’initiative du PP a indigné la gauche espagnole, qui a trouvé deux justifications à son négationnisme : celle des communistes convaincus, bloc qui réunit les députés de Podemos et d’Izquierda Unida, partis ouvertement communistes représentés au gouvernement, dont le président, Enrique Santiago, exposait sans ambiguïtés son point de vue aux parlementaires espagnols : « … comparer le nazisme avec une quelconque autre idéologie, c’est banaliser le mal et les crimes contre l’humanité qu’ont perpétré Hitler et Mussolini. L’unique régime politique qui a planifié et mis à exécution l’élimination systémique et industrielle de collectifs et de peuple entiers a été le nazisme ». C’est pourquoi son parti refusait de « mettre au même niveau les victimes et les bourreaux », pour ne pas être « complice de crimes contre l’humanité ». Ce même Enrique Santiago disait en 2019 admirer le processus révolutionnaire au Venezuela, « pays d’Amérique latine dans lequel se sont déroulées le plus d’élections » et prétendait que « si l’Espagne se trouvait dans les mêmes conditions que la Russie en 1917 », il n’aurait aucune réticence à se rendre « demain au Palais de la Zarzuela pour faire au roi Felipe VI ce que Lénine fit au tzar Nicolas II ». Il est donc inutile de recommander à Enrique Santiago, aux députés et militants de Podemos et Izquierda Unida un examen critique de ce que le communisme réellement existant a signifié concrètement pour des millions d’êtres humains qui ont eu le privilège de le subir.
Crimes, terreur, répression, incompétence généralisée et exploitation éhontée des gens et des ressources. Bilan qui, fait par des gens normaux, porterait à la prudence. Et, seconde justification : celle de la complicité des ignares, atteints de cécité complice à l’égard de l’autre négationnisme, dans les rangs du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE). Pour justifier leur refus de condamner les régimes communistes, ces derniers se sont prêtés à un syllogisme d’une sophistique redoutable : le Parti communiste espagnol (PCE) a participé à la transition et à la rédaction de la Constitution. La transition espagnole et la Constitution sont un héritage à préserver. On ne peut condamner le communisme sans condamner la transition espagnole et sa Constitution. Pour éviter de tomber aussi bas, les députés socialistes devraient peut-être revoir leur bibliographie. Ainsi, ils se souviendraient que le PCE de 1977 avait souscrit à l’euro-communisme, rejetant ainsi le léninisme, la nécessité d’une insurrection armée et d’une dictature du prolétariat, lui préférant les « libertés bourgeoises ». C’est d’ailleurs à la suite de ce tournant qu’est né en 1964 le Parti communiste espagnol marxiste-léniniste et d’autres organisations terroristes dérivées du marxisme-léninisme : le GRAPO (programme : assassinats et enlèvements ; l’ETA (étrange mélange léniniste et racialiste, programme : attentats, racket/impôt révolutionnaire, enlèvements)  ; le FRAP (Front révolutionnaire antifasciste et patriote : assassinats), organisation dans laquelle milita Javier Iglesias, le père du vice-président du gouvernement, Podemos, Pablo Iglesias. Un héritage dont ce dernier est particulièrement fier, au point de nous partager une comptine que son père lui chantait enfant. Or, si la gauche espagnole s’acharne à nier le totalitarisme communiste, c’est aussi pour ne pas se condamner elle-même. En effet, Pedro Sanchez a entériné une alliance avec plusieurs partis dont la relation avec la violence politique est plus qu’agitée : Podemos, Esquerra Republicana de Catalunya (ERC) et EH-Bildu. Pablo Iglesias a toujours confessé son admiration pour le « génie bolchévique de Lénine ». C’est pourquoi en 2016, lors d’une conférence à Ségovie, il s’excusait de « ne pas casser la gueule à tous les fachos avec qui [je] débat[s] à la télé », et plaisantait sur une poursuite de l’événement ailleurs « qu’en allant à ce truc de pédés, le théâtre », lui préférant « une partie de chasse dans Ségovie pour appliquer la justice prolétarienne. » Quant aux dirigeants d’Esquerra Republicana de Catalunya (ERC), formation de la gauche indépendantiste catalane, ils revendiquent encore la figure de Luis Companys. Durant la guerre civile, ce président de la Généralité de Catalogne a été le responsable de la création de camps de concentration et de l’exécution politique de milliers personnes en Catalogne, en grande majorité des catholiques, journalistes et chefs d’entreprise. Ils ont d’ailleurs obtenu de Pedro Sanchez qu’il reconnaisse la figure de Companys dans sa Loi de mémoire démocratique… Et que dire de EH-Bildu ? Cette formation politique issue de l’ETA mêle le racialisme xénophobe du nationaliste basque Sabino Arana aux fondements révolutionnaires du marxisme-léninisme. Ses militants applaudissent encore les terroristes lors de leur sortie de prison et son dirigeant, Arnaldo Otegi, surnommé El Gordo lorsqu’il militait à l’ETA, a été condamné en 1979 pour la séquestration du directeur de l’usine Michelin Luis Abaitua. En juin 2019, lors d’une interview à la télévision publique espagnole, il revendiquait le « droit » de l’ETA à commettre des attentats. Voilà donc la singulière coalition qui gouverne l’Espagne et qui s’apprête à imposer sa mémoire démocratique. Nul doute qu’elle saura acheminer la démocratie espagnole vers la « République plurinationale solidaire » rêvée par Iglesias, vers laquelle Sanchez semble prêt à maintenir le cap à condition de rester coûte que coûte capitaine du navire.

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 CV en 125 mots. Je suis né dans un milieu paysan sérieusement nécessiteux. Enfance heureuse. J’ai été professeur et maître de conférences. Je me suis marié une fois comme la plupart des oiseaux. J’ai été, jeune, proche de l’anarchosyndicalisme et plus tard du marxisme non autoritaire. J’ai écrit une thèse sur Claude Simon, Prix Nobel, qui a assisté avec son épouse à ma soutenance. Je vis depuis plus d’une quarantaine d’années dans une localité touchant la frontière avec la France, au pied du mont Jaïzkibel. Avide de culture française et de poésie, j’ai toujours préféré la société de quelques bons amis et la contemplation de la mer à l’imbécile fatuité académique. Je célèbre cette phrase de Léautaud : « Tout ce qui est l’autorité me donne envie d’injurier. »

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Tout cela fait un peu prolixe, comparé à l’efficacité, en trois mots, du CV que voici : « Alphonse Allais. Abonné au gaz. »

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