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samedi 29 mai 2021

Adieu, mois de mai... et à revoir !

Un amoureux du Sud. Paul Nizan, dans une lettre (août 1928) à son épouse Henriette : « Arriva Avignon. (…) On saisit partout le Français tel qu’il est, mais dans le Midi on saisit son ignoble essence, ce composé de lâcheté, de vanité de psittacisme, d’étroitesse, d’isolement, de sécheresse cachée sous une fausse joie. Un homme du Midi est deux fois français. La limite supérieure de la vigne et de l’olivier marque l’apogée de l’esprit français. C’est là qu’est née la sociologie française après la laïcité française, après la politique française. Il y a eu une seule tentative de libération en 1793 : la Montagne contre la Gironde. En France, Thermidor revient par malheur toujours, c’est-à-dire cette revanche de la bassesse, cette victoire du Français de France, cette victoire du Sud, cette victoire du maquereau Tallien, cette victoire du patriote Thiers, qu’on appela le foutriquet. (…) Orange et Avignon m’ont suffi. Je ne verrai pas les autres villes plus pleines encore de la pourriture de l’art romain. (…) Vous aviez fini par me faire croire que j’avais tort dans ma haine abstraite du Sud : mais les jugements sur les réalités dépassent mes prévisions, mes imaginations sur le possible. Cette haine est concrète. Ce mépris est simple, direct et aussi parfait que je puisse le souhaiter. Ni les villes, ni les gens, ni les paysages n’y échappent. Ils sont tous exactement le contraire de ce que j’aime. Je déteste ces paysages tristes, secs, ensoleillés, ces oliviers plats, bien moins beaux que ceux de Turin ; cette médiocrité, car la Provence est plus laide, elle est banale, elle est de ces paysages qu’aiment les cœurs ternes et étroits, qui ont peur des pays larges et irrigués, qui aiment les petits décors de tapisserie, qui aiment les tableaux de genre et qui craignent la vie. (...) » Henriette Nizan & Marie-José Jaubert, Libres Mémoires, Robert Laffont.

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En nous réveillant le ciel et les basses températures nous font penser que nous sommes en décembre. Un peu plus tard, la douceur vient comme une caresse quand nous ouvrons les volets. On ne voit pas le temps passer. On ne voit nulle part que nous sommes aux portes de l’été. J’ai reçu hier la version papier du livre consacré par deux universitaires catalans au trésor du yacht Vita dont j’ai écrit dans un billet précédent. Je me situe à des distances sidérales des conneries genre « j’aime surtout le papier, son tact, son odeur d’encre… ». La lecture digitale me semble à des années-lumière de ces balivernes pour des tas de raisons que j’ai du mal à répercuter pour une millionième fois. Mais dans le cas présent, je tiens à consulter la version imprimée. C’est un volume de près de 500 pages riche d’un travail de recherche effectué par deux historiens. Énième revisite, donc, de la guerre civile en territoire républicain et, comme toujours, car cela finit par s’imposer, partout. Relu aussi par hasard, « en même temps » comme dit notre chef d’État voisin, un rectificatif intéressant de M. Enrique Moradiellos, biographe de Negrín, sur la comptabilité la plus ardue de la fin de la guerre (El Doctor Negrín y las cuentas financieras del exilio republicano. Una ponderación rectificadora). Et combien de retours à la case départ ! Parce que malgré le travail sérieux, rigoureux, professionnel d’un Ángel Viñas, la relecture d’un Francisco Olaya Morales me laisse encore une fois un arrière-goût amer. La férocité de l’arrogant Monsieur Nœud Papillon-Viñas et ses sarcasmes de fonctionnaire international devenu mandarin impeccable de l’histoire-papier contre le travail-témoignage d’Olaya (il méritera un jour qu’on lui donne du « monsieur », à lui aussi, à ce paria, étant donné que le titre sonore d’historien  reste réservé aux porteurs autorisés par d’officiels arrêtés ?) viscéral, engagé, sortant de ses tripes, du vécu et non seulement des archives et de la paperasse consultées, aussi rigoureux que peut l’être quelqu’un de foncièrement honnête parce qu’il a payé de sa vie mais n’appartenant pas au sérail bienpensant et qui s’est toute sa vie battu pour quelque chose d’autre que des colifichets universitaires. Eternel retour d’un débat entre certains personnages suffisants et d’autres soi-disant insuffisants, inévitablement assorti de considérations subjectives : les uns et les autres forçant à tour de rôle l’aversion ou plutôt la sympathie. En fonction de la justesse de leurs arguments en l'occurrence.

Et toujours le même tableau. Peu reluisant pour ceux qui ont vécu sur place ce dont ils écrivent ou, bien au contraire, si brillant pour ceux qui sont toujours sagement à l’abri… « Ces années lumineuses ! » s’exclamait récemment, évoquant ces années-là, le cynique bouffon, l'ignare, à la tête de la bande qui conduit à l’heure actuelle l’ensemble du pays dans le mur. En effet, quelle éclatante lumière que celle d’un pays plongé dans la tourmente, avec partout des hommes en armes aussi bien dans les rues des grandes villes et que dans des villages reculés, des destructions et de massacres partout pour imposer par le sang les merveilles des communismes de toutes les couleurs imaginables ou les paradis charmants déclinés « Dieu – Patrie – Roi » à côté des panoplies fascistes. On fusillait énormément, quotidiennement. Dans un mélange abject d’avertissements, leçons, punitions, châtiments, revanches… si bien résumés par le terme espagnol d’escarmiento.
Du pur plaisir pour les douleurs infligées. Retour à des stades de sauvagerie mille fois déjà vécus, au nom de la révolution, de la religion, de l’ordre, de la justice par le crime… Ou, par une pirouette géographique, moisson pareillement sauvage de curés et de nonnes, de fascistes et de bourgeois, de toute personne n’étant pas manifestement de la cause sacrée, cette fois-ci de gauche, pouvant être condamnée par un tribunal populaire ou simplement abattue par des justiciers improvisés. Cette vieille manie de transformer la vie des hommes en orgie de mort au nom d’un hypothétique avenir lumineux qui prend sa source dans les ténèbres d'enfers bien réels. Un point de vocabulaire curieux est que l’usage courant du mot fascisme dans l’Espagne d’alors était à peu près imprégné des mêmes connotations que dans le monde d’aujourd’hui. Le mot fasciste connaissait à l’époque et connaît toujours actuellement une telle propagation parce que, de façon magique, il dispense de toute explication ou justification. On ne peut facilement accepter sans réagir que, tant d’années plus tard, des hommes de tout bord au cœur propre et voulant sincèrement la concorde, se fassent insulter et couvrir d’injures par des vauriens 
agrippés convulsivement à leurs scories idéologiques et affublés de la cuirasse de la revanche et cela, ce qui est encore plus insupportable, à l’intérieur des mêmes partis auxquels l’histoire a déjà profondément enfoncé dans ses poubelles. Le pillage de ce qui avait déjà été pillé n’a pas diminué la souffrance des vaincus pauvres et sans ressources. L’égalité légale gagnée par la violence avait débouché dans la misère généralisée. Les profanations et destructions n’avaient pas engendré le bonheur, ni la liberté, ni la fraternité. Seuls les mots sacro-saints sont restés inchangés à travers les siècles et les générations, jamais les fruits qu’ils portent. Lecture après lecture, j’ai l’impression de me noyer dans la fange du marécage crépusculaire qu’est devenu mon pays, habité par des automates ayant voté leur auto-dissolution dans l’acide americano-mondialiste. Mais les bons vieux mots creux sont toujours là et ils se laissent gentiment récupérer pour répandre avec courage le malheur et les larmes quitte à patauger jusqu’au cou de nouveau dans le sang s'il le faut.

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Craignant fort que ce mardi après la Pentecôte soit aussi mort qu’hier nous nous encourageons mutuellement, R. et moi, à préparer en détail une sortie « de survie ». Par ailleurs le temps, entre éclaircis et passages nuageux, ne nous offre pas la possibilité de nous promener sur nos lieux habituels et nous décidons de ne pas quitter la maison jusqu’en fin d’après-midi. Ce n’est pas une punition car on y est trop bien, avec pour vis-à-vis notre bout de jardin plein à craquer de moineaux, de rouges-gorges et autres mésanges. R. bricole des trucs et je poursuis ma relecture du Vita et de La Récidive.

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¿En qué se diferencia en la España de hoy un gobierno de izquierdas de uno de derechas? En los amigos. Por más que busco argumentos no los encuentro fuera de los lenguajes, tan similares. Cuando escuchamos a un funcionario decir que es de izquierdas o incluso marxista o comunista, que también lo he oído, tiene el mismo valor que decir que “son del Betis”; un recurso semántico que quizá dé tranquilidad mental y que no tiene nada que ver ni con el fútbol ni con el compromiso personal ni menos aún con la política. Es una manera de paliar la obviedad de estar empleado en el estado y por el estado. Quizá eso ayude a entender la cantidad de profesores que proliferan en los grupos políticos de izquierda. La derecha no necesita haber leído a Freud: son lo que son y punto. Lo tienen muy asumido.

Gregorio Morán, "Una sensación de tormenta", Vozpopuli, 29-05-2021

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Il fait beau malgré quelques nuages. Il paraît que le printemps va enfin s’installer. Commentaires débiles sur quatre chaînes radio : vaccins, faits divers, météo... Mon Dieu, on entend ça à longueur de journée. Longue conversation avec les enfants au téléphone, après j’oserais à peine dire que me ressens heu-reux… Et je m’explique : le bonheur n’égale pas, pour moi, la joie ou encore moins le plaisir. On commence à éprouver du bonheur, souvent accompagné de douleur à foison, quand on entrevoit la constellation de sens portée par la vie.

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mercredi 19 mai 2021

Tout comme Rambo, je vis jour après jour mais je ne sens plus mes jambes !

 

 Si soy el roble con el viento en guerra,
¿cómo pude vivir con la raíz ausente,
cómo se puede florecer sin tierra?

Alfonso Camin

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¿Cómo salir
del hondo desespero,
Si lejos del afán no hay más que niebla?

Mes heures de cafard

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Au fil des ans, l'espagnol et le français fusionnent en moi aussi bien dans mon cœur que dans mes pensées.

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Quelques jours d’affilée sous une pluie fine. À la maison, sauf de brèves randos bien sages. Des films à la télé. Surtout, Mon cousin, avec ces deux comédiens que j’aime bien : Vincent Lindon, François Damiens. Week-end là, enfermés, sans grand intérêt : pourquoi glander toujours devant des navets plutôt qu’écrire ou me mettre des tonnes de podcast stockés un peu partout ? Il a plu des trombes par intermittence. Paresse et abandon temporaire de la biographie de Soljenitsyne. Vendredi de l’Ascension. Drôle de journée : à partir de midi, envahi d’une torpeur irrépressible. Je me suis endormi à plusieurs reprises. Je ne comprends pas d’où ça vient, je ne suis pas spécialement fatigué ni rien. En fin d’après-midi, je poursuis lentement la biographie de Soljenitsyne (Lioudmila Saraskina). Le soir, film quelconque. Des fois, l'inattendu : surprise polonaise ! Double : Black Mercedes et La Communion. Les versions médiatiques des affaires à Gaza me foutent la déprime. On déverse allégre, féoce et démagogiquement des tas d'immondice sur La Palestine. La voix de Carlos Puebla vient à mon secours : "Yo estoy acá en mi rincón / preguntándome hace rato / ¿cómo es posible que al gato / le meta miedo el ratón?".

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« Laisse-moi corriger une ou deux de tes convictions profondes : Aristote n’était pas un savant belge, s’il y a un message dans le bouddhisme, ce n’est pas “chacun pour soi, après c’est marre” et la théorie de la relativité est tout sauf une règle de grammaire ! » (Un poisson nommé Wanda)

Version française d’un (fidèle) dialogue surréaliste sur « les aléas de l’Histoire », après l’envoi de l’image ci-dessus à quelqu’un. Je présumais qu’on allait rire un moment ensemble en étroite complicité. Mal m'en a pris ! J'ai plié submergé par une avalanche de conneries à la François Pignon :

- T'en dis quoi, l'historien...
- Seconde guerre mondiale. Il y a eu un problème russo-américain. Suite à la reddition allemande aux Américains, les Russes ont réagi forçant la signature d’un armistice avec eux le lendemain. Raison pour laquelle on a deux célébrations : en Europe et un jour plus tard en URSS. ¡Cosas de la historia! (sic : ce mec est vraiment extraordinaire).  Le 8 Mai a été férié jusqu’à De Gaulle, qui l’a supprimé. Je crois que la célébration a été récupérée sous Mitterrand. La photo et la rue (?) ne sont donc pas exactes (je commence à m'inquiéter : ça va tourner au vinaigre). C’est la seconde guerre mondiale, pas la fin de la Grande Guerre comme ils l’appellent en France.
- Miiiince, alors ! Merci pour tes renseignements, je pourrais finalement dormir en paix…
- Quel enfoiré ! Comme si tout ça t’empêchait de dormir ! Ou alors t’as le sommeil léger.
- Non, non, non, je te jure, j’ignorais le tréfonds de toutes ces affaires…
- De Gaulle a supprimé la célébration parce qu’il cherchait l’accord des Allemands pour une Europe unie. La Ceca, le Benelux, etc. C’était en 1963 ou dans ces eaux-là.
- Bon sang de bon sang, je n’en crois pas mes oreilles !!! Et à propos d’Israël, Gaza et tout ça, t’as du neuf ?
- De Gaulle ne pouvait pas voir les Anglais en peinture. Et on en était à la recherche de l’union européenne, sans compter sur eux. Pour le coup, ils n’ont pas été ajoutés à l’Europe qu’à la mort de De Gaulle. Sous Pompidou, son successeur, le veto à l’incorporation anglaise à l’Europe des douze a été retiré. Mais, ça, c’est une autre paire de manches.
- Là, vraiment, tu me délivres d’un fardeau !
- Arrête un peu, je n’y suis pour rien dans cet embrouillamini de confusion.
- Non, mais voilà, t’as raison, j’suis d’accord.
- C’était pour te dire que partout où les Anglais sont passés on trouve de la merde. Cas d’Israël, par exemple. Et ce n’est pas le seul.
- Déconne pas, l’historien à la retraite, je suis plus vieux que toi, quand même…
- Ceylan, l’actuel Set Lanka, voilà encore un exemple. Pour ne pas parler de l’Arabie Saoudite et tout le Moyen Orient. L’Irak, la Syrie…Sry Lanka, je voulais dire. Vaut mieux fréquenter des terrasses.
- Il va suffire, pour le moment, de voir la fin du énième conflit entre la Palestine et l’entité sioniste à la con, née de Balfour.
- Fais-moi confiance : rien de mieux qu’une terrasse ! (...) 
J'en passe et des meilleures. Il m'assure, par exemple, que BHL est juif. Ouh là là ! Première nouvelle ! Je lui dis : Juif ? T'en es sûr ? Pourquoi pas breton ou corse ? Et je tombe de nues. Il sait ce que c'est que l'ironie, le second degré d'ironie ? Qu'est-ce que j'en sais... ! le quatrième !). Il tien à me l'expliquer quand même : "Non, non, juif : Lévy = fils de"... Après une tentative, infructueuse, pour lui signaler que tout est une blague depuis le début, il s'entête. Il me sort Cymes le toubib, Enrico Macias, Sarkozy.... et Satraus-Kan ! (sic). J'ai du mal à reáliser qu'il est sérieux, ce Pignon de fin d'après-midi. Eh ben, dis donc, Satraus-Kan aussi ? C'est pas possible, là, je tombe des nues ! Si, si et son ex-femme, Anne Sinclair, qu'il me ajoute. 
Je pouffe mais j'ai du mal à lui couper parce qu'il s'enthousiasme : 
- Allez, va, je te retiens plus, merci pour tous ces renseignements inédits dont personne n'en parle... 

 

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« Ce livre [La Domination masculine de Pierre Bourdieu], où la différence des sexes est dénoncée comme une fiction, fruit d’une "violence symbolique" destinée à assurer la domination éternelle des hommes sur les femmes, débouche sur une obscure aspiration à en finir avec tous les processus différenciateurs qui ne peut que s’accompagner (mais ce n’est jamais dit) de la levée de l’inceste. Dans cette longue subversion de la norme hétérosexuelle, Bourdieu assigne aux homosexuels un rôle d’éclaireurs. Cependant, plus royaliste que la plupart d’entre eux, il demeure réservé concernant le Pacs, où il voit une soumission des intéressés à la "norme dominante", et même un coup d’arrêt au mouvement homosexuel de subversion symbolique permanente de la domination hétérosexuelle. Au bout du compte, ce n’est même pas l’hétérosexualité, ni la "violence masculine", qui sont visées, mais bien la simple division des sexes qui, assimilée à la division du travail, est regardée comme la source même de toute violence et, comme la division du travail, doit être abolie. Après seulement commencera le paradis de l’indifférenciation omni latérale, où n’importe qui pourra être n’importe quoi, un rossignol, une pomme de douche, un boulon, une rose jaune faisant l’amour avec une feuille morte, etc. Et, bien sûr, chacun aussi s’exprimera dans une langue de feuille morte, de boulon, de rose jaune ou de pomme de douche. Car le rêve d’abolition de la "violence symbolique" débouche sur le meurtre de la parole, c’est-à-dire de ce qu’il y a de plus humain. C’est là ce que tous les Bourdieu présents et à venir ne disent jamais qu’ils veulent ; et pourtant, du fond de leur nihilisme rayonnant, ils ne veulent que ça. »  Philippe Muray, Exorcismes spirituels III, Les Belles Lettres, Paris

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Aime-moi lorsque je le mérite le moins, car c'est alors que j'en ai le plus besoin. Dispute provoquée à cause d’un document administratif pour régler une affaire de facture chez notre dentiste. Je m’entête à suivre ma démarche en vue d’obtenir remboursement d’une partie des frais. Réplique de R., coupante (« je t’avais pourtant dit de venir, toi tout seul, de t’en occuper sans moi ! »), effrayante et énigmatique, où l'effrayant jaillit directement de l’énigmatique dans sa colère bien plus que des circonstances extérieures de cette colère envers moi. Quant à la composante énigmatique elle-même, elle vient, m'a-t-il semblé, comme trop souvent ces derniers (ô combien longs) temps de confinement, de ce qu'à aucun moment je ne suis pas parvenu à en savoir davantage sur ce qui s’est réellement passé que R. elle-même ! D’une étincelle a jailli brusquement la flemme devenue incendie. J'erre dans la rue comme un poulet sans tête quelques mètres en sa compagnie, dans une sorte de labyrinthe d’explications enténébrées – In girum imus nocte – et elle m’envoie chier au beau milieu d’une phrase me tournant le dos, me coupant la parole, s’éloignant à vive allure, traînant derrière elle la seule lumière que je croyais apercevoir au bout du tunnel pour mettre fin à l’inutile dispute. Évidemment, une lumière noire, puisqu'elle me désigne toujours comme incapable, à chaque fois, de laisser R. faire comme elle l’entend et dire ce qui bon lui semble sans tenir nécessairement compte de mon avis. Cela nous conduit où l'on sait : à se fâcher et à se faire mal, stupide et inutilement, et à grimper comme le commun des mortels aux sommets d’une masse accumulée d'ennui, provoquée chez ceux qui vous sont proches et dont vous vous croyez aimé par le seul fait d’être là. Du haut de ce sommet d’accablement, à la suite d’incidents infimes, on arrive facilement à se balancer à la figure des phrases bien pourries qui ne mériteraient même pas qu’on en parle si ce n’était qu’elles traduisent des tensions occultes qu’on ne peut plus voiler… Pourtant, que le temps des cerises nous semblait toujours beau, avant celui, verjuteux, des agrumes !

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Anniversaire des « indignés ». I. Errejón, leader de la formation Más Madrid, affirme que le mouvement 15-M (Indignés) « est mort » et qu'à Podemos on a trop péché par orgueil voulant tout faire repartir de zéro comme si rien n’avait été fait avant. Non, cher M. Errejón, le 15-M n'est pas « mort », il a été tué par vous et les vôtres. C’est justement dans ce but qu’on vous a propulsé dans le vedettariat, pour canaliser le mécontentement et pour réduire à néant la colère sociale. Les magouilles électorales ont eu raison des opportunistes et des palabreurs… Le choix de prendre d’assaut le ciel au moyen des élections s’est avéré payant pour un couple de stars ultramédiatisé et pour une bande de parasites fidèles, bons à rien sauf à bouffer du budget.

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Décès de Jacques Bouveresse. Ses opinions sur la presse ou les mass media rejoignent celles de tout philosophe : la même chose. Même Hegel, qui recommandait la lecture du journal quotidien du matin pour agir pas le soir pour s’endormir, et surtout pour penser le réel en déchiffrant les nouvelles. De même aucun courant n’a nié l’importance de l’étude des sciences ni de la littérature et des arts. La philosophie analytique est une orientation, plus qu’une méthode de travail, puisqu’elle arrive à des résultats différents. Bouveresse a défendu Valéry, Kraus et Musil. J’ai lu quelque chose de lui sur la logique, Leibniz je crois, suivant les conseils de Marceau Vasseur, mon brave prof à la fac en 75, pour une critique du Candide de Voltaire. Ça m’a ennuyé. C’était rigoureux, précis mais je ne voyais pas d'issue. Je tiens à souligner, en tout cas, que son refus public de la Légion d’Horreur, en 2010, pour laquelle il n’avait été même pas consulté par la gourde de garde (V. Pécresse) occupant le machin ministériel, montre un homme décent et quelqu’un vivant en cohérence avec soi-même. Si j’ai le temps, je pourrais peut-être approfondir ses approches sur la vacuité ou l’irrationalité de la pensée critique d’Adorno ou de la phénoménologie. Il a réagi à la mode marxiste stalinienne, à Althusser, et à certains excès du structuralisme. Sentiments à peu près analogues à ceux que m’avait provoqués la disparition de Michel Serres.

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Franche rigolade après lecture d’un twittos, ancien député centriste catalan, très imbu de sa personne, pro-israélien buté mais farouchement opposé au mini-sionisme local de son patelin, J. C. Girauta. Le passage du temps nous adoucit. Il faut y réagir en conséquence. Ce qui nous rendait malheureux ou nous faisait déprimer par le passé, ce qui nous empêchait de dormir sans raison, ce qui tentait d'appauvrir nos pensées ou notre discours, tout cela était exécrable et reste toujours exécrable tout simplement. Ne répondez pas au bonjour dans la rue de ce chauve en qui vous reconnaissez l'abominable idiot assis juste derrière à l’école et qui vous a balancé à la tête des milliers de boulettes de papier tout au long des années, durant lesquelles vous avez eu le malheur de le supporter en permanence. S'il vous approche, ignorez-le. S'il insiste, révélez-lui la vérité : on n'a jamais été amis. S'il s’en offusque, faites-lui savoir qu'il est toujours aussi abruti qu'il l'était à l’époque, que le temps passé ne l'a pas transformé.

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Par opposition à ce que la bienpensance considère comme peuple idiot et endormi (ces buveurs d’apéro madrilènes, ces gilets jaunes français, ce fascisme latent rapidement devenu nazisme dans les pauvres têtes d’œuf du socialisme espingouin), les modernes Guerriers de la Justice Sociale, ces braves gens éveillés Woke ! combattent infatigablement contre un racisme, un sexisme, une homophobie, une islamophobie, un patriarcat qui se nichent partout, tout le temps, en tout lieu, dans chaque attitude, conversation ou comportement. Pour plus ample information à propos de ce combat acharné des gentils contre les méchants, je proposerais La traición progresista, d’Alejo Schapire (Ed. Península, 2021). Et j’envoie caquer pour longtemps M. Onfray. Et d’autres que j’ai mal à nommer, tellement ils me gonflent…

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Avec un certain attendrissement, je pense souvent au travail de forçat de mes parents, ces êtres bons, doux, fidèles et d’humeur égale, ces êtres jamais tristes, qui ne faiblirent jamais. Plus tard, au beau milieu de la nuit, dans un état d’assoupissement ronflant, je revois leurs mains généreuses en mouvement, on est tous à table, partageant un repas et je regarde fixement des petites étoiles dansantes sur la surface du bouillon de mon assiette. Et, brusquement, envahi par un sentiment de gratitude, je me rappelle une phrase d’une prière oubliée depuis longtemps : « Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour », et, dans l’ombre, je me laisse gagner par une profonde émotion. Il y avait bien longtemps, ont prononçait cette prière à la maison, je me la rappelai sans peine – et la repassant maintenant dans mon esprit d’homme âgé, je m’étonne de voir à quel point elle semble désintéressée, n’exprimant pas un seul des innombrables désirs qui, jour après jour, transpercent le cœur humain. Il n’y est demandé ni longévité, ni santé, ni protection contre les malheurs, ni richesse, ni bonheur conjugal. Il n’y est question ni des enfants ni des parents, tout apparaît recouvert par ces mots grandioses : « Que Ta volonté soit faite ! » L’homme, infime et insignifiant, ne demande qu’une chose à son Dieu immense : avoir de quoi manger au jour d’aujourd’hui. 

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L’Espagne en 2050 / Ceuta en mai 21. L’olympe bureaucratique de la coalition au gouvernement vit comme dans une bulle. Ce sont avant tout des gens qui ne pensent qu’en troupeau. Un troupeau de porcs grassement nourris par le contribuable soumis. Les cercles dirigeants de chaque parti, formation, groupuscule, clan ou camarilla flanqués de leur armée de soi-disant experts (?) ont tout pensé à votre place. En tant qu’individus, vous ne pourrez donc manifester aucune curiosité, aucune exigence, aucun doute. Je me tourmente davantage quand je croise dans la rue, tout à fait par hasard, M. le maire, socialiste de 2021. Ne pourrait-il y avoir des comme lui aux affaires en lieu et place de la bande de tarés qui font semblant de nous gouverner ? Je le trouve honnête et efficace. Un vétéran capable de jouer un rôle actif dans la gestion d’un dossier difficile… Idéologiquement solide mais sans espoir de se voir catapulté vers Madrid où les requins et les rufians font barrage à l’arrivée de vrais talents… Ce que la vulgate du Pléistocène appelait historiquement « la lutte de classes à l’intérieur du parti » a toujours vu le triomphe des bourgeois-bobos et des cons, trop souvent les pires canailles, sur la ligne prolétarienne. Aujourd’hui, sur un minimum d’intelligence et de common decency. Mais y en qui veillent au grain. Le progressisme aura beau être complètement taré, on sait l'oligarchie ploutocratique dotée d'un Q. I. collectif extraordinairement élevé (immunité de goupe). Ils ne sont pas les maîtres par hasard... Refusant de voir le monde tel qu’il est, peuplé de cons finis, les naïfs croient que les mécontents sont chaque jour plus nombreux. Que ça va vite finir, que ça va changer. A l’expérience, c’est parfaitement faux. Ceux qui sont assez lucides pour être mécontents sont, eux, un peu plus en colère, c’est tout. Leur nombre peut augmenter sans effet aucun sur la réalité. Ce qui permet à l’oligarchie d’accélérer la mise en place, et définitive, des saloperies qu’elle a prévues contre nous tous. Ils se surpassent dans l’incompétence, l’obscène et l’odieux, sans honte aucune, et là encore, sans recevoir des tomates et des coups de pied au cul. Je pensais bien qu’après la première phase de la pandémie, avec la nouvelle réalité, l’humanité avait changé de nature. Eh bien, je me trompais...

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La diabolisation systématique de l’opposant est la marque de ceux qui se montrent incapables de penser les mutations de la société, les « leçons » de l’Histoire. Pour eux, les pestiférés sont ceux qui témoignent de ce qu’ils vivent autrement que comme l’exigent les conseillers, les intelligents officiels, les « spécialistes ». Cette abjecte bêtise d’attaquer bassement l’adversaire discrédite le jeu politique. Accepter de nommer les choses d’une même manière officiellement autorisée ne fait pas disparaître les problèmes et n’apporte pas de réponse aux défis concrets de gens concrets. Le déni est une autre forme de mensonge.

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Mon jeune voisin de vingt-trois ans adore les jeux vidéo. A travers le mur mitoyen on l’entend beugler sans discontinuer à l’écran de son appareil. Il ne s’arrête pas à minuit, jure comme un charretier et insulte copieusement ses partenaires à distance. Quelle solution quand on a la chance de tomber sur un voisin aussi choquant ? Se retirer méditer en plein désert au milieu de nulle part… « Il faut bien que jeunesse se passe et supporter patiemment que celle des autres se passe de nous » (Pagnol).

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Tribunes des militaires chez nos voisins : l’aiguille du compteur gouvernemental a la tremblotte. Tous les corps de l’État auraient donc le droit de la ramener, de grouiller, de scribouiller, de maugréer, de se politiser et de s’encanailler, sauf les militaires ? Un coup d’état, gros cons ? Vu l’énorme quantité de soldats professionnels musulmans, ça irait loin le « coup » en question : on en reparlera un de ces jours…

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Mémoire historique et, même, préhistorique. La coalition Frankenstein qui gouverne (?) à Madrid encourage férocement le mandarinat universitaire pour des versions mémoire historique qui conviennent à ses œillères. Pas la petite piétaille, genre André Trapiello, trop révisionniste (sic) à leurs yeux. Ou Cercas, trop à doite à ce qu'il paraît. Que tout cela semble rance et vieux ! Dans un texte publié à la fin des années 60, Chomsky s’intéressait à ce qu’il appelait la subordination des mandarins dans l’interprétation historique du conflit espagnol. Examinant en détail les thèses émises par l’historien libéral Gabriel Jackson dans un ouvrage alors fort vanté (La República española y la guerra civil, Crítica),

Chomsky notait que celles-ci étaient empreintes d’un tel « parti pris contre la révolution sociale » et d’une si évidente « adhésion aux valeurs et à l’ordre social de la démocratie bourgeoise » qu’elles tendaient naturellement « à présenter sous un jour faux des événements d’une importance capitale et à négliger des courants historiques majeurs ». Le grand mérite de Chomsky fut sans doute de pointer cette convergence d’analyse entre une partie de l’historiographie libérale anglo-saxonne et l’historiographie sous influence stalinienne. Sur le terrain de l’histoire s’opérait la même alliance qui avait coalisé, en Mai 37, sur le terrain des opérations, un front stalino-libéral partageant un objectif commun : rétablir l’ordre républicain pour en finir avec les excès révolutionnaires. L’historiographie qui s’imposa au lendemain de la « transition démocratique » et qui domine toujours aujourd’hui continue de privilégier une lecture légitimiste de Mai 37. Autrement, vous êtes révisionniste. Les temps ont suffisamment changé pour que l’assassinat d’Andreu Nin soit presque unanimement condamné mais le fond de l’argumentaire demeure le même : il fallait, d’une façon ou d’une autre, mettre fin au désordre révolutionnaire pour rétablir dans ses fonctions l'État républicain, effondré comme un château de cartes après le 18 juillet 1936. Deux auteurs représentent cette « subordination contre-révolutionnaire » du mandarinat universitaire bourgeois et occupent le devant de la scène éditoriale et médiatique espagnole.
Pour Ferran Gallego (Barcelona, mayo de 1937, Debate), professeur à l’université autonome de Barcelone, spécialiste du fascisme, il n’y aurait jamais eu de situation de double pouvoir en Catalogne, et moins encore de perspective réellement révolutionnaire. En se rangeant elle-même du côté de l’antifascisme institutionnel au lendemain du 19 juillet 1936, la CNT-FAI aurait très rapidement compris que l’instauration du communisme libertaire n'était pas viable. Dès lors, Mai 37 n’aurait rien d’une contre-révolution opposant les révolutionnaires aux partisans de l’ordre institutionnel, mais tiendrait du choc frontal entre des adeptes d’une impossible révolution, dont le POUM, et des antifascistes responsables. Certains dirigeants de la CNT-FAI auraient joué la voie de la conciliation pour préserver l’essentiel : leur maintien dans le bloc antifasciste. Pour le reste, dénoncer le POUM comme gestapiste serait condamnable, mais pas moins que de qualifier de contre-révolutionnaires les communistes par le POUM. L’intérêt de l'ouvrage tient surtout à la manière dont cet universitaire toujours proche du stalinien PSUC catalan (de ce qu’il en reste ?) analyse la participation des bases de la CNT-FAI aux combats de rue, à partir du seul point de vue supposé de ses dirigeants. Laisser penser que la direction de la CNT-FAI se serait située idéologiquement dans le camp des défenseurs de l’ordre républicain relève du rêve. Durant les troubles, elle voulait apaiser ses bases mais cette stratégie de pacification reposait sur la conviction que la bataille de Barcelone une fois localement gagnée, cette victoire aboutirait à un désastre à l’échelle nationale.
La logique qui anima alors la direction de la CNT-FAI était d’ordre purement bureaucratique et la tâche qu’elle s’attribua consista à faire en sorte que ses bases, prêtes à tout pour défendre les conquêtes révolutionnaires, ne s’aventurent pas au-delà d’une certaine limite, appréhendée comme un point de non-retour. Ce qui ne saurait conclure qu’elle s’était ralliée au bloc antifasciste, mais simplement qu’elle ne se sentait pas en état de prendre la responsabilité de son éclatement. Des témoignages prouvent que les sphères d’influence de la CNT-FAI catalane perçurent très vite l’enjeu de cet affrontement, qu’elles le sentirent venir et que, dans les semaines qui le précédèrent, elles s’y préparèrent à fond. Ferran Gallego enetend dissocier une CNT-FAI responsable d’un POUM aventuriste. La haine que la CNT-FAI aurait vouée au POUM expliquerait qu’elle le laisse si facilement tomber. Quiconque est au courant des ressorts psychologico-politiques de la CNT-FAI catalane de cette époque, sait qu’elle développait un évident syndrome de supériorité à l’égard de tous les partis ouvriers dont le POUM, lui-même grand donneur de leçons. L'hégémonie absolue de l’anarcho-syndicalisme sur la classe ouvrière catalane a pu sans doute la prédisposer à un certain mépris pour le POUM mais de là à en tirer les conclusions de Ferran Gallego, dont l’ouvrage est une charge en règle, héritée du stalinisme, contre le POUM, il y a une marge. La CNT, que Nin avait voulu embarquer, au tournant des années 1920 dans le léninisme, n’accordait aucun crédit au POUM, ce qui ne l’empêcha pas d’accueillir ses militants quand le PSUC les extermina comme des chiens galeux. Le rôle de l’Union soviétique dans cette affaire est, conformément à la tendance dominante de la moderne historiographie, systématiquement minimisé. Comme si le Komintern n’avait été, en Espagne, qu’une agence de recrutement de courageux combattants antifascistes.
Dans une tout autre sphère évolue Ángel Viñas (El escudo de la República, Crítica). Diplomate, économiste, fonctionnaire d’ordre et de rigueur dont la conception de l’histoire n’est pas dépourvue de condescendance pour les ignares en histoire et en stratégie politique. Fort de ses multiples compétences de spécialiste, il a  publié toute une série d’ouvrages soucieux d’en finir avec certains mythes de la guerre d’Espagne. Son entreprise monumentale a de quoi impressionner mais l’effet se dissipe dans de courts délais quand on voit ses conclusions s’inscrire dans la continuité d’une historiographie guidée par l’idée qu’il fallait que s’effondrent les rêves révolutionnaires pour que la République puisse faire efficacement la guerre. Le problème, c’est que, sans ces rêves émancipateurs, la République se serait volatilisée en quelques jours et que, sans ces rêves mobilisateurs, elle ne pouvait que perdre la guerre. Il eût bien fallu, à l’en croire, que les exaltations libertaires fussent rapidement mises au pas pour que la République recouvrât cette nécessaire rationalité politique et économique incarnée, après Mai 37, bien trop tard d’après lui, par le talent du grand Juan Negrín, principal ordonnateur de la répression contre les révolutionnaires et responsable du démantèlement des collectivités libertaires d’Aragon. Il était donc du devoir de la République de dresser son bouclier (El escudo de la Repúblicacontre ses ennemis de l’intérieur. Son interprétation de Mai 37, fondée pour l’essentiel sur le dépouillement des archives d’Antonov Ovseenko, consul soviétique à Barcelone, nous permet de retrouver une analyse des événements conforme aux canons propagandistes staliniens : le vecteur soviétique ne joua aucun rôle dans l’affaire et les communistes espagnols définissaient seuls leur ligne politique. Cet expert en géopolitique internationale fasciné par Staline, « maître en tactique en stratégie », conteste fébrilement les arguments avancés par Burnett
Bolloten (
La guerra civil española: Revolución y contrarrevolución, Alianza Ensayo), qu’il déteste par-dessus tout, mais sans y apporter d'argument probant. Rétablir l'ordre, c'était l’Armée populaire traquant les irréductibles de la militarisation, les tueurs d’Enrique Lister détruisant les collectivités d’Aragon, la petite propriété rétablie, les prisons républicaines remplies d’antifascistes, l’État triomphant, l’économie rendue au marché, l’écrasement de tout projet émancipateur longuement réclamé. Peu importe que cette République ait failli de bout en bout, cassé l’enthousiasme populaire, créé la pénurie, accru les inégalités, perdu la guerre, l’important c’est qu’elle ait écrasé la révolution. Le point de convergence pour l’historiographie poststalinienne aussi bien que pour la néo-libérale, se situe encore et toujours dans une même détestation du processus révolutionnaire entre juillet 1936 et mai 1937. Le retour de l'ordre remettant à l’envers ce qu’une révolution libertaire avait tenté de mettre à l’endroit, restituant au pouvoir ses attributs piétinés par le peuple (à qui on avait donné des armes !), replaçant sur le devant de la scène des politiciens corrompus débordant d’incompétence avant et après la guerre, renvoyant au néant toute perspective de libération des exploités. Ferran Gallego et Ángel Viñas, que bien des choses séparent, représentent magistralement le camp d’un ordre capable, il y a quatre-vingt-cinq ans, de subordonner sa propre défaite, celle de la République, à l’écrasement de la révolution. Contre les mystifications néo-franquistes qui leur font face, ces éminences universitaires rêvent de foudroyer le fantôme de Franco avec des revenants injustement battus, à leurs yeux.
Les révolutionnaires, eux, ils sont déjà morts depuis longtemps, neutralisés, fusillés, déportés, internés par les deux camps. Les survivants ne touchèrent pas un centime des sommes perspicacement réservées par les honnêtes par définition à
l'aide humanitaire des vaincus. Contrairement aux interprétations de Gallego et Viñas et de quelques autres
ejusdem farinae, ce n’est pas en rembobinant le film de l’histoire à coups de mémoire historique, aussi rigoureux semblent-ils, qu’on tiendra tête aux défis du présent. Juan Negrín fut réhabilité par un congrès de son parti en 2008 : on lui rendit des honneurs et il fut restitué dans ses biens… En revanche, pas de trace d’enregistrement des trésors « évacués » par ses soins au Mexique sans contrôle douanier sur le yacht « Vita », habilement subtilisés à l’arrivée à bon port, piloté par un « proche du PNV »,  grâce au rival de Monsieur Negrín, Indalecio Prieto, très pote avec M. Lázaro Cárdenas, l’intègre président du Mexique à l’époque. Lire, si on en a l’envie et le temps, l’œuvre de Francesc Gracia et Gloria Munilla, El tesoro del Vita. La protección y el expolio del patrimonio histórico-arqueológico durante la Guerra Civil, Edicions de la Universitat de Barcelona, 2014.

La Vanguardia española 25 de Marzo de 1977, p. 7 


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Mare de boue 2050. Notre pays est en quelque sorte devenu une mare de boue. D’une manière générale, le monde est de plus en plus dirigé par des ignares, des cinglés et des psychopathes. Nous avons plus de détraqués que jamais à la tête du monde. C’est un foutoir incroyable. Les tweets de P. Sanchez sont des torchons à mettre aux chiottes. Voici comment ça fonctionne : il envoie un tweet. Les informations câblées le répètent immédiatement. Et en général, les journaux répercutent encore et encore le message mais c’est est un secret de polichinelle à Madrid que le gourou Iván Redondo a perdu la main, après la raclée électorale du 4 mai et n’est plus aussi affûté qu’avant. Beaucoup de gens le savent. Si j’étais socialiste, j’arrêterais de me préoccuper de PS et je commencerais à parler au peuple d’emplois et de soins de santé. On a écrit beaucoup de choses sur PS et sa formation d’une majorité en collant les incollables, grâce à son ingéniosité manœuvrière, vue comme un signe « d’espérance et de changement ». En dépit de tout son pouvoir médiatique, PS n’a pas provoqué beaucoup de changements concernant la vie des gens qui avaient voté pour lui. Il a continué la politique de Zapatero en pire. Son accession au pouvoir, quelle qu’en soit la vérité, ça n’a aucune importance. Parce que, une fois que les journaux ont une histoire, ils en écrivent leur version et cela devient la vérité. Après, c’est tout simplement comique de voir comment les journalistes sont menés en bateau. Et bien sûr, les efforts que la Moncloa déploie pour les manipuler. La presse méritait toute sorte de câlins quand PS était une star de l’opposition, elle a été un excellent tremplin pour lui. Après, c’est la pluie des subventions aux diseurs de vérité d’où qu’ils viennent. Le peuple est incapable d’arrêter de croire tout ce qu’il entend et il ne se pose pas de questions : tout le monde savait que PS ne savait absolument pas de quoi il parlait et qu’il était un tricheur, comme l’autre opportuniste qu’il avait sur le dos. Mais avec Lui, on n’était plus dans le même vieux format de Rajoy, avec Lui, c’est grand sourire, langue de bois et bonnes paroles tout le temps… Les socialistes sont allés partout en racontant : « Nous sommes pour le peuple, pour les petits. » Et tout ce qu’ils font, c’est de courir comme toujours pour récupérer des sous. Et les seuls qui n’en ont pas besoin ont été expulsés par la Ejecutiva Federal socialista. Les gens qui pensent encore que le monde est plat alors qu’en réalité la terre est ronde, comment leur expliquer ce qu’ils ne veulent pas entendre ?