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jeudi 14 septembre 2023

En septembre, les feignants peuvent s'aller pendre.

 

Séance cinéma insupportable : aller-retours de spectateurs aux chiottes, leur portable comme lampe de poche, bruit de conversations à tue-tête et de mastication sans complexe. Et ça ne chouine plus chez les propriétaires de cinémas dès qu’on peut de nouveau manger des cochonneries dans leurs salles. Il semble que ce soit ça qui rende rentable cette activité dite culturelle alors qu’il s’agit souvent de simple distraction. Quand je fréquente ces lieux, je ne peux pas m’empêcher de pester contre le bruit des grignoteurs. Dommage que l’interdiction de l’époque du covid ne soit pas devenue définitive ! Curieux, tout de même, comme un simple bruit ininterrompu de mastication peut donner au misophone, perdant le fil de son raisonnement, des envies de meurtre.
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Discussion (brève, après Oppenheimer). Il me semble impossible et néfaste de séparer la croyance de la connaissance. C'est l'erreur du scientisme actuel qui gouverne partout. Or, aucune connaissance n'échappe à la croyance, et si elle le prétend, elle est une croyance redoublée. Tout savoir peut être repris dans sa dimension de croyance et de conviction. La fidélité au vivant ne se laisse pas perdre par l'observation et les faits bruts ne peuvent être analysés que par la pensée et un sujet. Entre l’un et l’autre, Kierkegaard établissait un lien : « Penser est une chose, exister dans ce qu'on pense est autre chose. » Exister dans ce qu'on pense, dans ce qu'on fait, dans ce qu'on enseigne, dans l'amour, dans la haine …  Croire et savoir. Partage indissoluble. 

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Fragilité de nos corps. Ma nièce, attrapée elle aussi, comme R., par une sorte de cancer. Il est silencieux, le traître, la plupart du temps, mais ce silence n'est silence que pour l’extérieur. Dans nos corps, il s’exprime par des symptômes que notre cécité ne capte pas comme le fait un spécialiste. Pourtant, nos organes font constamment du bruit, ils s'expriment sans cesse, ils ne connaissent pas le repos, eux, et quand on entend un cœur qui bat, on est drôlement affolé.

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Anniversaire de R. Notes-souvenir (suite) des nuits d’hôpital d’à peine six mois. Chambre, bruits des couloirs, seuls dans un espace réduit avec des appareils partout, avec des fils et des tuyaux partout. J’observe les infirmières et « ma » malade. Tout le monde est très gentil. On se croirait presque dans le monde d'avant. J'hésite à appeler, comme l’infirmière n’a pas arrêté de me dire, parce que j’ai l’impression de déranger en quelque sorte. Si j'appelle, si je leur explique le motif de mon appréhension, ils vont revenir, faire plus d'examens. À trois reprises, on se retrouve avec une voisine de lit, dont on ne voit que les pieds à travers le rideau de séparation et une partie des jambes. En revanche, j'entends beaucoup les ronflements de l’une d’entre elles, et les voix d’une autre, collée à son portable. Elle communique en basque avec son mari et ses enfants qui viennent de la quitter. Une voix étouffée, ronde, alourdie par la fatigue. Dans la pièce, des bips différents, qu'on peut classer en deux catégories. De très jolis bips, discrets, bref, sobres, qui ressemblent aux cris de ces animaux nocturnes qu'on entend parfois la nuit, à la campagne, et qui ont tant de charme et d'élégance dans leur simplicité essentielle. Et puis d’autres bips, beaucoup plus stridents mais qui forment avec les premiers une jolie polyrythmie que je trouve rassurante tant qu’ils ne s’arrêtent pas. J'aime cette surveillance accompagnée de bruits, ils me portent, ils me guident au travers la nuit qui passe. Visites des infirmières et nouvelles prises diverses que je ne comprends pas. Elles m’expliquent. Pas photo avec les cons du cabinet dentaire d’Irun : personnel pas gentil du tout mais maladroit. Ils doivent s'y reprendre à trois fois pour l’anesthésie du maxillaire et ils le font toujours de travers ; R., très polie leur annonce que l’anesthésie ne marche pas puisque les piqûres qu'ils lui ont faites n’ont pas pris. Mais ils s'en foutent. « Ça fait mal, Madame, il faut supporter ». Simultanément : mauvaise praxis, négligence, nullité professionnelle et connerie arrogante. Personnel jeune et sans expérience, sous payé par les vampires qui les recrutent sans scrupule. Trop pour le prix que ça coûte ! Je ne leur en veux même pas : changement illico de clinique dentaire ! Vers huit heures du matin, visite de la cardiologue. Décontractée, souriante, elle est loquace et veut se faire comprendre. Ça tombe bien, je vois bien que les réponses à R. sont rassurantes et qu'il peut même s'engager un semblant de dialogue entre nous, moi, complètement ignare, elle prête à me laisser parler, ce qui est déjà énorme. Je garde dans ma tête le bref dialogue – pour ce qui me concerne – avec le cardiologue d’Irun expliquant ce qu'est un remplacement de valve aortique. J’avais toujours peur de lui demander quoi que ce fût vu qu’ils n'ont pas beaucoup d'humour, ces médecins. On les dérange quand on leur demande des détails sur leur diagnostic. En tout cas, il n'a pas hésité une seconde, lui, avant de dire à R. qu’elle avait intérêt à faire vite. Les quelques mois écoulés depuis sa dernière intervention pour son cancer d’utérus et de son traitement, qui fut une réussite, n’ont rien à voir avec la situation d’aujourd’hui. Faut pas confondre. Il lui parle des examens qu’elle va devoir faire très vite et qu’il est hors de question de laisser traîner. En juin, après le cauchemar, un gentil cardiologue tout guilleret a donné à R. le meilleur traitement post-opératoire qui soit : la marche ! La marche remet les organes à leur place, c'est-à-dire qu'elle les soumet à la loi du corps, qui lui-même est soumis à la loi du vivant, qui ne se laisse pas impunément segmenter. Bref, l’orage passé, on ne lui en veut pas du tout, au cœur de R.  C'est tout de même extraordinaire ce qu’elle a réussi depuis avril 2023, tout de même, avec toutes les émotions que nous avons traversées, elle et moi. Non, c'est un bon cœur, qu’elle a là, solide et fidèle.

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« Abriter en sa maison ce trésor que représentent un père ou une mère, ou le père et la mère de ces derniers, que l’âge réduit à l’impuissance, c’est avoir, que personne n’en doute, se dressant au cœur même de son foyer, une statue que nulle autre ne surpasse en puissance, à la condition en tout cas que son possesseur lui rende correctement le culte qui lui est dû. » 
Platon, Les Lois, IX

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Montaigne, qui avait des avis sur tout et y compris sur ce à quoi il ne connaissait rien, en rajoute, dans son essai sur les Cannibales : non seulement les Indiennes ignorent la jalousie, mais au contraire des Européennes, qui mettent tout leur zèle à éloigner de leur mari les autres femmes, celles-là mettent tout le leur à les en rapprocher («C’est une beauté remarquable en leurs mariages, que la même jalousie que nos femmes ont pour nous empêcher de l’amitié et bienveillance d’autres femmes, les leurs l’ont tout pareille pour la leur acquérir»). Les expériences de la vie n’ont pas souvent permis de constater une telle libéralité dans la psychologie féminine, ni d’ailleurs dans la masculine. La question n’est guère débattue, bien que la polygamie tende maintenant à se répandre en Europe sous l’influence de l’immigration et si on interroge Google au sujet de la jalousie entre co-épouses, surprise : nos amis progressistes, d’ordinaire si prompts à s’extasier devant les merveilles des cultures différentes, paraissent totalement muets, en tout cas absents de la première page de résultats.

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La fiction inspire la défiance. Abandonner, ne serait-ce qu’un peu, des idées que les gens croient leur être propres serait une atteinte intolérable à leur sécurité essentielle, une méchante brèche dans la haie, qu’ils présument infranchissable, délimitant leur périmètre existentiel. C’est de là, peut-être, que vient leur désamour fondamental pour la littérature, qui ne délivre pas de vérités, qui sape les croyances et qui complique les relations que nous entretenons avec le monde, incapable qu’elle est de tirer des traits droits et univoques entre les choses et nous, entre nos sensations et nos représentations. Les phrases écrites nous attendent alors que nos opinions nous précèdent, et c’est bien ce qui est pénible, quand l'écrivain a affaire à des gens habillés de pied en cape par leurs convictions, qui les recouvrent complètement, sans qu’aucune partie de leur être ne se présente libre, à nu, aux dangers de l'écrit. Les rapports entre les humains pourraient être beaux, si « la société » ne s’en mêlait pas. Mais nous sommes incapables de nous soustraire au regard social qui pèse sur notre nuque dès que nous quittons notre solitude, notre individualité. « Nous voulons vivre dans l’idée des autres d’une vie imaginaire » a écrit Pascal.

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Les imbéciles ont toujours des explications simples qui répondent merveilleusement mal aux questions complexes. Ils aiment répondre à côté.

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Quel exemple de décentralisation ! (sic) Un ami et ancien collègue de l’Université prétend me fournir des renseignement sur l’eurorégion NAEN. Que j’avais connue, et où j’avais participé activement depuis sa mise en marche, en sa version AEN. À l’époque, la Navarre était plutôt froide, elle boudait les réunions craignant sans doute de tomber dans l’escarcelle nationaliste basque. Je rassure mon ancien collègue, très emballé par l’existence de cette nouvelle (?) collectivité territoriale. En janvier 2021 les départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin ont fusionné pour être remplacés par la Collectivité Européenne d’Alsace. Tout aurait été beaucoup mieux, et naturel, pour eux si l’Alsace avait accédé à l’indépendance, exactement comme l’ont eu obtenue, un peu par hasard, les Luxembourgeois. Elle forme un ensemble culturel et linguistique suffisamment cohérent pour former un pays. Culturellement, elle est germanique, version Saint-Empire romain germanique, un assemblage hétéroclite de principautés et de duchés, mais sans entretenir de bons rapports avec l’Allemagne depuis que les Prussiens ont eu l’idée de vouloir la réunifier. Il faut d’ailleurs remarquer que les thuriféraires de l’UE ont toujours eu un double discours : promettre à la France que l’Union serait une grande entité bien centralisée, car les Français sont historiquement persuadés que plus le pouvoir est centralisé, et plus on est fort et promettre aux anciens du Saint-Empire que l’UE sera une Europe des régions, laissant un maximum de libertés aux différents régions économiques.

En Belgique, la propagande de l’UE était principalement axée sur cette Europe des régions, notion peu développée en France. L’Allemagne a conservé une mentalité décentralisatrice, grâce à sa structure fédérale et ses länder, mais depuis peu, l’UE rogne sur leurs prérogatives, ce qui est inhérent à toute structure bureaucratique. La France n’a plus jamais été structurée de manière décentralisée depuis la Révolution. La fameuse nuit du 4 août, célébrée par la république, consistait à supprimer les privilèges, en particulier fiscaux, de la noblesse et du clergé, mais surtout, et on l’oublie trop souvent, à abolir les chartes de privilèges accordées de longue lutte depuis des siècles par le pouvoir central aux gouvernements locaux : parlements régionaux, chartes communales, etc. Le principe des révolutionnaires était : il faut que chaque région, chaque province, chaque ville, soit gérée pareil. Et Napoléon en a scellé le principe quelques années après, car sa vision des choses était qu’un pays en guerre doit avoir un lieu de décision unique. Plus tard, Bismarck a fait pareil en Allemagne, avec le succès qu’on sait pour les deux générations qui ont suivi. Cette nuit du 4 août est le véritable point de départ de beaucoup de malheurs de la France, le début de sa centralisation absolue. Avant ça, même Louis XIV devait avoir l’assentiment des parlements régionaux, qui faisaient sans aucune gêne leur boulot en préservant les intérêts locaux contre des décisions royales quand ils l’estimaient nécessaire. Et les combats étaient parfois durs, mais jamais le roi n’a tenté de les faire taire définitivement. Pour revenir à nos moutons « naénesques » : la multiplication des eurorégions ne dépasse pas les limites de l’encouragement à la coopération transfrontalière pour donner l’impression d’une forte coopération qui a du mal à se concrétiser dans la vie réelle.

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Tiens, en évoquant la Révolution (1). La première république française est née sous la terreur, ce qui est un indicateur, quand même. Le système républicain, en soi, n’est ni plus ni moins pervers qu’un autre. En France, il était corrompu depuis le début grâce à ce qu’on a appelé la philosophie des lumières sorte de fourre-tout dans lequel se sont engouffrés tous ceux qui voulaient changer l’homme afin qu’il soit enfin conforme à leurs fantasmes. Et ça a débouché sur toutes les horreurs du XXème siècle. Cette philosophie des lumières était également l’inspiratrice de la constitution américaine. On la retrouve donc à chaque fois à l’origine du mouvement, au point de se demander si le principe républicain est concevable hors de cette philosophie. Qui repose sur une méprise tragique, à savoir que l’homme est bon à l’état de pure nature. Rousseau avait émis ce postulat qui se retrouve également chez Diderot (Supplément au Voyage de Bougainville, pur joyau de suffisance et d’hypocrisie) et chez Voltaire. De fait, la constitution américaine est bien d’inspiration des lumières et son esprit franc-maçon n’est plus contrebalancé aujourd’hui par une conscience religieuse forte.

Façade de Saint-Roch, théâtre d'un massacre sanglant

(2) Je vois passer les ans et l’année 1789 est toujours présentée au lycée comme un exemple de situation où des pauvres qui voulaient du pain avaient pris les armes et réussi à faire cracher les riches et obtenu par là des libertés pour le bonheur de tous et la prospérité d’un pays florissant. Je me rappelle le bicentenaire : les vitrines avec des cocardes, les posters de sans-culottes, les banquets mélangeant gastronomie et révolution, etc. Pas un mot sur la Terreur, plutôt fêtée et « progressiste », ni sur l'inéluctable (Saint-Roch, 5 octobre 1795), ni sur la nature du pouvoir, de l’autorité, de l’ordre, de la légitimité, pas un mot sur les inquiétudes déjà bien présentes et les mises en garde des esprits éclairés, jamais cités. Mais bien l’accent sur les milices populaires et les futurs massacreurs de septembre 1792. À propos d’autres événements historiques, il n’y a qu’à voir comment est présentée partout la Commune de Paris sous son plus beau visage. Le nombre d’établissements placés sous le vocable de Louise Michel, évoquée comme institutrice féministe. Or, ce qui la distinguait, c’est qu’au retour de Nouvelle Calédonie, elle a eu une carrière de prêcheuse sous chapiteau où elle lançait des appels au meurtre et au massacre un soir après l’autre. On présente toujours aux lycéens les différentes révolutions qui se sont succédé (russe, mexicaine, espagnole, cubaine …) comme autant d'exemples de situation où des pauvres qui voulaient du pain avaient pris les armes et réussi à faire cracher les riches et obtenu par là des libertés pour le bonheur de tous et la prospérité, tout en oubliant soigneusement les épisodes qui fâchent. C’est ça, l’endoctrinement, former des progressistes à la pelle depuis des générations. La fascination tordue pour les monstres criminels est un symptôme de maladie sociale. On n’adule pas Untel malgré ses crimes, mais en raison de ses crimes, surtout en les minimisant « dans leur contexte ».

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Auto-invitation par surprise. Quand j'entends qu'on envisage de me faire l'honneur de me rendre visite, genre « on passera te voir », je me mets à trembler. Ces mots me laissent perplexe au plus haut point. Après deux convalescences sérieuses de R., sans visite ni appel, à l'exception d'un vague et paresseux « tu nous tiendras au courant » mécaniquement répété (ça ne mange pas de pain !), une telle disponibilité unilatérale et soudaine m'irrite au plus haut point. Je ne vois pas ce que j'aurais à partager, à part le discret confort de mon chez moi, qu’on imagine subitement ouvert à ceux qui ont pensé à moi pour me faire généreusement chier, mais pas du tout pour un peu de compagnie dans les moments difficiles récemment traversés. J'ai passé ma vie à réclamer, et à appliquer, soit dit en passant, le plus strict principe de réciprocité : si je dérange, je dois admettre qu'on me dérange ; si je suis casse-pied, je dois consentir à la lourdeur d’autrui ; si je fais preuve de largesse (ça m'arrive !), j'espère me rendre créancier des largesses de quelqu’un d’autre … Mais qu’on cherche à m'importuner impunément alors que j'ignore même l’existence du raseur, c'est quelque chose qui dépasse mes limites d'endurance et cela me fait penser que certains humains sont des larves tenaces creusant leurs galeries jusqu'à ce qu'ils atteignent leur objectif.

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Bibliarekin bueltaka. La Bible n’est pas un livre mais une bibliothèque. Elle rassemble des livres d’auteurs, d’intentions, de langues et de genres littéraires très divers, dont la rédaction définitive s’échelonne sur près de neuf siècles. Et, parmi ces livres, certains reprennent des traditions antérieures de plusieurs siècles à leur rédaction définitive. Le Pentateuque découle d’une tradition qui remonte à Moïse et son principal objectif est de donner une loi au peuple d’Israël. Les Livres des Rois sont des livres à prétention historique. Les Psaumes sont des poèmes et des prières. Les Évangiles sont des récits-témoignages etc. La variété de certains détails, la divergence de certaines formulations est d’abord une preuve de l’existence d’un « fond » qu’on creuse depuis des siècles, de prise en compte par les différents auteurs de leur public et de l’objectif de leurs ouvrages. Cette variété montre aussi, a posteriori, la fidélité dans la transmission séculaire des textes, qu’il s’agisse de tradition orale ou de tradition manuscrite. Comparer la Bible ou les Évangiles à telle œuvre de tel auteur, voire à toute l’œuvre d’un auteur, voire à l’ensemble des ouvrages d’un mouvement littéraire ou idéologique serait pure et simplement réducteur et absurde…

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11 septembre. « La guerre américaine contre le terrorisme a tué près de 5 millions de personnes et en a déplacé près de 40 millions. Personne n’en a rien à foutre, personne n’est tenu pour responsable, tous les principaux criminels sont devenus extrêmement riches et sont toujours au pouvoir pontifiant sur la démocratie et les droits de l’homme et profitant des nouvelles guerres chaudes et froides contre la Russie et la Chine. »  (Mark Ames, in X – ex-Twitter)