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vendredi 14 août 2015

Les peuples civilisés fusillent-ils des poètes ?

« Les peuples civilisés fusillent-ils des poètes ? »
(Jacques Isorni dans sa plaidoirie pour Brasillach)

Longtemps, au lieu de me coucher de bonne heure, je me couchais très, très tard. Entouré de livres où tout se mêlait et les genres se confondaient dans les rayons et sur la table : poésie, science (peu), roman (beaucoup), essais (plus que beaucoup), théâtre. Chaque lecture s'encombrait d’autres à n’en plus finir jusqu’au moment où tous ces milliers de pages m’ont paru superflus, inutiles, froids, inertes. Il fallait déchanter, penser à autre chose. 

Autres auteurs, autres lubies, autres besognes pour soutenir l’absurde épique de la vie quotidienne, au jour le jour. Et pourtant, si la désillusion a estompé tant de choses, un souvenir décoloré m’est passé dans la tête en récupérant trois vieux Folios de Claude Roy, que j’avais lus assidûment depuis l’été 1979 : Moi Je, Nous, Somme toute. Aussi étrange que cela puisse paraître, par ces textes m’est venue l’envie de lire Brasillach. Ses poèmes, ses romans, ses textes de cinéma, ses pièces de théâtre… Claude Roy, qui travaillera pour la Radio de Vichy, évolue rapidement du fascisme vers le communisme. Brasillach restera fasciste jusqu’au peloton d’exécution.


Entre autres livres gardant la trace de certains enthousiasmes passagers, j’ai rouvert récemment ces pages-là. Des scènes de guerre soutenant pour l’un et pour l’autre des tableaux d’histoire entre l’absurde et l’épique, entre l’abjection et la grandeur. Les textes de l’un ou de l’autre ont déserté les mémoires et les jeunes générations ignorent les passions qui les ont fait naître, écrasés sous des valeurs esthétiques fermées à toute forme de méditation que des bourgeoisies impitoyables et aveugles, responsables partout du délabrement total des littératures, ont cru devoir imposer à l’enseignement, devenu pour ce qui est des humanités, un pur spectacle : les nouvelles intelligentsias ont des réponses à tout d’autant plus efficaces que les questions n’existent plus parce que tout se vaut.

Je ne pense pas avoir besoin de dire que je crois à l’efficacité de la lecture directe (méthode revendiquée par le regretté Manuel García Viñó) comme seule formule valable contre la fatalité des orientations réglées sur « de bons sentiments », contre toute sorte de boniments théoriques sans autre fondement que les toquades d’un chef de département – ou de son clan – en mal de publication ou contre des apriori idéologiques. La lecture qui résulte d’une tension entre des pôles multiples et souvent contradictoires fonde par là même, par son ampleur, une supériorité sur toute critique moralisatrice, progressiste, scolastique…

Au-delà de la phraséologie politiquement correcte, fondatrice d’une doxa rhétorique de la plus mauvaise espèce par rapport aux vaincus en 45, il ne me fallait pas faire appel à des phrases lapidaires serties de mots susceptibles d’être collationnés automatiquement à l’armature d’idées figées imposées par les vainqueurs. Une longue tradition oblige par exemple à déféquer régulièrement sur Céline pour écarter toute suspicion d’accointance avec le racisme ou l’antisémitisme partant du fait même de le lire. Comme si lui reconnaître du talent exigeait automatiquement un acte de pardon ou une forme d’oraison jaculatoire inversée, par la répétition des pires invectives sur sa personne.


Trente-cinq ans après ces premières lectures, comment intéresser les élèves (les amis, les collègues…) d’aujourd’hui, heureux citoyens de nos démocraties de marché, par une pratique de lecture des méchants ? Surtout qu’une telle proposition ne se veut le moins du monde comme une « transgression ». Encore moins comme « subversive ». Du tout. Il nous semble que la transgression aujourd’hui ne dépasse jamais le périmètre du Moi (formule de Vaneigem : « projet de jouissance de soi et du monde »). Un Moi  qui veut absorber tous les espaces mais coupé du monde politique. Même pas apolitique : anti-politique puisqu’il n’a plus que faire de l’État (nations et patries définitivement ringardisées) ni des affaires publiques tant qu’il ne peut pas s’occuper en exclusivité de ses propres affaires. 


L'exécration de toute idéologie exclut même tout débat entre personnes : selon l'étymologie traditionnelle, « personne » vient du latin persona, terme lui-même dérivé du verbe personare, qui veut dire « résonner », « retentir », et désigne le masque de théâtre, le masque équipé d'un dispositif spécial pour servir de porte-voix » (Enc. Universalis). La persona donc est masque et résonateur dans un ensemble, pour apparaître en société, pour la vie avec d’autres. Si le dispositif en réticule interindividuel ne tient que par des liens de consommation, toute notion de « grandeur » ou d’« héroïsme » sont dépourvues de sens, tout modèle de comportement est à détruire et tous les critères de comportement sont également bons.



Robert Brasillach écrit à Jacques Isorni, son avocat, le 13 janvier 1945 :

« J’ai pensé au témoignage de Claude Roy. Je ne sais pas s’il s’y décidera (mais, dans ces conditions, pourquoi est-il venu vous voir ?) parce que c'est en somme mettre dans sa bouche l’éloge de la « collaboration ». À mon avis, s’il avait le courage de le faire, il faudrait vraiment qu’il répète exactement ce que vous avait écrit Maurice et surtout qu’il ne gâche pas son effet par quelques faux-fuyants du genre : « j’ai toujours désapprouvé son action, ce n’est pas du tout mon avis, etc. ». Il a naturellement à dire qu’il était de la Résistance et même que je savais qu’il avait écrit dans les Lettres Françaises clandestines. Mais je crois qu’il faudrait qu’il n’accentue pas sa « désapprobation ». Ce sont là des conditions si importantes et qui me paraissent exiger un tel doigté, que je pense que je n’ai guère à compter sur ce garçon charmant et léger. Ça m’aurait fait plaisir, pourtant, en souvenir de nos rencontres d’autrefois, avant la guerre, et même pendant la guerre, quelques jours avant le 10 mai. Et, puis, parce que j’aime la fidélité. Mais je me souviens d’être méfiant. »


Claude Roy laissera tomber Brasillach.
L’avocat Isorni, qui ne connaissait Brasillach avant le procès et se chargera de le défendre par devoir professionnel, écrit à propos de sa réaction (ou plutôt non-réaction), en 1947 : « Je n’ai connu qu’un jeune lâche qui devait tout à Robert Brasillach et qui l’a abandonné et renié odieusement, sans même en tirer un profit quelconque. »

Claude Roy adressa alors, se reconnaissant dans l’allusion : « Monsieur, 
Ceux à qui je dois, outre le jour, d’avoir été élevé dans les sentiments disons : réactionnaires, me mettent sous les yeux, avec, bienveillance, l’ouvrage que vous consacrez à Robert Brasillach et les lignes où sans me nommer vous prétendez me flétrir. Vos insultes n’appellent pas de réponse, mais les faits. J’ai cru un moment pouvoir céder à la pitié et me souvenir que jadis Brasillach avait été mon camarade. Les hommes auxquels je dois d’avoir depuis six ans la conscience intacte et la vie m’ont demandé de ne point céder. Le père de ma femme a été assassiné par les Allemands sur la dénonciation d’un lecteur de Brasillach. Mon plus cher ami est mort fusillé, sur la dénonciation de Je Suis Partout. Je pouvais avoir en mon nom pitié, oublié qu’à Brasillach je devais, en définitive, de m’être réveillé en 1940 au bord de la trahison. Mais je ne pouvais en leur nom accorder un pardon et une signature qui les eussent reniés, eux, dont Brasillach n’eut pas pitié, lui. »

Ce qui mérité réplique immédiate d’Isorni :

« Monsieur, Les faits dont vous me parlez appellent d’autres faits. 
Vous êtes venus me voir spontanément à mon cabinet. Vous m’avez dit votre affection et votre gratitude pour Brasillach. 
J’ai sollicité votre témoignage. 
Vous m’avez répondu par l’affirmative, en me demandant toutefois de consulter quelques amis. 
Mais, pour bien me montrer votre amitié envers Brasillach, vous m’avez dit que vous me feriez parvenir quelques paquets de cigarettes afin que je les lui remette. 
Puis, vous vous êtes ravisé et, sans doute après avoir consulté quelques amis, vous ne m’avez pas envoyé les cigarettes promises. 
Lorsque Brasillach fut condamné à mort, j’ai cherché partout, et surtout chez ses adversaires, des hommes qui voulussent intervenir en faveur de sa vie. Thierry Maulnier s’était chargé de recueillir les signatures. 
Vous avez donné spontanément la vôtre puis ensuite, après consultation de quelques amis j’imagine, vous avez prié qu’on la retire.
Lorsque vous aviez tant de bons mouvements, vous n’ignoriez pas que le père de votre femme avait été assassiné et votre cher ami fusillé par les Allemands. 
Vous ne m’en aviez pourtant rien dit quand vous êtes venu me voir.
J’ai donc pensé que ces mouvements spontanés montraient une âme et que tant de retraites montraient aussi de la lâcheté. 
Je n’ai parlé que de la lâcheté. 
Les bons mouvements auraient pu vous nuire…
Peut-être aurais-je pu vous nommer. 
C’était bien inutile puisque vous vous êtes reconnu.
Croyez-moi, Monsieur, on ne regrette jamais d’être intervenu pour la vie d’un camarade ou même d’un adversaire.
Si d’aucuns parmi vos amis m’accusent de jugement hâtif, sans doute pourriez-vous les lire cette lettre. Jacques Isorni »

Le co-protagoniste de cette histoire, évoque, lui, beaucoup d’années plus tard dans ses Mémoires qu’il intitule Moi Je, « les générations coincées » et Brasillach pparaît sous les traits peu flatteurs de quelqu’un qui réclame la mort pour un adversaire : « L’heure où Péri se prépare à aller au poteau et Brasillach à demander qu’il y aille (« Qu’attend-on pour fusiller les chefs communistes déjà emprisonnés ? 25 octobre 1941) ». 

Quelques pages après, l’évocation de l’ex-ami s’enrichit toujours des nuances : 

« Brasillach était en littérature comme un ours est en ruche de miel. 
Une gourmandise allègre le portait sans relâche de Sapho en Colette, de Giraudoux en Claudel, se léchant les babines avec délectation, absolument imperméable à l’inquiétude, et caressant si gentiment la tragédie, qu’à la fin Antigone elle-même se met à ronronner avec Créon, avec la mort, avec la colère. 
Son optimisme faisait feu de toute joie. J’étais séduit par son plaisir d’aimer, d’aimer les beaux livres de près, les jeunes femmes d’un peu loin, Ludmila Pitoëff de l’autre côté de la rampe et, toujours plaçant à distance de lanterne magique les êtres de la vie. 
Mais je regardais avec une stupeur croissante, quand sa bonne humeur un peu molle et gracieuse s’exaltait en niaiserie : “ Et poète aussi, poète allemand, cet Hitler qui invente des nuits des Walpurgis et des fêtes de mai, qui mêle dans ses chansons de marche le romantisme du myosotis, la forêt, la Venusberg, les jeunes filles aux myrtilles fiancées à des lieutenants de section d’assaut… Et poète le Codreanu des Roumains avec sa légion de l’archange Michel ! Et poètes, ces Espagnols de Primo de Rivera, avec leurs chansons populaires où se croisent la rose et l’épée ”  
Ces contes bleus en chemise brune me laissaient bouche bée.

Quelques lignes plus loin, il confesse à Jean Paulhan (qui signera la pétition de grâce adressée à De Gaulle et dénoncera sans hésiter les excès de l’Épuration : cf. sa Lettre aux directeurs de la Résistance) avoir été averti par Pierre Gaxotte (une autre tendre plume, un autre ex-ami de Je Suis Partout, férocement antisémite et pronazi, que la gouaille populaire avait converti en « Je Chie Partout »…) « qu’autour de Brasillach gravitaient des agents allemands ». 
Paulhan lui confirme, « dit avec des fleurs de Tarbes », ses appréhensions et le met en garde : loyal, gentil, courageux, «… eh bien vous êtes une proie pas trop difficile pour les (vrais) agents de l’étranger ». 

Et, cette fois-ci, c’est la parenthèse enfermant « vrais » qui laisse rêveur. 

Cela veut dire que Brasillach, fasciste déclaré sans ambages ni atermoiements et fier de l’être, n’en est pas un à part entière ? Ne serait-il par hasard un peu patriote à sa manière ?

À en croire Claude Roy, Paulhan « semblait juger Drieu sans nul ressentiment. Il s’étonna de mon étonnement. Me fit grand éloge de l’impétuosité de Drieu, de sa droiture (…) Je fus soudain ébloui (…) Cet esprit compliqué (…) nourrissait dans son cœur un sentiment tout simple : le patriotisme. J’en fus réchauffé ce jour-là jusqu’au creux des os ».

Mais, venons-en aux faits : Brasillach est-il ami ou non de Claude Roy ? Ah ! Bonne question ! Après tant de micmacs, on arrive à la partie finale de Moi Je

Là, belle éclaircie avant notre départ vers d’autres textes non moins entortillés d’explications : 

« Quand on m’a présenté la pétition pour la grâce de Brasillach, que j’avais pourtant mille raisons de d´détester, dont j’avais tant de motifs de vouloir ou d’accepter la mort, précisément parce qu’il m’avait auparavant inspiré de l’amitié, j’ai signé sans hésiter. 
Mon ami Pierre Villon était abasourdi : « Quoi, il t’a personnellement dénoncé, et ta femme, dans son journal ; ton beau-père a été déporté, et il est mort, sans doute à cause de ça ; Brasillach a demandé et obtenu la guillotine pour les nôtres ; et toi tu fais le joli cœur, tu demandes qu’on l’épargne ! » Je n’osais pas dire à Villon, dont la femme revenait d’Auschwitz, que j’avais oublié. Même pas pardonné : que je ne me souvenais littéralement plus. 
Quand mon Parti me donna à choisir entre lui, et la clémence, entre la discipline de combat et les beaux sentiments, je n’osai dire à personne que le vrai choix n’était pas pour moi entre la fureur partisane et la pitié. 
Je n’avais plus le moindre sentiment pour Brasillach, et je n’en ai toujours pas, quoiqu’il soit mort bravement, en s’attendrissant beaucoup sur les «adversaires fraternels » qu’il avait éloquemment désignés à Deibler et à la Gestapo. 
Je comprends les raisons que mes camarades avaient de vouloir que Brasillach périsse. Je n’arrivais pas simplement à garder présentes mes propres raisons de le haïr. 
Pendant des années j’ai voulu suivre ma pente en remontant. 
Ma pente était le pardon, même pas : la négligence étourdie, par absence de suite dans la colère.
Je me suis efforcé d’être du côté de Robespierre, alors que j’étais bien plutôt marxiste par la tête, mais girondin d’humeur. 
Quand j’ai « réalisé » quel entêtement Staline avait apporté à massacre mes frères, tuant plus de rouges, somme toute, que des blancs ou de bruns, j’ai consenti enfin à faire de mon indolence à détester non plus une inclination combative, mais une règle de morale provisoire. AUJOURD’HUI, JE LAISSERAI COURIR ET VIVRE BRASILLACH, sans l’aimer davantage, moins par compassion que par fatigue et lassitude. 
Je penserais : « qu’il aille se faire pendre ailleurs. » Pierre Villon, plus amèrement sagace, me répondrait : « Pour qu’il aille pendre ailleurs d’autres de nos camarades ? » (…) Pourtant je ne pratique pas le pardon des injures : seulement je les oublie, et détester fatigue. »

Un autre « ami » de la « bande » de Je Suis Partout, Lucien Rebatet, devra garder toujours une belle dent contre Claude Roy… « le benjamin de Je Suis Partout, premier «jus » blond et bouclé que pour mon extrême remords j’avais fait incorporer un an auparavant à Versailles dans les chars. »
 




En compagnie de Pierre Boutang, de Thierry Maulnier et de Rebatet, Claude Roy, le dimanche 3 septembre 1939, à la déclaration de la guerre, entrent siroter quelque chose dans un bar américain du boulevard Saint-Germain. à la sortie : 

« Dans les ténèbres de la rue, nous nous mîmes à chanter des chansons de route, parce qu’il était réjouissant que autre garçons du pacifisme le plus désabusé fussent à peu près les seuls à chanter la belle guerre et qu’ainsi dans notre souvenir l’absurdité de l’événement serait irréprochable. Il a la barbe rousse. Les poils du cul châtain. Ah ! les godillots sont lourds sur l’sac. les godillots sont lourds ! Pour que la blague fût parfaite, j’entonnais en allemand à plein gosier : « Ich hatte ein Kamerade » et le « Horst Wessel Lied ». Les passants s’arrêtaient médusés. Une vieille grommela : « De quoi ? Ça n’est tout de même pas l’armistice ! » 

Nommé dans Les Décombres, comme nous venons de le voir, en tant que membre du groupe Brasillach, Cousteau, Blond, Andriveau… 

Claude Roy sera évoqué comme « renégat » par Rebatet bien d’années après :

Jacques Chancel : Qu’appelez-vous « renégats » ?
Lucien Rebatet : Claude Roy, par exemple… Il était notre chouchou. Il nous léchait les pieds – il faut bien employer les expressions réelles. Nous l’avons sauvé des camps des prisonniers allemands en 1940, nous l’avons fait passer en zone libre. Il a travaillé pendant trois ans à la radio de Vichy. A la Libération, on le retrouve communiste et le voilà qui refuse de signer pour la grâce de Brasillach… J’appelle cet homme-là un renégat. (http://etudesrebatiennes.over-blog.com/pages/RADIOSCOPIE-1267087.html).

En contrepoint à tous ces beaux débats, il faudrait revenir sur l’attitude d’une vraie victime de Brasillach et de toute la belle troupe de Je Suis Partout : François Mauriac. Et de quelqu’un que ce même groupe encensait comme un génie : Céline.

Céline appartenait à un univers différent de celui de Brasillach en tout. Il était estomaqué par l’attitude sacrificielle de Brasillach se livrant à la mort  - sa mère et son et son beau frère  avaient été arrêtés sans raison, en qualité d’otages pour mettre le grappin sur lui – au lieu de s’enfuir à temps, comme il l’avait fait, avec des papiers allemands, à part nombreuses bisbilles d’ordre personnel : Brasillach préfère en 1932 Les loups au Voyage, il fait une critique sévère de Mort à Crédit comme texte « ennuyeux », etc. 

Céline pense de lui qu’il est « un petit employé zélé de la Propaganda-Staffel, ambitieux, politiqueux, pédaleux néronien ». Céline, qui aime à se prendre lui-même pour victime entre les victimes, geigne sans cesse contre des collaborateurs à peine égratignés mais se met en transe quand il évoque quelqu’un comme Brasillach qui n’a pas voulu échapper à la mort.

Mauriac représente un cas à part.

Tout l’opposait à Brasillach dont l’animosité sinon la haine, la rancœur et la répugnance sous toute forme d’insultes lui sautaient aux yeux. Et on ne parle plus de style ou de différences dans le cadre des visions littéraires différentes. Déjà sensible avant devant une plus que probable condamnation à mort, en janvier 1945, Mauriac se mobilise pour arracher Brasillach au peloton d’exécution qui l’attend. Il avait reçu sa mère, Marguerite Maugis-Brasillach, lui avait promis de l’aide, multiplie les démarches… en vain. Cela venait de loin. Déjà en mars 1936, une lettre généreuse de Mauriac laissait lire : 

«  Cher Robert Brasillach, malgré votre méchanceté, je puis bien vous dire que j’ai un faible pour vous, parce que je n’ai jamais su résister au prestige de l’intelligence chez un jeune homme. » (Jean-Luc Barré, François Mauriac. biographie intime). 

L’intéressé, surpris, répond : « Cher François Mauriac, Je vous ai peu rencontré dans la vie, nous avons dû nous écrire deux ou trois fois, et ce que j’ai publié sur vous n’a jamais été fait pour m’attirer votre amitié. C’est malgré cela que vous avez écrit à mon défenseur une lettre qui a été lue à l’audience, et qui, au-delà des éloges excessifs qu’elle contenait, m’est allée au cœur, depuis que je la connais, par sa générosité et son oubli de tout ce qui nous séparait (…). J’ai pensé au hasard – est-ce un hasard ? – qui faisait que vous étiez en esprit assis au banc de la défense. Quand j’avais seize ans et que je lisais pour la première fois vos livres, Le Désert de l’amour et Le Jeune Homme, je ne prévoyais pas les singuliers chemins qui nous mèneraient l’un et l’autre à cette rencontre invisible. Ce n’est pas moi qui vous aurais rien demandé : il a fallu l’instinct imprévisible d’une mère, le dévouement d’amis. Ils ne se sont pas trompés en pensant que votre cœur crèverait tous les barrages que pourrait opposer votre esprit. Les plus grandes chances sont que nous ne nous rencontrerons désormais que dans l’invisible : si je voulais en douter, les chaînes que je porte, et dont le bruit m’accompagne quand je vais de ma chaise à mon lit, me le rappelleraient à chaque instant. Mai, dans l’invisible, il me semble aujourd’hui que nous nous reconnaîtrons… » (toujours Jean-Luc Barré).

Après l’exécution, le matin d’un 6 février si emblématique pour les fascistes, Mauriac écrit à sa mère : « Votre Robert ne souffre plus. Il est heureux, lui qui est mort purifié, sanctifié. Vous saurez un jour que tout est pour le mieux – que tout est selon la Grâce. Mais, d’ici là, que de souffrances ! Quel calvaire ! Nous avons été nombreux à le gravir auprès de vous. Même pour ses ennemis, même pour ses adversaires (je ne parle pas de moi : il était devenu mon ami…), il restera cet écrivain, ce poète, cet inspiré qui a regardé la mort en face et qui n’a même pas frémi… ».

Beaucoup d'années plus tard, pour le cerveau de l’attentat du Petit-Clamart,
Jean-Marie Bastien-Thiry, Mauriac  se refusera catégoriquement toute intervention : on a menacé la vie de son idole, De Gaulle. Aux condamnés à mort sous son règne, Il ne leur reconnaît (curieuse charité chrétienne !) que le droit à une paix post mortem : sacrifiant leurs vies « à ce qu’ils croient être la vérité, ils sont en paix, du moins pouvons-nous le croire (...). Les meurtriers qui se persuadent que Dieu les approuve et que leur crime accomplit ses desseins, c’est une espèce que notre peuple connaît et redoute depuis Jacques Clément et depuis Ravaillac ».

L’intervention en faveur de Brasillach anticipait les démarches auprès du Général pour son propre frère, Pierre Mauriac, doyen de la faculté de Médecine de Bordeaux et titulaire de la francisque ?

    (tiens, tiens, comme François Mitterrand !) 


Cela méritera peut-être une page un de ces jours…