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jeudi 30 mars 2017

Tapisserie de la routine

J'ai du mal à me représenter un jour sans lecture, et je me demande souvent si je n'ai pas au fond vécu en lecteur. 
Le monde des livres serait alors le monde authentique pour lequel le vécu ne représenterait que la confirmation espérée et cette espérance serait sans cesse déçue.

 Ernst Jünger, "Soixante-dix s'efface", vol. IV (1986-1990)

L'étude a été pour moi le souverain remède contre les dégoûts de la vie, n'ayant jamais eu de chagrin qu'une heure de lecture ne m'ait ôté.

Montesquieu


On ne peut avoir l'âme grande ou l'esprit un peu pénétrant sans quelque passion pour les lettres. 
                                                   Luc de Clapiers
  

Lire ne sert à rien. 

C’est bien pour cela que c’est une grande chose 

 


J'ai connu les plus vastes et les plus belles bibliothèques d'Europe, celle de Vienne, al Mazarine. N'est-il pas curieux que dans aucune je n'aie jamais eu envie de demander un livre, de m'installer, de me plonger dedans, et même que je n'aie qu'un désir, après avoir jeté un coup d’œil, admiré l'ordonnance ou la splendeur des lieux : me sauver ? 
Ce n'est pas là, pour moi, les temples de la lecture, les greniers du savoir, mais tout au plus des musées, des mangeoires où les rats universitaires viennent grignoter des grimoires qu'ils restitueront plus tard en petites crottes inodores. Cela ne vaut pas, de loin, le métro, avec ses odeurs d'humanité sale, ses lumières jaunes, ses cahots, où l'on est écrasé comme un pilier de fer par cent voyageurs, où l'on se demanche le cou pour attraper quelques lignes sur un bouquin tenu à bout de bras au-dessus des têtes.
                                                                                                                                   Jean Dutourd 

 

mercredi 8 mars 2017

L'âme désarmée ...








« Le seul écrivain qui n’exerce aucune espèce de séduction sur les Américains, qui n’offre aucune prise au charcutage de nos critiques marxistes, freudiens, féministes, déconstructionnistes ou structuralistes, qui ne propose à nos jeunes gens ni pose, ni sentimentalité, ni soporifiques, est justement celui qui a le mieux exprimé la façon dont la vie se présente à un homme prêt à s’interroger courageusement sur ce que nous croyons et ce que nous ne croyons pas : Louis-Ferdinand Céline. C’est un artiste beaucoup plus doué et un observateur beaucoup plus perspicace que Thomas Mann ou Albert Camus, pourtant bien plus célèbres que lui. Robinson, l’homme qu’admire Bardamu dans Voyage au bout de la nuit, est un égoïste, un menteur, un truqueur et un tueur à gages. Alors pourquoi l’admire-t-il ? En partie pour son honnêteté, mais surtout parce qu’il préfère se laisser tuer par sa maîtresse que de lui dire qu’il l’aime. Il croyait en quelque chose, ce dont Bardamu est incapable. Les étudiants américains sont rebutés et horrifiés par ce roman ; ils s’en détournent avec dégoût. Mais si on pouvait le leur ingurgiter de force, cela pourrait les inciter à reconsidérer bien des choses, à admettre qu’il serait urgent de repenser leurs prémisses, à expliciter leur nihilisme implicite et à l’examiner sérieusement. Si je cherche une image de notre condition intellectuelle actuelle, je ne puis m’empêcher d’évoquer les bandes d’actualités cinématographiques qui nous ont montré les Français s’éclaboussant joyeusement sur une plage, lors des premiers congés payés décrétés par le gouvernement de Front populaire de Léon Blum. Cela se passait en 1936, l’année où l’on a laissé Hitler réoccuper la Rhénanie. Tous nos grands thèmes se trouvent évoqués dans l’image de ces congés payés. » 

jeudi 2 mars 2017

Le Camp du Bien veille au grain : les monstres n'ont qu'à bien se tenir ... !



Deux figures majeures du XXe siècle hantent négativement, depuis plus d’un demi-siècle, l’imaginaire de certains intellectuels ou idéologues français, celle de 
Martin Heidegger 

et celle de 
Louis-Ferdinand Céline. 
Dans les deux cas, l’angle d’attaque est souvent simple et très moral (je le dis sans ironie) : il s’agit de dénoncer l’antisémitisme du philosophe et de l’écrivain. Depuis peu, le procès va plus loin encore. Heidegger fut, il y a peu de temps, soupçonné d’introduire le nazisme dans la philosophie (thèse de la PME Faye, père et fils, abondamment relayée dans l’université et les médias). Voici maintenant Céline présenté par Pierre-André Taguieff et Annick Duraffour comme « un agent d’influence nazi », voire « le plus utile défenseur du rapprochement entre la France et l’Allemagne nationale-socialiste », nos deux universitaires n’hésitant pas à reprendre les termes d’un Fernand de Brinon, ami de Céline et collaborateur notoire. 

 « L’antisémitisme est aussi vieux que le monde, et le mien, par sa forme outrée, énormément comique, strictement littéraire, n’a jamais persécuté personne. »

                                                                                                  Céline à son avocat, Maître Mikkelsen 




« On peut faire semblant de l’ignorer, mais on ne peut pas l’oublier, ce Céline. 
Après lui, toute œuvre “traditionnelle” vous a un petit air d’Ancien Régime qui ne pardonne pas. »



« L’artiste travaille sans filet. Céline est un joueur qui remet sur la table, à chaque fois, tous ses gains : quitte ou double. »


Matthieu GALEY, Journal intégral, 1953-1986, préface de Jean-Luc Barré, Robert Laffont, coll. « Bouquins »