J'aime

vendredi 25 mai 2018

« … le Cousteau tout aussi ordure, bourrique enragée que le Sartre » (Céline)



PAC garde une dent contre Céline. Ne pas se renier : « cuestión de estética » (Pierre-Antoine, l’Autre Cousteau, p. 162).
« Je lis en ce moment Mort à crédit qui était une de mes lacunes dans la bibliographie célinesque. Un talent énorme, bien sûr. Des trouvailles de style souvent bouleversantes. Mais j'y prends dans l'ensemble peu de plaisir. La scatologie n'est excusable que lorsqu'elle renforce l'invective. La scatologie en soi est inexcusable. Or Céline est scatologique pour le plaisir d'être scatologique. [...] Continué Mort à crédit avec un dégoût croissant. Ferdinand insiste lourdement, complaisamment, sur le fait qu'il avait les pieds sales et qu’à la longue ça sentait extrêmement fort. Or il suffit de l'avoir vu dans son intérieur pour savoir que ça n'est pas une affabulation littéraire. J'accepte toutes les perversions sexuelles, toutes les formes de délinquance, toutes les erreurs psychopathiques mais pas les pieds sales. Sur ce point je me sens un fanatisme glacé et impitoyable de grand inquisiteur. Ça ne se discute pas. C'est comme ça. [...] Je n'arrive pas à finir Mort à crédit. Pourtant je veux aller jusqu'au bout. Mais je me sens envahi par une immense nostalgie de la phrase fignolée, des termes rares et gracieux, de la syntaxe élégante, je me sens envahi par le dégoût de l'argot et de la vulgarité, et pour un peu je jurerais de ne plus employer un seul mot de la langue verte. C'est vraiment un accident que Céline se soit trouvé de notre côté à cause de ses malencontreux pamphlets. Son œuvre est destinée à être le chantre des crasseux, des médiocres, les lâches, des ratés, bref de tous ceux vers qui va la tendresse de la conscience universelle et de Jean-Paul Sartre. Sa place était à Saint-Germain-des-Prés. On comprend qu'il ait la nostalgie de tout ça et qu'il proteste contre l'injustice du sort. C'est maintenant qu’il est "authentique" » (11 avril)
... / ...
« Je viens d'écrire un mot à Paraz. Ça a été plus fort que moi : aussi gentiment que possible je lui ai expliqué qu'après tout il y avait peut-être eu des infortunes pires qu'une villégiature au Danemark avec madame et que pas mal de garçons avaient été un petit peu taillés en lanières parce qu'on avait omis de les prévenir à temps que Bagatelles et l'École étaient des bouquins bidons qu'il ne fallait surtout pas avoir la grossière naïveté de prendre au sérieux. Mais j'ajoute que je l'admire de rester fidèle à son ami parce que c'est un joli sentiment en soi. »  (17 juin)
---
« Essayé de lire le dernier Céline [Féérie pour une autre fois]. C’est imbécile, c’est répugnant et c’est surtout tellement ennuyeux qu’il n’est pas possible d’aller jusqu’au bout. Le Louis Ferdinand s’étale dans toute sa hideur. Le bouquin sue la trouille, l’égoïsme et le gâtisme. Il est la seule victime de l’épuration (les autres ça ne compte pas). Il est innocent. Il est résistant. Et toutes les deux pages il rappelle qu’il a eu la médaille militaire en 14. Quant aux « juifs », non seulement se sont volatilisés, mais sur la page de garde, dans la liste des œuvres du même auteur, Bagatelles et l’École des cadavres ont disparu. Je n’imagine pas qu’on puisse être plus misérable. »
J.-P. Cousteau, "Chapitre X - Mai 1947-juillet 1953. Clairvaux-Eysses", in Pierre-Antoine, l'Autre Cousteau, Via Romana
Et la réponse furibarde de Céline : « … et Cousteau donc dans Rivarol [pour son article « D’un râtelier l’autre »] ! Tout aussi diffamateur, encore peut-être plus enragé, déjà tout son bazar sous le bras, rectum et annexes, l’auriez-vous vu réfléchir ? bigre que non ! vous prouve que le cancer est atroce mais que la jalousie l’emporte ! ... » Céline, Rigodon (Pléiade, 851)

 

mercredi 2 mai 2018

A Sigmaringen, avec Céline


 
Le 7 septembre 1945, Abel Bonnard arrive à Sigmaringen, en compagnie de sa mère - malade -, de Céline, Rebatet et quelques autres. L'ancien chef de l'Action Nationale Suisse, Georges Oltramare, écrira par la suite, à son sujet, dans ses Mémoires, Les souvenirs nous vengent : « Abel Bonnard dédaignait le luxe trop neuf du château. Avec la sérénité d'un mandarin, il contemplait un monde mieux fait pour susciter la nausée que l'effroi et me disait : "C'est heureux que le dégoût sans borne que ce monde nous inspire ne détruise pas en nous la curiosité de savoir comment et par quels ressorts tant d'ignobles choses arrivent. " Il éprouvait une délectation morose à discerner les causes profondes d'une banqueroute universelle qui lui avait coûté son repos et ses biens, sans que son âme en fût altérée. Il jugeait Pétain un paysan assez matois, égoïste et d'un caractère louvoyant. » (cité par Olivier Mathieu).
   Céline, quant à lui, qui prend soin de la mère d'Abel Bonnard - qui mourra à quelque temps de là, avant le départ de son fils pour l'Espagne, et dont la tombe demeurera introuvable par la suite -, confiera pour sa part à Robert Poulet, à propos de Mme Bonnard : « J'étais sous le charme. Je découvrais un univers spirituel où je ne suis plus admis, mais où parfois je rêve de vivre. La poésie, avec ses cadences heureuses, son air de danser sur un fil... Les mots qui arrivent, comme appelés par un signal. Et le contraste que fait cette régularité de l'expression dans la liberté du sentiment avec l'inconséquence et la fragilité des femmes... Elle finissait une strophe, et puis elle en commençait une autre, Mme Bonnard. C'était le doux courant d'une rivière qui vient on ne sait d'où et qui va on ne sait où, le miroitement et le murmure de la poésie, qui enveloppe toute la terre... »




   Enfin, en 1962-63, tandis que les Cahiers de l'Herne prépare une livraison consacrée à Louis Ferdinand Céline, on se souvient d'Abel Bonnard qui se voit à cette occasion exceptionnellement sollicité. Il ne tardera pas à adresser à la rédaction son témoignage, qui sera publié, sous le titre : A Sigmaringen. En voici un extrait :
« Je le revois encore pendant la journée, passant par les rues de cette tranquille petite ville de résidence, avec son grand corps d’ancien cuirassier, sa canadienne, sa tête aux cheveux noirs. Il venait souvent surveiller la santé de ma mère et il a, dans son livre D’un château l’autre, écrit sur elle quelques lignes d’une délicatesse exquise, dont je lui resterai reconnaissant jusqu’à ma mort. Quand il avait causé avec elle, il venait bavarder avec moi. Nous parlions de tout, et souvent de littérature, lui non pas du tout dans le vocabulaire truculent qu’un profane aurait attendu de lui, mais, au contraire, avec les nuances les plus justes, les plus attentives. Je n’ai rencontré qu’un autre exemple d’un goût littéraire aussi raffiné chez un écrivain qu’on aurait cru de même voué par son tempérament aux expressions violentes, c’est Léon Daudet. Mais la conversation de Léon Daudet est une des plus étoffées que j’aie connues, et parfois même des plus fastueuses, au lieu que Céline procédait toujours par petites touches juxtaposées, comme celles d’un peintre impressionniste. Nous parlions parfois aussi des événements, qui dévoilaient dès lors, selon moi, leur caractère de catastrophe universelle. Nos propos étaient très sombres, mais aussi très calmes. Je crois pouvoir assurer que le sentiment dominant de Céline, devant le spectacle du monde actuel, était le désespoir, à condition qu’on n’attache à ce mot rien de grimaçant ni de convulsif, et que l’on comprenne qu’il peut y avoir un désespoir noir et serein, celui qui vient conclure logiquement les réflexions d’une pensée droite, probe et forte. Il sera alors ce que les niais croient flétrir du nom de pessimisme, mais qui, du moins, s’oppose avantageusement à leur propre optimisme, par lequel ils voudraient tourner à leur louange une défaillance de tout l’être, où manquent à la fois la force d’esprit qu’il faut pour voir la réalité comme elle est, et la force d’âme qu’il faut pour soutenir cette vue.
Ma dernière image de Céline, je l’ai eue à la fin d’un lumineux jour de printemps, quand j’allai lui faire mes adieux à la gare. Il prenait le train pour le Nord, le dernier, je crois ou l’avant-dernier qui ait passé avant que les Américains aient coupé la ligne. Il emmenait avec lui, parmi ses hardes, son chat, Bébert, célèbre parmi les Français de Sigmaringen. Il avait d’abord pensé le laisser chez de bonnes gens qui l’auraient soigné avec l’affection que les Allemands portent aux animaux, mais, à la fin, il ne put se résoudre à s’en séparer. II voulait gagner le Danemark, où je crois qu’il avait quelque argent placé. Il se flattait d’y trouver un asile. On sait l’accueil ignominieux qui l’y attendait. J’allais oublier de mentionner, tant cela va de soi pour qui a connu sa nature, que jamais, dans nos libres entretiens, je ne lui ai entendu rien dire de bas, de vil, de rancunier, de haineux. Dans un monde de plus en plus dégradé, où sombrent toutes les hautes valeurs, Céline était digne d’être méconnu, persécuté, honni, et de mourir malheureux, avec les honneurs de la solitude. » (voir https://goo.gl/s9qozn

À consulter également un article de Muñoz Molina (El Pais, https://goo.gl/FdFTC1) où apparaît
" un vieil homme frêle et solitaire, la peau translucide et des cheveux blancs enflammés par le vertige ". 

 Et pour son texte Les modérés, voir ici https://goo.gl/Rt6oG8 la critique de Juan Asensio, qui inclut ce passage tentant de tirer au clair une imputation infamante, et qui dure, à propos de cet Abel : " ... je ne m'attarderai pas sur la réalité de l'épithète infamante (Gestapette) que la Résistance eut vite fait d'accoler à Abel Bonnard. Arno Breker avait affirmé à Olivier Mathieu que Bonnard n'était pas homosexuel mais Patrick Buisson, penseur de troisième ordre que j'ai moi-même évoqué dans une note sur Renaud Camus, s'attache à la vue traditionnelle selon laquelle l'homosexualité d'Abel Bonnard était évidente, vue qui fut sans sans doute répandue par le sonnet de Jean Paulhan liant le nom de Bonnard à celui de l'autre Abel de l'Académie française et de la collaboration intellectuelle (lui véritablement homosexuel, et qui avait permis à son ancien giton Jacques de Lacretelle, qui vota son exclusion, d'entrer très jeune à l'Académie), Abel Hermant."