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jeudi 22 juin 2023

Flaubert et Thomas d'Aquin

 


Typologie des cons, in Thomae Aquinatis Opera Omnia cum hypertextibus in CD-ROM, Milano, Editoria Elettronica Editel, 1992. On a cru, faisant confiance à Saint-Jérôme, que l’Ecclésiastes (1,15) affirmait : « Stultorum infinitus est numerus » ... Réflexion, ô combien exacte, dont les droits d'auteur reviendraient à Salomon, s'il a existé, ce sage picoleur raisonnant, comme la tradition le veut « sotto influenza del vino », ou d'une manière plus sûre, à Cicéron : « Stultorum sunt plena omnia » (Ad familiares, 9,22,4)

asyneti    cataplex    credulus

fatuus    grossus    jebes

idiota    imbecillis   inanis

incrassatus    inexpertus    insensatus

insipiens    nescius    rusticus

stolidus    stultus    stupidus

tardus    turpis    vacuas

vecors

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Tout savoir est fondé sur une information, mais il y a plus dans la connaissance que l’information ou l’opinion vraie, comme l’avait soutenu Platon. Dans la connaissance il y a aussi la justification et la raison. Le sophisme sur lequel repose le « progrès » est celui selon lequel tout changement technologique induit un changement cognitif et, partant, une amélioration cognitive. Avec la confusion qui part de la thèse de la « richesse » des choix accompagnant la « liberté » quand on « navigue » en ligne : on serait plus libre quand on papillonne de manière rapide que quand on doit se concentrer en lisant linéairement et lentement avec des enseignants en dialogue permanent avec l’étudiant. Un dialogue réel et pas seulement « virtuel » ou dans des discussions sans queue ni tête baladées sur des forums. La production d’un savoir au rabais pour les masses, où tout serait en ligne accessible à tous à l’échelle mondiale, ne pourra jamais, par un coup de baguette magique, recréer les conditions d’une véritable transmission de la connaissance. Un pseudo modèle mondial qui ne différencie pas les publics, qui ne distingue pas les types de savoir et d’enseignement ni les types de support et d’apprentissage n’est qu’une arme de destruction massive de l’éducation : votre esprit n’est plus dans votre cerveau, il est passé sur votre tablette ou dans votre smartphone.

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Ce ne sera tout de même une chose pas banale que de devoir quitter une maison qui aura été la nôtre durant plus d’une vingtaine d’années. Années de jeunesse de M., que je vis descendre les escaliers du salon en superbe robe de mariée. Maison que nous avions choisie pour nous y regarder vieillir, celle que A. considérait comme une sorte de Paradis secret pour prolonger ses vacances avec nous et faire les délices des jeunes mamie et papi que nous étions à l’époque. La chambre d’A. donnant sur la façade sud et les Trois Couronnes gardera à jamais imprégnés sur ses quatre murs le bonheur et la joie de notre petite belette en train de suivre les yeux fermés « le petit conte » raconté par papi chaque soir ou la comptine de papa (« câlin, câlin, câlin papa… ») pour la consoler des ténèbres que les arbres, dehors, rendaient plus mystérieuses, plus fascinantes. Même la maman de R. eut l’occasion de s’émerveiller des fleurs et des plantes d’un jardin exquis fruit de l’imagination et des mains prodigieuses de sa fille. De s’asseoir sur la terrasse, en fin d’après-midi, pour plier de rire quand A. prétendait observer de loin « les embouteillages de Bilbao » derrière la silhouette du mont Jaïzkibel. Nous l’occuperons encore quelques mois. Mais il faudra bien la vider un jour ! Dans ces moments-là il ne faudra pas trop tergiverser : énormément de souvenirs seront condamnés à la déchetterie. Ce sera un peu harassant mais cela finira bien par arriver. Bientôt après nous passerons devant mais ça ne sera plus chez nous. Nous lui aurons donné une nouvelle existence pour recevoir d’autres gens, d’autres vies, d’autres projets. Et elle attendra d’autres mains pour allumer le feu de sa cheminée, meubler sa terrasse et habiller son jardin … Puissent, ses futurs nouveaux occupants, bien la mériter et en jouir à fond pendant la durée de leur vie dedans !  



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vendredi 16 juin 2023

Le semeur à sa charrue tient les roues du destin

 

Le semeur à sa charrue tient les roues du destin

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Je regarde de vieilles photos d’il y a un demi-siècle. L’amour rend l’homme semblable à un fou capable de détruire sur son passage tout ce qui pourrait briser son désir. Il n’a pas le temps de reprendre son souffle. C’était presque hier. Je me dis que la vie avance trop vite. Je n’en distingue plus les pauses, les étapes. Ou alors, en fin de parcours, je prends pour de la vitesse extrême ce qui n’est que lenteur et répétition. Chaque soir, je ferme la maison et les volets comme on referme un palais secret et sans visites. J’attends des lendemains peu chantants... Quelques semaines avant les prochaines élections, la bêtise et la méchanceté sont colossales, dures comme l’obsidienne. Ce sont les seules choses sur lesquelles nous pouvons compter. Comment éviter le désespoir ? Ils mentent. Ils savent d’instinct qu’ils ont déjà perdu la bataille de la gestion des affaires publiques et ils deviennent plus méchants, plus ignobles, plus frustes que jamais à l’idée d’abandonner le pouvoir. Le présent, ils l’ont rendu abject et ils veulent gagner le passé. Si lourd pour eux, pourtant. Ils ont une obsession pour la mémoire « démocratique » avant de s’effacer de la scène, comme ceux qui s’aperçoivent, gênés, qu’ils sont nus en pleine rue. Ce n’est pas facile à accepter mais c’est inéluctable. La vie « normale » s’est retirée de partout, c’est patent. Mêmes les bêtes l’ont compris. Elles font face aux artifices butés du camp « animaliste » avec une dignité simple et rude qui force le respect. Je manque de courage pour me précipiter où que ce soit dans le marécage de la politique, pour échapper à ma solitude, trop accomplie pour susciter l’intérêt et le respect. On croit qu’on est à la recherche d’un gouvernant honnête, on va le chercher partout, on revient à chaque fois les mains vides, et l’on se rend compte alors que ce n’était pas de politiciens qu’on avait besoin, mais des idées.
Et, de proche en proche, c’est toute la campagne qui est convertie en spectacle clownesque, dont les idées ont été perdues, effacées, toujours de vieilles idées « de la vieille racaille des années trente, de retour », comme écrivait Murray Bookchin, échangées contre n’importe quoi, ou de très anciennes qui sont revenues alors qu’on les avait oubliées. Entre les mots et les idées, un étrange ballet s’installe, qui bientôt nous rend incapables de les distinguer, en attendant que de cette confusion au rythme fou surgisse, enfin, la solution tant attendue. Les discoureurs sont des amis fourbes parce qu’ils mentent, mais on en a tellement besoin pour se donner l’impression qu’on colmate la brèche de l’existence ! La seule possibilité réelle serait de tout miser sur la chance et l’impondérable. Vouloir de la propreté en politique mérite des coups de balai sur la tête et j’ai l’air d’en réclamer pour avoir écrit tant de lignes à ce sujet. Vous irez donc aux urnes, si vous trouvez un parti au candidat idéal mais ses actes ne manqueront pas de vous le révéler encore plus ignoble qu’il n’était quand il voulait vous séduire par ses belles paroles. La parole politique a été faite pour mentir. Surtout quand il y en a beaucoup et toutes s’avèrent fausses. 
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Dans le silence de la nuit, j’écris, j’écris depuis longtemps. Renvoyant sur ma table la lumière de la lampe, l’abat-jour laisse dans l’ombre les livres qui montent en étages sur le fond du cabinet de travail. Les ténèbres de cette chambre sont mystérieuses, parce qu’on y sent confusément l’âme de tous les livres endormis. Que des fantômes apparaissent dans une bibliothèque, rien de plus naturel. Où se montreraient les ombres des auteurs, sinon au milieu des signes qui gardent leur souvenir ? Je fais de courts articles à propos de tout et de rien. J’y prends plaisir non que je me soucie en aucune façon des idées que je pourrais y exprimer mais parce que les traces laissées pourront intéresser, dans quelques années, un lecteur occasionnel. Ajoutez à cela que le temps m’est compté et que je me contenterais de laisser quelques signes avant de quitter la scène le plus dignement possible. Le temps, c’est de la poudre d’or, des dents d’éléphant et des plumes d’autruche. Et la vie est courte. Il faut, sans perdre un moment, naviguer vers l’autre rive, afin de gagner des souvenirs heureux et une mémoire digne des miens. Je ne m’étais jamais inquiété de ce qu’on penserait de moi après ma mort. Mes craintes et mes espérances n’allaient point au-delà de cette vie dont j’ai joui depuis ma naissance. Plutôt qu’assoiffé d’or et d’argent ou d’une vaine gloire, j’ai voulu toujours agir par amour de la bonté et pour ce qu’on appelait « la vertu » dans les temps classiques. J’ai appris que les hommes sont mauvais et que, s’ils sont puissants, ils sont pires. Et qu’ils faut les craindre et s’efforcer de les apaiser. Je me peins tel que je suis et n’ayant pas assez d’esprit pour devenir riche ou célèbre, mes efforts et mon enthousiasme se sont orientés vers la recherche d’ivresses intellectuelles et, rêve contre le néant, des liens avec ce que François Mitterrand appelait « les forces de l’Esprit », que je préfère, et je l'écris, avec un « E » majuscule.

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La démoralisation croissante vers les familles et les couples en âge de procréer, avec une facilité graduelle des avortements et des stérilisations ainsi que les encouragements, plus ou moins déguisés de qualité de vie, à euthanasier les vieux et certains malades participent d’un mouvement amplement développé de banalisation du wokisme et de son introduction partout dès le plus jeune âge.

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Quand un flic se fait tuer, tout le monde de dire : « Il connaissait les risques du métier. » Quand un criminel se fait tuer, personne pour dire : « Il connaissait les risques du métier. » Et des tonnes de larmes.

 

mardi 6 juin 2023

Tic-tac … Et le temps passe !

 

Actualité. Celui qui a eu recours à toutes les violences et à toutes les ruses pour conquérir puis garder le pouvoir ne supporte pas l’idée de voir qu’on puisse agir contre lui par des moyens semblables. Lui, qui ose se prétendre légal, seul légitime et seul autorisé à la manipulation éhontée du troupeau électoral. Face à un tel hypocrite, les belles âmes qui s’interdisent, par candeur ou par élégance, la rage et la force ont déjà perdu. En de telles circonstances, il faudrait avoir au plus haut degré le mépris du confort de la propre vie pour combattre sans faillir celui qui atteste le plus haut degré de mépris de la vie de ses concitoyens.

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La seule vérité est peut-être la paix des livres (Saint-Exupéry). Je n'ai jamais été aussi heureux que lorsque j'étais dans ma bibliothèque. Cette pièce, que j'ai aménagée dans toutes les maisons que j'ai habitées, dans laquelle se trouvaient mes affaires de prof, mes dossiers et mes livres. J’y travaillais tard dans la nuit, quand M. dormait et R. était partie faire son tour de nuit à l’hôpital de Saint-Sébastien. Travailler, c'était ça : veiller, combattre le sommeil. L’amour des livres, ça remonte à l’enfance. À la maison, il y en avait pratiquement pas sauf une demi-douzaine que mon père lisait à voix haute pour tous, au coin du feu, dans la modeste maisonnée de El Vivero. Vivre parmi des livres, ç'a été le grand fantasme de ma vie. Depuis toujours. À Bordeaux, Gijón, Fontarabie, Irun, puis à Bordeaux encore. Des tas de livres dans des pièces dont j'ai encore les odeurs en tête. Des pièces qui symbolisaient le silence et le bonheur. Des volumes de toute sorte attendant que mes mains viennent les prendre, les ouvrir. Quand M. travaillait dans la pièce à côté on allumait l’ampli et on passait des heures au milieu de cette forêt de pages, de notes et de sons. On pouvait y aller n'importe quand, dans l'après-midi ou en pleine nuit, ou bien le matin. J'ai encore une très belle bibliothèque mais je n'y mets pratiquement plus les pieds la nuit ou si peu. Je lis au lit, ou en bas dans la cuisine, ou au salon. Les livres dorment sagement. Je prends des notes avec une tablette ou avec un ordinateur. Solitude, toujours. Excepté quelques conversations au téléphone avec Christian F., pas de public avec qui discuter de lecture(s). Pas de collègues, pas d’élèves non plus. Il n'y a plus que les mots, je n'ai plus que les mots et les pages à ma disposition, alors que j'avais des cours, des tâches, des tonnes de projets. Je me rends compte que dans la bibliothèque, il y avait, il y a encore, des livres non lus. Philo, Histoire. Linguistique et poésie. Théorie littéraire, énormément. Et la solitude, bien sûr, sans laquelle rien de tout cela n'aurait été possible. Et tout sombrera dans l’oubli mais la mémoire résiste comme elle peut … C'est ça, la vie, cette constante superposition à plusieurs vitesses d'oubli et de mémoire. D'un côté, on est au milieu de murs de livres, seul, enfermé, et d'un autre côté, on a une vie à vivre, des gens qu'on a connus, rencontrés, aimés, détestés. C'est le double substrat fondamental. Pour traverser la vie en s'arrêtant sur ses rêves. L'histoire n'est faite que de ruines et de souvenirs. Il faudra, à A., tout recommencer encore une fois. Tout recommencer à zéro, ou presque. Avec ses projets, ses espérances, sa vie encore à esquisser dans son propre tourbillon de rêves ...



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dimanche 4 juin 2023

Qu’ils soient comme la limace qui s’en va en bave ! (Psaumes 58,9)

 

Sa Majesté Pierre Sans Chaise I voudrait s’éterniser ! Après le vote en mai, nous continuerons à voter en pleine canicule de juillet, parce que nous resterons une grande démocratie sociale, avancée et que sais-je encore, quoique très en péril de se voir dévorée par le monstre fasciste aux aguets ! Mais nous voterons pour des individus ayant tous à peu près la même nocivité dans leur projet. D’ailleurs pourquoi parler au futur ? J’ai voté pendant presque 50 ans, été plus que proche de la gauche presque un demi siècle, manifesté des tas de fois. Pour rien, absolument rien. Alors certains me sortiront qu’il ne faut jamais désespérer en politique, que c’est le « combat » (sans rire !) qui est important, etc. Je veux bien, sauf que j’en arrive à penser que toute participation autorisée à la vie politique du pays ne fait que renforcer le système en remettant juste une pièce dans le jukebox pour entendre les mêmes airs et voir gesticuler les mêmes danseurs en même temps qu’ils s’en mettent plein les poches et se gavent de privilèges et d’argent public. Je ne vois pas les populations modernes tellement attachées à une forme quelconque de « vraie » (?) démocratie puisqu’elles obéissent partout aux ordres des mêmes journalistes pourris qu’elles prétendent mépriser. Au reste, les positions et grâces accordées par le sinistre individu à la tête du gouvernement depuis 2018 ont plus de poids que l’argumentaire le plus puissant qu’on puisse développer contre son inquiétante personnalité. Délivré d’avoir à choisir, après bilan critique des résultats d’une politique et non des intentions déclarées par ceux qui l’appliquent, le peuple souverain en sera encore plus reconnaissant au bon président censé le défendre contre le fascisme et les ténèbres conservatrices. Surtout en échange d’un bon d’essence, d’un ticket de cinéma à deux euros mardi après-midi ou d’un chimérique appartement, dans une course folle aux promesses fumeuses et des candidatures clownesques. « Un homme, un vote », ça ne veut rien dire de nos jours. Et moins encore dans la bouche de la prétentieuse merde qui nous tient en laisse contre un susucre parce qu'on est de bons toutous. Il nous donne à choisir entre Biden et Trump, et ça se veut de gauche ! Les dirigeants occidentaux tirent la plus grande partie de leur pouvoir de la sacralisation absolue de ce qu’ils appellent « la démocratie ». Ce qui permet, même à ceux qui ne veulent pas tout gober en bloc, de se réfugier derrière des formes de démocratie, aussi imparfaite soit-elle, quand on leur agite au nez l’épouvantail du fascisme. Sans repère les gens perdent pied, il faut leur laisser quelque chose à étudier à l’école et à quoi faire semblant de croire plus tard dans leurs vies. Pour égayer le tableau, l’Espagne vit une catastrophe démographique, identitaire et civilisationnelle irréversible. Tout le reste de nos problèmes en découle. Comme je suis de ceux qui ne discernent aucune parcelle de sacré dans la démocratie progressiste et encore moins parmi les détenteurs actuels du pouvoir, j’ai probablement une mauvaise vue. Et de drôles de difficultés pour voter…

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ETArekin eta haren oinordekoekin bueltaka. « Un régime révolutionnaire doit se débarrasser d’un certain nombre d’individus qui le menacent et je ne vois pas d’autre moyen que la mort. On peut toujours sortir de prison. Les révolutionnaires de 1793 n’ont probablement pas assez tué. »
Jean-Paul Sartre, entretien avec Michel Antoine Burnier, Actuel, n° 28, février 1973

 L'ETA a cessé de tuer le jour où elle a compris qu'elle gagnait davantage à ne plus le faire, puisque les représentants de l'État de droit acceptaient ses conditions. Les raisons de la reddition des représentants politiques de la Nation espagnole ne sont pas homogènes. Pour certains c’était un préalable à la création d'un front de gauche capable de récupérer le pouvoir et de s’y maintenir, pour d'autres c'était simplement par manque de principes éthiques ou par pure et simple complicité avec l’organisation armée. En définitive, peu importe, l'État a capitulé devant le nationalisme basque et a renoncé à ses obligations de garant des droits et libertés de la Nation et, tout particulièrement, à son obligation de rendre justice aux victimes des agissements du versant directement criminel de ce nationalisme. Après la reddition, faire leurre de la mémoire, réécrire l'histoire. S’immuniser contre la réalité tangible en affirmant que l’ETA omniprésente a été vaincue et que « la guerre » (drôle de guerre où il n’y avait qu’un camp !) a été gagnée. Mais, curieusement, il n’y a jamais eu de paix ! Normalement, la paix, en tant qu’accord qui met fin aux hostilités, représente la fin de la guerre et celui qui gagne la guerre gagne aussi la paix. Or, qui a gagné cette « paix » ? La classe politique de la transition a fait de son mieux pour séparer l'organisation armée de l’élite basque dirigeante alors que, en réalité, la violence résultait d’une large stratégie chorale où les auteurs des meurtres, des enlèvements, du racket, des violences de rue, étaient encouragés ou censurés en fonction des exigences du contexte politique concret de chaque étape. Les activistes et les groupes qui les ont aidés ont arrêté la partie la plus scandaleuse de leur panoplie d’activités, a commencer par l’assassinat pur et simple de l’adversaire, à partir du moment où ils ont eu directement accès au financement public et privé pour l'ensemble du mouvement grâce à leur blanchissement institutionnel et au soutien indéfectible d’une partie considérable de la société civile basque, à commencer par l'Église. On a pollué l’opinion publique – surtout internationale – en refourguant la camelote pourrie qui essaie de faire passer comme générosité envers le « vaincu », qui s’est arrêté de tuer, ce qui n'est rien d'autre que l'accomplissement ponctuel de ses conditions politiques préalables, imposées au soi-disant vainqueur sans ambages et sans détours. On comprend, donc, mieux l'abandon des enquêtes sur les centaines de crimes non résolus pour faciliter ou accélérer leur prescription, la libération de condamnés à des lourdes peines, les rapprochements difficiles des victimes à bourreaux et complices, la permissivité envers les actes d’hommage et d'acclamation aux terroristes devenus des « héros nationaux », qui retournent à l'activité politique sans entraves malgré les condamnations de la Cour suprême et le feu vert d’une Cour constitutionnelle qu'il est difficile de ne pas taxer de prévarication. Le tournant favorable aux criminels de la politique se dessine durablement au moment où, selon les mots d'un vice-président du gouvernement national, la mouvance terroriste constitue un bloc qui sera appelé un jour à prendre en charge la direction de l'État (!). Le résultat de la reddition de ce même État est, comme prévu, une violence politique qui n’a pas cessé d'exister dans la région, bien que de moindre intensité, devenant un modèle de violence institutionnalisée pour certaines administrations régionales. La Catalogne, par exemple. L'ETA est restée seul garante de la paix, avec la certitude qu'elle reviendrait au meurtre si l'État ne respecte pas un jour ses conditions. L'aile radicale du nationalisme basque qu’elle tutelle se prépare, avec le soutien prévisible du parti socialiste, qui a déjà fait souvent appel à elle dans son action de gouvernement depuis 2018, à s'emparer du pouvoir dans la Communauté Autonome, déplaçant le nationalisme historique. La classe politique espagnole a été piégée par cette rengaine de victoire sur l’ETA et, à quelques exceptions près, tente de tourner la page et de retirer l'affaire de l'agenda politique immédiate. Qu’en est-il des victimes ? Les victimes ont été abandonnées et réduites au silence car elles incarnent la mémoire vivante, récente, des événements, les données factuelles qui neutralisent les radotages de la « mémoire démocratique » imposée par l’opportunisme politique et par l’indécence. Mais que fait-on de ces données qui dérangent quand elles ne collent pas avec un « narratif du réel » unique qu’on voudrait bien imposer partout ? On ne se donne même pas la peine de les effacer, on les ignore. Tout simplement.

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