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samedi 4 avril 2020

L’horizon se fait attendre

L’horizon se fait attendre…

Notas personales de tres semanas de encierro, rescatadas de un cuadernillo rojo obsequio de Opéra national de Paris. R. me proponía ir subiéndolas en los dos idiomas. La pereza me ha impedido ir más lejos de la traducción de la primera. Y además, subo todas de golpe.

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Au milieu de la catastrophe, nous assistons impuissants, dans l'incertitude, au spectacle difficile dont nous sommes les protagonistes et dont les fils restent d’autant plus dissimulés que la prétendue communication prolifère. Mais avec la certitude – oh que oui ! – de la victoire incontestable de ce que nous pourrions appeler la nullité mutuelle garantie agissant dans le cosmos médiatique pour donner des ailes aux délires du pouvoir quand elle ne les applaudit pas à tout rompre. Un troupeau de charlatans, de plumitifs, de yaka-fokon, qui se sont sans lassitude attribué mutuellement les plus grands mérites malgré la nullité évidente de la fumée de leurs "analyses", pousse l'opinion publique au mépris de toute critique venant des véritables savoirs spécialisés – accessibles aussi bien à l'explication qu’à la compréhension pour peu qu’on fasse un effort – au profit de toute sorte de canulars, d'occurrences, de stupidités, de mensonges. Souvent, les trucs de ces médias deviennent "viraux" (décidemment on n’y échappe pas !) comme le dit le stupide jargon des réseaux. Avec des likes par milliers. Forts du soutien des zélateurs du carnage, du couteau d’égorgeur, de la foule hurlante. L'ignorance réciproque la plus grossière équilibre la renommée grassement rémunérée par les millionnaires dans les différents mastodontes médiatiques. Et cette ignorance, comme le mal, n'a jamais été facilement vaincue ... Impossible ! La vacuité ignorante ne se laisse jamais anéantir…

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La importancia de los aplausos | Hoy
En medio de la catástrofe, asistimos, inermes, desde la incertidumbre al espectáculo terrible del que somos protagonistas y cuyos hilos siguen más ocultos cuanto más prolifera la supuesta informacion. Pero con la certeza, eso sí, de la victoria indiscutible de lo que podríamos llamar incompetencia mutua garantizada que actúa desde el cosmos mediático dando alas cuando no aplauso a los desvaríos del poder. Una bandada de charlatanes, plumitivos y tertulianoides, que de manera incansable se atribuyen mutuamente desde hace tiempo el más alto mérito pese a la nulidad del humo de sus “análisis”, empuja a la opinión pública al desprecio del verdadero saber especializado – accesible tanto a la explicación como al entendimiento, con dosis de esfuerzo – en beneficio de bulos, ocurrencias, estupideces, falsedades. “Virales” (qué palabreja) a veces, como dice la estúpida jerga de las redes. Con miles de “me gusta”. Con incondicionales del pellejeo, la navaja y el griterío. La más crasa ignorancia recíproca equilibra las famas millonariamente retribuidas en los distintos mastodontes mediáticos. Y la ignorancia, como la maldad, nunca se han dejado fácilmente derrotar… Es imposible. La nulidad ignorante se resiste a ser erradicada… 

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Applaudir chaque jour. D’accord. C’est sympa. J’y suis. Qui… ? Seulement… ? Et pourquoi pas… ? Fils de manœuvre du bâtiment et de femme de ménage, donc, d'origines ouvrières-paysannes irréprochables, marié à une infirmière, je ne supporte pas qu’on m’oblige à admirer des gens que j’ai respectés depuis ma naissance ou que j’ai vu trimer comme des galériens à côté de moi pendant que les applaudissements étaient destinés aux footballeurs pourris de fric, à des merdes peopolisées ou, pire encore, à des politiciens soi-disant de gôôôche véreux et menteurs comme des arracheurs de dents …

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La démocratie, c’est quand on fait croire aux gens que tout ce qui leur arrive est le fruit de leur propre volonté. Et cette volonté veut toujours le bonheur partout, universel. Ne serait-ce que comme promesse utopique. Seulement, la machine à promettre le bonheur s’est toujours servie comme carburant, en attendant des jours meilleurs, des vraiment faibles, des inutiles, des nuisibles, des ennemis, des mécréants, de tous ceux qui retardent l’arrivée de tous au Pays de la Félicité, où chacun recevra selon les besoins de sa position privilégiée au sein des clans du pouvoir et jamais selon ses capacités. La bêtise des parlementaires de l’opposition ou de n’importe quel critique ou dissident en général vient de vouloir comprendre la stratégie, la tactique et l’idéologie inflexible et mystérieuse de nos dirigeants du moment. Il ne leur vient pas à l’esprit que leur seule idéologie mystérieuse, c’est de bien vivre aux dépens des autres. Le jeu consiste toujours à faire responsable de tous nos malheurs l’équipe précédente et de brûler avec enthousiasme ce qui reste de carburant. Ceux qui ont bien travaillé à remplir les chaudières de combustible, remontent pour commander à leur tour, pour vivre et se reposer dignement. Les vrais spécialistes ne savent jamais la direction que prendra le prochain raz de marée de haine et, souvent, de sang. Le seul but du voyage de notre sinistre navire vers les lendemains qui chantent étant le voyage lui-même.

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Plaisir de redécouvrir que certains se laissent séduire dans leur conversation par celui et celle qui ont fait l’effort d’assimiler leur langue, de se l'appropprier, de vivre dans et par elle … Dont acte. Merci, M. M.  et M. W. !

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Lu en entier un livre (Pablo G. C.), admirable et extrêmement bien documenté, sur le fléau franquiste après le soulèvement de juillet 36. Jeté aux orties la somme d’imbécilités et de poncifs au titre racoleur d’un hispaniste british rose et dodu comme un cochon de lait. Marre toujours de la mémoire historique, « indispensable à la liberté d’un peuple », pas en tant qu‘outil de travail de l’historien qu’en tant que rengaine pour remplacer la tension mémoire-historie par des recettes politiques qu’on jette comme des os à ronger pour tourner en rond autour de la table. La connaissance passe (difficilement !) par le collationnement de certains documents sur d’autres, par comparaison, par recoupements, pas par les caprices de la mémoire prétendue historique, fruit inévitable d’instables subjectivités. Les crimes d’il y a longtemps nous masquent bien les crimes d’aujourd’hui même. Quand on lit des choses sur le passé plus ou moins lointain, on croit « voir » près de soi des tas de trucs… comme au cinéma, alors qu’en vérité on se place en dehors du rythme des drames qui ont coulé et qui coulent toujours pour d’autres victimes au moment même de nos lectures, abandonnées au cours des heures qui passent, après avoir rempli leur fonction de colère passagère contre les méchants du moment. Nous restons dans l'indifférence dans nos colères sélectives. Comme devant les infos de chaque jour à la télé. On s’indigne, on tremble, on s´émeut pour un instant ou un laps de temps éphémère mais sans se soucier de dissiper les ténèbres mensongères du présent, de crainte que la lumière nous mette en même temps trop violemment face aux événements toujours obscurs de notre passé. J’en ai acheté et lu pas mal d’ouvrages genre mémoire historique. Quelques-uns m’ont plu : je ne désespère jamais de me trouver quelques points d'accord chez les esprits qui suivent des démarches qui me semblent justes et à la juste mesure de ce qui est nécessaire pour se comporter en historien. Pour autant je n'aime pas du tout ce que d’autres travaux contiennent, leur orientation-catéchisme, leur sectarisme imbécile souvent avec des propos politiques qui heurtent une conception des choses contre toute logique et tout bons sens. Le Livre Noir de çi, Le Livre Noir de ça. Je trouve hasardeux de faire du mot crime un synonyme. De la droite en vrac. De fascisme, de capitalisme, etc. comme si les crimes socialistes et communistes n'existaient pas. Des crimes, des assassinats, des tortures… comme autant d’automatismes résultant d’un type de société. Comme si les crimes communistes, étalés sur presque un siècle, n’étaient à faire pâlir ceux des nazis. Comme s’il y avait des nuances entre Auschwitz et Magadan ! Et le choc à la lecture de ces mots d’un personnage de Maxim Kantor (dans Feu rouge), « à côté de la Kolyma, les camps allemands font figure de sanatoriums ». Parcours incessants des camps stalino-léninistes aux konzentrationslager nazis. Ça m’a fatigué depuis mon adolescence et ça me poursuivra sans aucun doute jusqu’au moment où on parlera de moi à l’imparfait indicatif… Putain d’histoire-marchandise de merde ! Je me mets à relire des Claude Simon pour calmer un peu le jeu dans ma tête.

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Extrait de Méditer jour après jour, Christophe André, l'Iconoclaste, Paris, 2011

« (…) Nous pouvons être submergés et suffoqués, dépassés par la violence de ce qui nous tombe sur la tête. L'expérience du désespoir est aveuglante : elle rétrécit notre vision et notre horizon au seul déluge d'adversité qui s'abat sur nous. Elle est aussi déshumanisante : nous devenons des animaux de douleur, des aliénés de la souffrance. Plus aucun lien avec le monde n'est possible : les grandes douleurs isolent, bloquent et figent. Elles entraînent une noyade intérieure en plus des drames extérieurs. Et des vies fracassées au-dedans comme au-dehors. Alors, de toutes nos forces, il est important de rester des humains sensibles. De se raccrocher à notre humanité, à ce qui la réveille autour de nous : la nature, la beauté. Encore et toujours ouvrir notre esprit à autre chose que nos souffrances. Pas pour masquer l'adversité, pas pour l'oublier, mais juste pour qu'elle ne règne pas en maître absolu dans notre esprit comme dans notre vie. Comme dans ce passage du livre d'un rescapé du camp de Dachau, le psychiatre autrichien Viktor Frankl : “Il arrivait, tel soir où nous étions couchés sur le sol en terre battue de la baraque, morts de fatigue après le travail de la journée, nos gamelles de soupe entre les mains, que, tout d'un coup, un camarade entre en courant pour nous supplier de sortir sur la Place d'Appel, uniquement pour ne pas manquer, malgré notre épuisement et malgré le froid du dehors, un merveilleux coucher de soleil...”. (Passage cité dans Face à l'Extrême de Tzvetan Todorov, Paris, Seuil, 1994). Ce ne sont pas des fuites, ni des mécanismes de défense psychologique pour échapper à l'horreur. Ce sont juste des actes de confiance et de suprême intelligence : au moment où les flots de la mort les entourent, ces humains tournent leur esprit vers ce qu'il y a aussi de beau dans le monde. Ils traversent l'impuissance, sont égarés et dépassés. Mais ne renoncent pas à leur humanité ».  Bousculés, aveuglés et humains Proposé par Anne, maman de Charles

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On peut prendre le pouvoir sans programme ? Quand on prend le pouvoir sans programme réel, on s’imagine que le programme viendra tout seul, au fil de questions qui se présenteront. Le discours minimaliste-progressiste aime bien se rappeler les crimes d’il y a 80 ans pour avoir à peu de frais une caution de bonisme. Ils savent une chose : quoi qu’ils fassent du pays, quelque calamité qu’ils provoquent au corps mollasson d’une société hyper-alimentée par les plateaux-télé, cela ne sera qu’un bien par rapport au mal causé par les méchants d’un passé évaporé depuis longtemps.

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La pandémie est furieuse au même titre que la révolution. Elle éclate, se répand vite, avance, dévaste et soulève tout ce qui s’interpose en son chemin, effraye les populations et s’éteint, une fois son lot de victimes emballé. Il serait stupide d’affirmer qu’un tel océan (une zoonose ? quelque chose d’autre ?) a pour origine une goutte d’eau venant de çi ou de çà. Comme le feu furieux qui carbonisait l’immense charpente de Notre-Dame n’avait pas forcément eu par origine une clope mal éteinte. Ce qui est fatiguant, c'est que tout le monde a son avis, tout le monde se dispute et les informations les plus contradictoires circulent. Les médias et réseaux sociaux parlent en continu, au conditionnel, avec des « peut-être » et des « sans doute ». Le vacarme est assourdissant sans aucune information utile. D'un autre côté, un quidam ne peut qu'attendre, donc cela n'a pas grande importance. Mais c'est fatiguant. Les deux grands sujets du moment : les tests et les masques. Le masque efficace est le FFP2. Mais il n'y en a pas. Ou pas assez. Ou ils sont volés. Ou il y a un trafic au marché noir ou… Pas de masques du tout ? Depuis le début de la crise, disons mi-février, il y avait le temps d'en commander, d'en fabriquer, au moins quelques-uns, non ? Alors certains se sont mis avec des sacs d'aspirateur, des filtres à café, des slips retournés … C'est courageux, c'est solidaire. Est-ce utile ? Je peux comprendre qu'on dise que ça ne sert à rien. Je ne comprends pas qu'on dise que ce soit pire que pas de masque ! Il faut occuper les gens. Sinon ils gambergent. Quant aux tests, les comparaisons internationales n'ont pas beaucoup de sens et ajoutent à la confusion car les mêmes mots ne recouvrent pas les mêmes réalités. Il y a les pays qui ont testé intensivement tout le monde (Corée du Sud, Islande) et dont les chiffres montrent un nombre de porteurs impressionnants, dont un tiers à la moitié ne sont pas pour l’instant malades mais contagieux, il y a ceux qui ne testent les malades qu'une fois qu'ils sont en réanimation et tous ceux qui ont guéri spontanément chez eux après deux ou trois jours de fatigue. N'entrent pas dans les statistiques, ceux qui ne testent pas les morts et ne savent pas s'ils sont morts du virus (l'Allemagne). Chaque fois qu'on voit passer une comparaison internationale, on peut être sûr que ce ne sont pas les mêmes définitions derrière les mots. Tous les pays utilisent-ils les mêmes tests, où sont fabriqués ces tests, sont-ils longs à produire, pourquoi semblent-ils si rares… ? Étrange période à vivre. Pendant ce temps-là les récoltes de fruits et légumes pourrissent sur place par manque de saisonniers, les maraîchers font appel aux volontaires, les anti-gouvernementaux (que fait le gouvernement ?) crient au désordre, les partis au pouvoir au coupes sociales des gouvernements précédents dans les dépenses publiques et la santé, les confinés ne comprennent pas la logique, les infirmières et les caissières sont sur le devant de la scène, les femmes de ménage et les aides-soignantes se plaignent de ne pas l'être, le personnel sanitaire pleure des morts par dizaines ... On trouve un peu partout que les situations extrêmes présentent les mêmes choix, les mêmes situations quotidiennes : donner, garder pour soi, partager, stocker, nourrir les SDF, accompagner un malade … Ce qui diffère, c'est la conséquence de ces choix.



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Nos gouvernements sont-ils à la hauteur ? La division du travail politique suppose l’existence au sein de la société de personnes qui soient à la fois plus responsables et plus compétentes pour gouverner que n’importe quel individu choisi au hasard. Postulat fondamental de tout ordre politique, la méthode de choix devrait supposer des qualités spécifiques des personnes désignées. Le fait que des personnes se spécialisent dans le gouvernement de la société devrait apporte des avantages appréciables. Les personnes préposées à cette tâche devraient disposer de certaines compétences, parfois difficiles à maîtriser, permettant de bien faire certaines choses qu’un individu pris au hasard ne pourrait faire. Il faut du temps pour être au point sur des sujets d’intérêt collectif. Dans la mesure où il s’agit de gouverner une société dans son ensemble, il s’agit aussi d’être responsable de mesurer les larges conséquences de chaque décision dans la mesure même d’un savoir limité et aussi d’être prêt à en rendre compte devant la société. Or, aujourd’hui, le 3 avril 2020, que constate-t-on ? Souvent, on a l’impression que les fous ont pris le contrôle de l’asile et on n’est pas très gentil pour les fous. Du coup, la question se pose de ce pourquoi tant d’irresponsabilité et d’incompétence. Premièrement, il y a le facteur purement conjoncturel du néolibéralisme, extraordinaire machine à promouvoir les plus médiocres parmi nos prétendues élites, gauches et droites confondues. De mon point de vue, le sanchisme est en effet d’abord un immense n’importe quoi (tout et son contraire au fil de chaque heure, de chaque déclaration, de chaque lubie) comme l’était trop souvent le rajoyisme indolent. À peu près, les mêmes pantins qu’en France ou qu’en Italie. Macron ? Sarkozy ? Hollande ? Sanchez ? Machin Truc ?... Peu importe. Personnages politiquement apparus, respectivement, de manière ridicule, incohérente pour de prétendus gouvernants. Hollande au moins, normalien et vieux routier du PS, malgré la descente en flammes de Strauss-Kahn son « chef de cordée », venait de loin. Mais Sanchez ? Dans le cadre des carrières politiques possibles au sein des grands partis de gouvernement, il existait de fait jusqu’à l’arrivée de Zapatero à la tête du PSOE un lent cursus honorum. La lutte des places était difficile et lente. Avec le triomphe du Sanchez on a vu se confirmer une formidable ouverture au sommet pour toute une série d’individus des deux sexes qui, au vu de leurs CV respectifs, ne pouvaient guère espérer aller très haut et très vite dans une carrière professionnelle non politique. Au détriment d’un certain nombre de cadres locaux (maires, conseillers municipaux …) riches de leur expérience et ayant démontré lors des successives élections que les gens leur renouvelaient leur confiance par le vote. Si l’on passe en revue les brillants sujets qui ont pris le raccourci sanchiste, soit avant la formation du premier gouvernement d’urgence consécutif à la motion de censure, soit immédiatement après, on se dit qu’en temps normal, personne n’en aurait trop entendu parler. Le problème est bien sûr que tous ces gens n’ont pas été assez sélectionnés par les épreuves précédentes de leur carrière pour tenir le choc des responsabilités actuelles. Mais, vu les actuelles circonstances, je préfère n’en rien dire ici de peur d’outrepasser les droits à la critique légitime d’une personne publique. Il est à ce stade inutile d’insister sur des personnes qui n’ont visiblement pas suivi le moindre stage de gestion d’une crise. Parfaitement incapables de la voir atterrir, cette crise, quand elle planait déjà dangereusement sur nos têtes.


Deuxièmement, il y a sans aucun doute des facteurs plus structurels liées à des dirigeants trop généralistes. D’abord, la montée en puissance d’une manière de concevoir l’action publique à travers un progressisme purement rhétorique, dans sa version « pour les nuls » ou pour bobos. J’ajouterai que l’un des problèmes au moment de faire face au fléau néo-libéral, c’est que leur simplicité même offre à n’importe quel citoyen lambda moyennement abreuvé dans les médias subventionnés (c’est dire leur dangerosité effective !) une série de réponses toutes faites aux questions complexes qu’on pourrait se poser sur l’organisation de la société. Une même mélasse conceptuelle fait cuire ensemble réacs, bobos avancés et progressistes de pacotille. Un des grands promoteurs du néolibéralisme, Hayek, avait développé la pensée de l’intelligence collective, de la répartition de tout le savoir disponible dans la société, dans chaque individu, dans chaque institution. D’où le refus de toute planification spécifique confié à des experts prétendument compétents (taxés d’omniscients), donc vouée à l’échec, et la promotion automatique du caractère naturel des ajustements automatiques par le marché. Ses thuriféraires ne retiennent qu’une vision universelle des recettes néo-libérales.  Le célèbre « Consensus de Washington », ou le « New Public Management », qui nie justement toute la spécificité concrète, historique, institutionnelle, pratique, de toute situation, y compris bien sûr celle de tout marché réellement existant. En dehors de son aspect de son alignement sur des intérêts de classe, ce discours prêt à l’emploi, « one size fits all », correspond bien de fait aux nécessités de carrière de personnes qui ne sont spécialistes de rien, qui n’ont acquis aucune profession au sens traditionnel du terme (coiffeur, avocat, carrossier, cuisinier, taxi, etc.), avec peine et avec tous ces petits détails pratiques qui changent tout à la qualité finale d’un travail entre le bon, le médiocre ou le mauvais. Le néo-libéralisme pour les nuls va comme un gant à ceux qui se prétendent spécialistes du général, mais qui ne sont pas capables en réalité de faire dans le concret, le réel, le tangible. On en arrive rapidement à la farce, certes à très haute valeur éducative, qu’auront représentée devant nous les conseillers du PS avant conseillers du PP. Toujours les mêmes : Ivan Machin, Truc, Chose. Pablo Iglesias, leader du 15M crachant sur le bipartisme et une caste dont il fait bruyamment partie, tout et acceptant subitement le progressisme de cette social-démocratie qu’il conspuait la veille. Et devenant, avec sa pratique politique de chef de clan, caste lui-même et fier de l’être et partageant le butin avec sa femme. Qui dit mieux ? Ministres cumulards tous les deux ! Mansion de rêve relookée à leur goût ! Leur patron est bien sûr, lui aussi, la quintessence de ce type humain encouragé par le néo-libéralisme « pour le nuls », mais il y ajoute un indéniable don d’acteur. Ses laïus de ces jours appelant à la responsabilité de tous (et de toutes, bien entendu) m’ont presque tiré des larmes. On aurait cru Aznar à la tribune ! Un vrai chemin de Damas pour ce socialiste fabulateur. L’idée même de profession qui remonte au moins au Moyen-Age, semble les exaspérer au plus haut point : le refus de discuter avec les agriculteurs a ainsi été une magnifique leçon de choses, puisqu’il s’agissait là plus de principes que de considérations financières. Cela correspond bien au discours d’origine économique sur l’adaptation sans fin des personnes (« vous ferez au moins trois métiers dans votre vie ») au marché qui justifie la prédiction qu’à l’avenir tout serait automatisé avec l’usage massif d’Intelligence Artificielle et qu’il n’y aurait donc presque plus d’agriculteurs. Ni de caissières, ni d’avocats, ni de … Il faudrait aussi relire à la lumière de la haine que déclenche chez l’être sans vocation – à part faire de l’argent – la vocation d’autrui, tout le conflit avec le monde du vrai travail, ou des enseignants, avec celui de la recherche ou avec de la santé, où, à chaque fois, à côté de questions financières, ressort le mépris abyssal de la parole des professionnels, de la base au sommet. Par exemple, tout ce qui concerne le monde médical. Ce refus de la profession et du professionnalisme comme élément fondateur de la société de la part de nos minables dirigeants de l’heure ressemble fortement à la tendance, de la part des cadres des partis communistes d’avant 1989, à se méfier des vrais professionnels de quelque domaine que ce soit (ingénierie, musique, informatique, etc.). L’essentiel étant toujours de connaître la ligne du parti, les médiocres y trouvaient en effet leur compte, leur planche de salut. Quoi de plus simple à apprendre qu’une ligne de parti ? Cette comparaison avec l’ère du communisme finissant se sent en particulier dans les fameux éléments de langage que nos pauvres bougres de serviteurs du grand comédien menteur professionnel canonnent de plus en plus mollement faute d’être autorisés à penser par eux-mêmes. En seraient-ils seulement capables ? « Tout va s’améliorer », « il n’y aucun problème », « tout a été prévu », « notre stratégie de confinement est la bonne, inutile de tester massivement les populations », « le plan quinquennal de productions de masques et de respirateurs a encore une fois été dépassé », « le gouvernement a tout prévu », « il faut avoir une confiance absolue dans le Parti, car la victoire est proche », « des hooligans islamo-trotkystes veulent faire trop de jogging, ils sabotent l’édification du socialisme ». Je vous demande pardon, je mélange un peu les genres …

Il y a, enfin, que ces politiciens généralistes ne sont soumis à l’épreuve des conséquences de leurs actes tout au long de leur carrière. On voit apparaître ça et là des collectifs manifestant leur intention de demander à la justice d’enquêter sur les manquements graves des autorités dans la gestion de cette crise au nom de la mise en danger d’autrui. Certains opposants politiques évoquent des procédures spéciales de jugement contre les Ministres, voire contre le Président. En admettant même que ces procédures aillent à leur terme, ce dont je doute fort tant les difficultés juridiques s’accumuleraient dans de telles démarches, elles ne peuvent avoir aucun effet sur notre situation présente. En effet, celle-ci résulte du sort fait aux dirigeants dans notre pays depuis des décennies. À commencer par celui fait au chef de l’État émérite. Or il faut bien constater qu’à regarder les quarante dernières années, être responsable personnellement de quelque grand désastre public (que ce soit par sa gestion de l’État, d’une collectivité locale, ou d’une grande entreprise) ne vous expose pas au final à grand-chose. La civilisation des mœurs et la disparition de toute notion de châtiment sont passés par là. Nous ne sommes plus à l’époque où la marine britannique pendait ses amiraux défaits lors d’une bataille – coutume certes cruelle, mais à forte valeur éducative. Nous ne sommes pas à celle d’un Staline faisant exécuter en 1941 par le NKVD ses chefs militaires ayant reculé – coutume là encore bien cruelle, mais quelque peu motivante pour les rescapés. Même si un citoyen ordinaire, par exemple un chef de petite entreprise, peut encore être ruiné, voire réduit à la mendicité par ses erreurs de gestion, ce n’est pas du tout le cas pour toute la classe dirigeante des grandes entreprises et de l’État. En cas d’échec patent aux yeux de tous, tout dirigeant de telle grande structure pourra toujours nier sa responsabilité en la reportant sur la complexité de la situation, voire même se complaire dans le larmoyant en se présentant en victime d’une situation qui le dépasse voire tout rejeter sur ses prédécesseurs. La disparition de tout sentiment de honte chez nos politiciens et l’omniprésence de la formule « j’assume ! » tiennent au fait qu’ils savent très bien au fond qu’aucun d’entre nous n’aura ni le courage ni les moyens d’aller leur mettre en prison ou leur réclamer des dommages et intérêts. Un autre exemple : l'assassinat politique. Tradition cruelle s’il en est, elle joue toujours chez nous du prestige de l’impunité et n’a pas eu non plus de graves conséquences au vu des énormités infligées. Cela n’améliore guère le karma de qui ce soit… La vertu d’obliger chacun à bien soupeser les conséquences de ses actes relève du pur rêve pieux. Les victimes disparues à jamais ou terrées dans leurs souffrances ne viendront efficacement nous rappeler que les assassins sont toujours là. Que risque-t-on aujourd’hui à être une crapule, une pourriture, un assassin ? Une interview à l’eau de rose. Des accueils du voisinage admiratif applaudissant. Et ensuite sans doute un livre chez quelque éditeur complaisant. Grandes incitations à la responsabilité, comme chacun sait … 



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Un luxe dans la communication actuelle : respecter les règles grammaticales.

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Nostalgie subite, au vu d’une photo postée sur un réseau social, des longues conversations (souvent nocturnes) avec E. D. H. Un temps déjà révolu. Une jeunesse de province, des lecteurs compulsifs rêvant du monde tel qu’il n´était pas. Tous ces débats classiques sur le sens de la vie, sur les causes et les conséquences… Des rires aux larmes. Ce rire en cascade qui se répandait dans la nuit, que je garde parfaitement enregistré dans ma tête, que je diffuse en boucle dans mes souvenirs. Quelle race de parleurs !

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Le prédateur G. Soros guette une proie qui lui semble bien juteuse : L’Espagne. Pour disperser au gré des sérails l’État espagnol. Narcisse Sánchez le connaît, il a été reçu par lui. Ceux qui ne rechignent pas à collaborer dans la besogne de cet équarrisseur de nations, comme le pitre Iglésias ou son sous-pitre Echenique, ont besoin de beaucoup de sous pour qu’on les prenne pour des intellectuels. Soros entretient une garde prétorienne internationale capable d’exécuter civilement sur les médias d’un vaste empire médiatique tout semblant de contestation de la bande. Tout ce monde-là sème sans défaillir une perpétuelle rivalité s’adaptant à la multiplicité des pouvoirs en place. (Ver el libro Soros rompiendo España, de Juan A. De Castro y Aurora Ferrer, Homo Legens, Madrid 2018).

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Le manque de culture est un obstacle à la vraie conversation. Sinon, il faut se contenter de triturer des faits d’actualité. Et avec précaution ! Les gens aujourd’hui n’aiment liker verbalement que des pensées unanimes et rapides.
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Les enfants des bandits du franquisme, après de nombreux tours de passe-passe biographiques, (Cf. César Alonso de los Ríos, Yo tenía un camarada, Altera) sont devenus, parlementaires, démocrates, sérieux. Et alors ? Alors, pas étonnant que de nombreux députés et sénateurs de « seconde génération » soient des gens sans morale. Et que la Monarchie et la classe politique ne soient pas tout à fait conformes aux règles de l’éthique ni de la common decency orwellienne. Ou que l’État espagnol ait remplacé depuis son début d'existence la tribu par la morale... Les codes changent plus vite, hélas, que le cœur des humains [1].

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Coda sans instruments : Vu avec JM et CF le film Lincoln de Spielberg, à des heures différentes et dans des jours différents. Après discussion - d'avant le confinement ! - via Wattshapp à propos des micmacs épistolaires Marx-Bakounine et de leur avoir scanné quelques pages du superbe Michel Bakounine et les autres d’Arthur Lehning, déjà évoqué ici il y a quelques mois, je leur laisse ce lien pour tirer au clair quelques curiosités à propos de la « convergence » Marx-Lincoln. 





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[1] Prétexte pour inviter à lire : un texte superbe de Gracq, La forme d’une ville, inspiré du poème de Baudelaire Le Cygne, et le livre de J. Roubaud dont vous avez l’image ci-dessous :