J'aime

jeudi 11 octobre 2018

En attente de l’aube ...





Je marche. J’écris. Je photographie lorsque je traverse les villes, les monuments, les paysages, entre ciel et terre vers la ligne d’horizon. J’aurais voulu avoir la patience de noter en chemin mes/nos impressions : « pluie », « soleil éclatant », « montagne merveilleuse », « arbre déraciné », « rue sale » … Pour que la marche, même rapide, devienne une expérience de la marche. Ou la transformer en art mais loin de la « culture », du presque obligatoire « devenir culturel » de l’art. Je répugne à me considérer touriste et pourtant je le suis et à chaque fois que je visite (en consommateur ?) un lieu, un quartier, un monastère, j’y deviens invisible et je ne veux rien y « voir » comme si j’étais éternellement au cinéma[1]

Je déteste rédiger des légendes pour chaque photo. Mes propres pas pourraient l’être. Je marche durant quelques heures, démarche extrêmement facile et peu exigeante, en regardant d’autres personnes et sans m’arrêter de méditer aux gens qui marchent autrement, en pèlerins, vers quelque part. Pour s’imprégner de l’énergie qui se dégage de leurs propres traces. Nous visitons des musées. Le temps de chaque visite se perd inexorablement dans la masse d’informations (audio-guides, étiquettes, panneaux, pancartes, écrans …) fournies pour chaque objet qui, par culture interposée, finit noyé dans le néant … Dehors, souvent, promenade impossible. Trottoirs envahis par toute sorte d’engins à deux roues, des monstres dessus. Mobilier urbain ridicule. Publicités moches à en vomir. Épandage excrémentiel, symptôme plutôt de la qualité des propriétaires que des animaux. Espaces urbains devenus mesquins où toute promenade reste interdite et la moindre tentative de conversation impossible. 



Je pense souvent à la rue Sainte-Catherine de Bordeaux, cette réserve à piétons-consommateurs où tout n’est que fatalité économique : des foules coulent et s’accélèrent au fil des heures chaque jour pour le bonheur des boutiques et des magasins, ce n’est même pas urbain : c’est un décor. Des millions de visiteurs par an, déversés par les bus gros-porteurs pour consommer, se restaurer, acheter. La ville devenue vidéo-clip d’elle-même. Nous-mêmes devenus des clips.

… / …

La politique est plus spectacle que jamais grâce à la télé, c’est l’envahissement des « débats ». C’est quand même inquiétant qu’il y ait un public enthousiaste, persuadé qu’il participe à une entreprise citoyenne quand il regarde des gens qui rivalisent pour faire des mots avec l’actualité minable. C’est la guerre des tranchées. On tire à vue sur tout ce qui dépasse, confortablement installés dans la boue dialectique. Vous êtes des nôtres ?


[1] Lors de notre visite à plusieurs villes allemandes, très particulièrement à Berlin et à Dresde, j’ai projeté à mes proches, en surimpression, ce que j’avais « vu » sur des centaines de photos et de films, des tonnes de bombes au phosphore sur des villes fantasmagoriques dont les bâtiments, les voitures, les églises, les champs et les gens déchiquetés se diluaient dans d’immenses océans de flammes … Tout était pourtant là, devant nos yeux, mais il y en avait qui ne « voyaient » rien. Les « visions » que j’avais bien eues avaient disparu. Les années écoulées avaient modifié le décor, seules demeuraient les images, cosa mentale