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dimanche 19 janvier 2025

La lanterne de Diogène

 

Benoît Chain © MDDS

Troisième dimanche de janvier. Matin gelé. Il est déjà onze heures et je n'ai encore rien fait. Lectures de blogs, de la presse en ligne : c’est tout. Très beau lever du jour, plein de nuages rouges comme ceux d’hier au crépuscule, éparpillés et rouge-sang. Les vues du ciel, d’hier et d’aujourd’hui, n'ont duré que quelques minutes, mais l'éblouissement de ces instants de bonheur restent gravés en moi. Le ciel pur maintenant, l’air transparent, le temps, froid, sec et glacé me paraissent comme quelque chose de complètement neuf et rajeunissant. Et une nuit bien reposée après deux-trois jours de soucis avec le déplaisir qui les accompagne normalement. Deux mil vingt-cinq 2025 passera, lui aussi, minuscule encoche sur une longue droite qu’on ne sait pas où elle va sans que cela signifie qu’elle mène quelque part si ce n’est vers la mort. On l’oubliera. On nous oubliera. Même si l’oubli se tient étroitement enlacé au souvenir. Je pense ces jours-ci à mon beau-frère disparu il y a quelques semaines. J’ai vraiment du mal à distinguer certains souvenirs d’une réalité vécue, d’aspect authentique, mais définitivement disparue, dévorée par l’oubli, d’autres plus ou moins fantasmés qui apparaissent pour faciliter mon bilan subjectif d’une époque dans laquelle on a vécu obligatoirement ensemble et qu’on ne peut même pas imaginer aujourd'hui. 

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Notes d’un tire-au-flanc. J'admire les gens qui font face, ceux qui se tiennent debout, qui ont ce courage sans peur des risques ou des réactions de la masse gentiment soumise qui se limitent à murmurer à voix basse un mécontentement de façade. J'ai fait un temps semblant d'appartenir à cette race-là, parce que je trouvais que ça avait de la gueule, mais j'ai dû bien vite déchanter, admettre que ma pente n'allait pas de ce côté-là. Dans le fond, je ne serai jamais un courageux parce que je n'ai pas le sentiment de pouvoir être utile, puisque je ne peux pas faire entendre raisonnablement ma voix à ceux qui ont la capacité et l'influence nécessaires pour agir. Mes sentiments privés et intimes ont donc la priorité sur les grandes causes du monde. C'est particulièrement vrai en ce moment où tout ce qui s'apparente à l'actualité me dégoûte au plus haut point et le peu de culture que j'ai m'éloigne de plus en plus du présent. Par désillusion absolue d’un quotidien que mon être rejette violemment comme un corps étranger, comme un poison sans antidote.

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Pile de lectures en vrac. Je continue avec mes écrivains, romanciers, philosophes, essayistes fort divers, certains tombés dans un relatif oubli (Élisée Reclus, Kropotkine) ou simplement détestés (Céline) sinon carrément haïs (Rebatet, Chardonne, Brasillach). Il me faudrait une lanterne de Diogène pour m'y orienter. On nous promettait depuis deux siècles le progrès grâce à la science, à l’éducation et à la culture, l’accès illimité aux mondes illimités grâce aux Lumières mais il se trouve qu’on nous enferme de plus en plus dans un monde obscur sans issue, fanatique, irréel, capable de vouloir effacer les lois de la biologie et du sens commun, coupé de tout chemin vers le ciel ou l’enfer, sans vie intérieure et sans rapport avec la réalité tangible. On nous assure que la vie est une blague, vide, après l’avoir encombrée de toutes les sornettes insanes ou criminelles dont ils ont tenté sans repos mais non sans succès de la peupler. J’ai du mal à trier les déchets pour déverser les cultes de l’écologie, de toute une ribambelle d’articles de foi du wokisme, des religions séculières qui prétendent se moquer d’une religio perennis dont les jalons étaient, parallèlement à la Révélation proprement dite, la Sybille de Tibur annonçant le Sauveur à Auguste, l’interprétation prophétique de la Quatrième Bucolique de Virgile, la conviction de Claudel (Repos du septième jour) que la Chine savait quelque chose du vrai Dieu, la certitude de Joseph de Maistre qu’il existait une tradition qui ne s’est jamais perdue. La seule tâche passionnante admise pour s’investir à Davos, est celle de faire face au passé, pour l’effacer, en faisant l’image même de la barbarie et du désordre. L’une des tares les plus affligeantes du destructif esprit « sorosien ». Et critiquer cela n’a rien à voir avec une idée nostalgique du passé, comme si le présent n’était que « décadence » ou quelque chose de ce genre, mais avec une révulsion profonde provoquée par les soi-disant intellectuels de tout poil du monde officiel qui proclame fièrement l’imminente arrivée, non pas du Messie, mais de l’homo stultus after computer, riche de son intelligence artificielle, que Bernanos nous annonçait comme plus étranger que l’homme des cavernes, avec sa technique et sa science, capables de faire oublier une fois pour toutes les maux inévitables de la condition humaine. Sans oublier la revendication de drogues de tout genre, physiques et psychiques, à portée de main pour nourrir le rêve de n’importe quel individu : stupéfiants, euphorisants, publicité, réalité virtuelle... Effaçons l’héritage de l’histoire, plaisir solitaire des érudits. Attaquons l’essence même des mots pour les inoculer un poids de folie victimaire qui les rende accommodables à toutes les sauces des pires politiciens ignares qui, incapables et incompétents dans tous les domaines, ne se montrent plus capables de répondre à leur besoin démagogique d’« aller toujours plus loin » qu’avec des mots, ridiculement manipulés. Alors que la barbarie avec son cortège de mépris pour toutes les formes de la culture héritée nous guette tous, espérons un temps de réaction suivi de quelques sains réflexes qui permette à tous ceux qui ont la possibilité de redresser la tête, d’aller immédiatement à ce que les auteurs qui ont eu quelque chose à écrire (et à dire, en leur temps) gardent de profondément vivant et revigorant pour chacun de nous. Ici et maintenant.


 

 

 

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