J’ai l’impression d’être le fruit de la patience d’une longue maturation, au-delà d’une réalité géographique variée, qu’on pourrait suivre à travers un esprit et un état d’âme liés à des connivences de pensée partagées avec des auteurs insolites très variés et d'attitudes politiques fruit de lectures longuement sédimentées : des textes de Nerval du côté de Senlis, de Proust du côté de Combray, de Chardonne du côté de Barbezieux, de Fraigneau du côté de Perpignan, de Vialatte du côté de Clermont-Ferrand ou de Daniel Boulanger du côté de Compiègne… autant de miroirs d’une France durable. Je me vois citoyen de cette France-là que les passeports ignorent ou les modes dédaignent, une France à la lisière des contraintes administratives, heureuse à parcourir même dans des moments plus ou moins longs de pessimisme. Il me semble que je n’ai pas à rougir, non plus du reste à me vanter, de ce que j’ai toujours été : pèlerin de passage, provincial d’un bout de terre cerné par une rengaine de sottises pataudes dans ce Pays Basque sud dans lequel, faute d’ancêtres ou d’arbre généalogique fort d’un groupe sanguin, je me suis quand même senti chez moi, basque à titre étranger, ressortissant espagnol de culture française sciemment acquise, indépendant apparenté au groupe antiparlementaire du bonheur partagé avec mes semblables quoi que puissent être leurs adhésions politiques ou leur foi. Je suis né pas loin de France, sur une terre depuis longtemps romanisée, à quelques trois cents kilomètres d’une frontière que les manuels scolaires de l’époque dessinaient, nette et définitive, pour nous séparer d’elle grâce aux monts Pyrénées. Mon pays natif castillan, loin des progrès du capitalisme sauvage, ressemblait à s’y méprendre aux images spartiates d’une Espagne classique où le temps s’était arrêté. On était à part. À part du progrès que Basques et Catalans, mieux lotis économiquement et toujours à côté de leurs sous, maudissaient de leurs avant-gardes éclairées et méprisantes. À part de l’histoire d’une Europe riche, invitée sans complexes à la cantine de ses maîtres Américains. Dans ce cadre-là, mon pérenne exotisme a été la lecture. Pas celle, glaçante, des prétendus professionnels toujours prête à proscrire quitte à intimider, mais celle du désordre du préau de ma tête. Longtemps après mon départ à la retraite, j’y suis encore.
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