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mercredi 6 mars 2024

La mer est ton miroir, tu contemples ton âme ...

 


Ma vie se déroule dans ma tête rebelle au sommeil comme un film qu’on rembobine sans cesse, sans metteur en scène, ni héros, ni aventures, seulement le bruit légers des volets d’une maison, à côté, qui grincent doucement dans le vent. Souvenirs des heures de lecture accumulées. En vain ? Et une lente rumination du choc entre sagesses biblique et chinoise. Dans Proverbes (30 : 18-19), des versets que je consulte rapidement pour rendre en leur littéralité : « Il y a trois choses qui sont trop merveilleuses pour moi, et même quatre que je ne comprends pas : le chemin que suit l'aigle dans le ciel, celui du serpent sur le rocher, celui du navire en haute mer et celui de l'homme chez la jeune fille. » Très poétique, ça donne envie d’encadrer quelque part ces images ! Après un instant à remuer dans l’enthousiasme provoqué par la mémoire, je vois revenir la fraîcheur désabusée du scepticisme d’un proverbe chinois, lu quelque part mais qui arrive au bon moment : « Un homme ne laisse pas plus de traces dans une femme qu'un oiseau dans le ciel. » Les deux rives se font face, étrangères l’une à l’autre, mais l'une et l'autre me sont pour quelques instants abordables : la rive biblique, plus chargée de rêverie tourbillonnante, et la rive chinoise, chargée de désillusion. Je me remets à revivre mes peurs, mes angoisses, j'entends les os de mes genoux craquer me tournant et me retournant au lit, mes nerfs se tendre, et mes pensées tourner à vide comme des flocons virevoltants. Je me lève dans le noir en fixant les yeux sur mes pieds. Dans une tête qui réfléchit, il y a aussi quelqu’un qui regrette quelque chose. Et c'est ainsi que les nuits finissent, en me donnant envie de tout reprendre, tout en me faisant comprendre à moi-même que ce sera inutile de vouloir revivre ce qui n’est plus … Alors je laisse voler mes pensées dans leur débâcle pour en conclure que mon dernier rêve n'était qu'un songe vite oublié.

***

Donne de la force à mon âme, mon Dieu, de la force pour que, si je survis, mon âme supporte tout ceci, de la force pour mourir en paix et sans gémir si cette tempête m’emporte. De la force pour que je puisse rester fidèle à mon âme et à tout ce en quoi j’ai cru jusqu’à la dernière minute.

(…)

À l’église, le soir. Silence profond. L’autel est plongé dans la pénombre. Je sens que Dieu est présent, tel un ministre dont on doit respecter les horaires de réception, et je m’étonne de ce qu’il trouve le temps d’être ici, à l’église, alors que le monde l’attend et le cherche partout…


Sándor Márai, Journal T1, Les années hongroises 1943-1948

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Préparation des adieux à l'appartement rue Gaston Marchou. Nous emporterons les livres que nous avions en double ou en triple dans d’autres maisons. Parmi eux, il y en a un (Algèbre des valeurs morales, de M. Jouhandeau) qui m’a toujours fait travailler énormément quand j’ai voulu en traduire des extraits, et un autre, dans un état piteux, souligné, surligné, noté, toutes feuilles tombantes décollées d’un dos complètement déglingué : La route des Flandres, avec lequel j’ai un lien personnel. Si ce modeste livre, matériellement malade et physiquement irrécupérable, disparaissait cela m’entraînerait sans doute dans un état proche du sentiment que l'on éprouve lorsqu'on perd un être cher. Tout de même, c’est en lui que j’ai pris contact avec l’écriture de Claude Simon. Sans lui, je me sentirais particulièrement aveugle, sourd et muet. Ce livre a été « mon refuge et ma forteresse » avant de faire personnellement connaissance avec C. S., à Saint-Sébastien, lors d’une conférence à l’hôtel Maria Cristina. Je ne sais pas ce qui me lie à l’esprit qui émane de ce livre-là, dans une complexe marqueterie textuelle qui m’a toujours envoûté et pour laquelle j’ai toujours éprouvé un sentiment de mystérieuse attirance. Ce vieux livre de chez Minuit, l’un de mes derniers amis.



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