Deux juin. Rosa rentre à la maison. Au revoir, l’hôpital, à bientôt quand même, médecins et personnel hospitalier si dévoués, tous attelés à leur tâche et à quel point ! Voici un mois qui commençait pour elle un bien triste et pénible parcours contre la même bête qui dévora mon père. Une courte visite médicale, à notre retour de Séville, avait enclenché la course contre la montre. Après une longue intervention, apparemment, tout pourrait aller bien, pour autant que les analyses pertinentes déjà entamées depuis quelques jours soient nickel, et que, donc, l’espoir soit capable de reposer sur des bases bien fondées. Généralement, le cancer pâtit auprès des gens plus ou moins proches mais on a tendance à croire qu’il n’a aucune raison de s’occuper de nous et que les oncologues dont il assure le métier sont capables de miracles à chaque fois. C’est pourtant un compagnon d’une exemplaire fidélité, qui vous prend par la main dès votre jeunesse et ne vous abandonne qu’en dernière extrémité. Il y a d’abord le cancer des autres, généralement plus âgés que soi mais pas toujours, sans doute pour nous habituer à sa présence avec le moins de brutalité possible ; puis arrive le sien propre, voire celui des siens. On préférerait des amis moins constants que celui-là ! J’accompagne toujours Rosa lors de sa tournée effrayante de consultations diverses. Tout d’un coup, me reviennent en mémoire les mots prononcés le 24 septembre 1977 : « Je fais la promesse solennelle de t’aimer, de t’être fidèle, de te chérir pour le meilleur et pour le pire, dans la richesse comme dans la pauvreté, dans la santé comme dans la maladie … » Et la vie continue à côté de vous, traînant derrière les griffes de la maladie, dans la solitude et la nudité essentielle propres de l’être humain.
On ampute des morceaux à l’Ukraine, affirment les partisans des valeurs universelles d'une Ukraine qu'on ignorait si essentielle au bon fonctionnement de l’univers. Drame chez les « gentils » du tout à l’égout occidental ! Le dépeçage de l’ex-Yougoslavie n’avait pas choqué grand monde, si ma mémoire est bonne … Et puis l'histoire de la méchante Russie et la gentille Ukraine commence à tourner au vinaigre pour la gentille Ukraine et il va devenir difficile de monopoliser les antennes médiatiques sur le sujet pour distraire l'attention du peuple des vrais enjeux qui le concernent vraiment. En effet, comment continuer à hypnotiser le citoyen si la Russie termine la guerre dans quelques semaines après complète annexion de l'est ukrainien russophone et russophile ? Reconnaître la victoire russe, constater la déroute de Zelensky, éventuellement assister à son renversement par un coup d'état mené par l'état-major des armées ukrainiennes conscient du chaos vers lequel ce dirigeant fou mène son pays, évaluer l'énorme gâchis financier en envoi d'armes aux milices nazies, juger le sacrifice des vies civiles et militaires ukrainiennes uniquement dû au prolongement imbécile du conflit voulu et entretenu par l'OTAN : autant de sujets qu'il vaudra mieux passer sous silence. Une résurgence covidienne pourrait faire opportunément l’affaire pour éviter que le peuple cogite sur ses vrais motifs d’inquiétude : son pouvoir d’achat qui fond comme neige au soleil, sa sécurité dans la vie de tous les jours, l’immigration qui lui donne l’impression d’être un exilé sur son propre sol, la déliquescence de l’instruction de ses enfants, entre autres. À moins que la Covid ne laisse son tour à une variole du singe ? Ça ne serait pas mal, ça, une bonne petite variole. D’abord, ça apporterait un peu de changement dans la terminologie. Ensuite le mot fait peur, même si en l’occurrence la variole du singe est à la fois moins transmissible et moins létale que la vraie variole, et qu’elle se guérit toute seule. A moins évidemment que son virus ait été bidouillé entretemps, grâce à des techniques d’augmentation de moyens dont des laboratoires américains situés – comme c’est bizarre – en Ukraine, sont passés maîtres…
Perles cultivées de chez Carl Schmitt in Glossarium, El Paseo
La señal de la cruz produce
mayores radiaciones de uranio que todos los fabricantes de bombas atómicas. Me
hago la señal de la cruz sobre el desorden de mis afectos y emociones, y veo a
Cristo caminar sobre las aguas.
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Siento que este es uno de los
momentos de mi vida en los que lo personal-privado y lo universal-general
coinciden en los hechos y la sombra de Dios que todo lo dispone roza mi pequeña
vida. Debo decírselo a mi hija para tener testigos, tal y como los padres de
Joseph de Maistre en el año 1772 le dijeron a su hijo, que estaba jugando:
niño, ha habido una gran desgracia, el papa ha disuelto la orden de los
jesuitas. ¿Cómo aprehender la profundidad de este momento? ¿Durante cuánto
tiempo lograré mantenerme en esa profundidad? [al margen, copiado de una carta
a su hija: “¡Mi niña! Te escribí esta carta solamente para comunicarte algo
cuyas consecuencias solo se sabrán en los años venideros. No va a interrumpir
tus alegrías ni tristezas. Pero debes conocerlo. El gran y no poco importante
filósofo Joseph de Maistre lo supo en su niñez y nunca lo olvidó”].
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Commencé Les bouffons. Roman des temps révolutionnaires, consacré à
la folie révolutionnaire, chute de Robespierre, etc. et le surprenant En
attendant le roi du monde, d’Olivier Maulin, dont je compte bien inclure
dans un prochain billet quelques notes de lecture.
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Bribes de Guerre, Louis-Ferdinand Céline
Ça se branlait donc dès que ç’avait un peu bu et dormi, ça s’enculait
peut-être aussi l’allié, parce qu’à l’époque chez nous c’était pas encore très
répandu comme mise en scène.
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… elle était bandatoire de naissance
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La paix quoi. Le canon de là on l’entendait presque plus. On s’est assis
sur un remblai. On a regardé. Loin, loin c’était toujours du soleil et des
arbres, ce serait le plein été bientôt. Mais les taches de nuages qui passaient
restaient longtemps sur les champs de betteraves. Je le maintiens c’est joli.
C’est fragile les soleils du Nord. À gauche défilait le canal bien endormi sous
les peupliers pleins de vent. Il s’en allait en zigzag murmurer ces choses
là-bas jusqu’aux collines et filait encore tout le long jusqu’au ciel qui le
reprenait en bleu avant la plus grande des trois cheminées sur la pointe de
l’horizon.
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Dans un enclos on voyait des [ouvriers] et tous les moines, des vieux,
travailler. Ils s’en faisaient pas. Ils taillaient des espaliers. C’était le
jardin de leur maison mère. Dans les sillons par-ci par-là un paysan soulevait
le paysage avec son cul. Ça fouillait la betterave.
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C’est écœurant quand on a vu pendant des mois les convois d’hommes et de
tous les uniformes défiler dans les rues comme des bancs de saucisses, kakis,
réserves, horizons, vert pomme, soutenus par les roulettes qui poussent tout le
hachis vers le gros pilon pour con. Ça part tout droit, ça chantonne, ça
picole, ça revient en long, ça saigne, ça picole, encore, ça pleurniche, ça
hurle, c’est pourri déjà, un coup de pluie, voilà le blé qui pousse, d’autres
cons arrivent en bateau, il mugit, il a hâte de tout débarquer, sur l’eau il
virevolte le grand souffleur, tourne du cul, le beau navire dans la jetée, le
voilà reparti fendant les vagues écumantes en chercher d’autres… Toujours
contents les cons, toujours à la fête. Plus qu’on en écrabouille mieux les
fleurs poussent, c’est mon avis. Vive la merde et le bon vin. Tout pour rien !
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Tant qu’il y a du vice y a du plaisir.
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Les deux jetées sont devenues toutes minuscules au-dessus des mousses cavaleuses,
pincées contre leur petit phare. La ville s’est ratatinée derrière. Elle a
fondu dans la mer aussi. Et tout a basculé dans le décor des nuages et l’énorme
épaule du large. C’était fini cette saloperie, elle avait [répandu] tout son
fumier de paysage la terre de France, enfoui ses millions d’assassins
purulents, ses bosquets, ses charognes, ses villes multichiots et ses fils
infinis de frelons myriamerdes. Y en avait plus, la mer avait tout pris, tout
recouvert. Vive la mer !
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C’est drôle y a des êtres comme ça ils sont chargés, ils arrivent de
l’infini, viennent apporter devant vous leur grand barda de sentiments comme au
marché. Ils se méfient pas, ils déballent n’importe comment leur marchandise.
Ils savent pas comment présenter bien les choses. On a pas le temps de fouiller
dans leurs affaires forcément, on passe, on se retourne pas, on est pressé
soi-même. Ça doit leur faire du chagrin. Ils remballent peut-être ? Ils
gaspillent ? Je ne sais pas. Qu’est-ce qu’ils deviennent ? On n’en sait rien du
tout. Ils repartent peut-être jusqu’à ce qu’il leur en reste plus ? Et alors où
qu’ils vont ? C’est énorme la vie quand même. On se perd partout.
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"Vivimos momentos sombríos.
La gente se cree progresista, porque vota PSOE, y eso les permite defender
posiciones de individualismo a ultranza y justificar el pelotazo, la rapiña: a
ratos lo más negro; otros, lo que es
simplemente estúpido: la pegajosa bobaliconería de la gente de bien, la clase
media franquista que tanto odiábamos, ahora se ha refugiado en el socialismo;
los franquistas furiosos han empezado a aparecerse con el halo romántico de
quien mira la vida a contrapelo, esa mirada sesgada, la posición hirsuta, los
correajes y pistolas, los socialistas son más de colegio de monjas."
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"La dignidad, en la
pasividad del sufrimiento. La humillación te eleva, te dignifica. Un hombre
sacado a rastras, borracho, golpeado delante de su hijo, encuentra su dignidad,
el espacio de piedad que Dios le concede. Pasa de víctima a mártir. Se abre
hueco en el almacén de los símbolos"
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"Resulta curioso lo poco que
se ha comido en la narrativa española que ha escrito la gente de mi generación,
honrosas excepciones aparte, entre ellas, una vez más, ese foráneo, o
foramontano, que es el hirsuto Sánchez-Ostiz. Los habitantes de la Umbría de su
invención, que tantos disgustos le ha dado, devoran toneladas de morros y
magras con tomate. La mayoría de los personajes de la novela española de mi
tiempo pertenece al cupo de bajtinianos personajes cerrados que no comen ni
excretan."
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" sufrimiento y las
destrucciones padecidas por los perdedores. Hans Erich Nossack: Interview
mit dem Tode (1972); HeinrichBöll: El ángel callaba; Hermann Kasack:
La ciudad detrás del río (al parecer, la novela decisiva sobre el tema,
no la he leído, ni siquiera sé si está editada aquí); Peter de Mendelssohn: La
catedral"
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"un novelista olvidado, del
que nadie se ocupa, y cuya visión es imprescindible. Se llama Gert Ledig, y sus
novelas son El órgano de Stalin y La revancha (P.S. He leído la
novela, aquí titulada Represalia, algún tiempo después de escribir estas
notas), que se desarrolla durante un bombardeo de una hora en una ciudad innominada.
En su libro Europa en ruinas, Hans Magnus Enzensberger recogió visiones
de testigos extranjeros, pero no de los propios alemanes."
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"Son fiestas en el pueblo.
Hasta aquí me ha llegado el ruido de los fuegos artificiales (ni siquiera me he
asomado a la ventana para verlos), y, ahora, la música que anima el baile llega
hasta casa desde el fondo del valle. No soy de este pueblo, ni quiero serlo. En
Valverde tuve la sensación de que – a la contra de las fuerzas vivas, en
continua pelea – lo era, me interesaba el bienestar de aquel pueblo, la
felicidad de la gente. Aquí me da exactamente igual. Viven satisfechos en su
deriva hacia lo peor. Allá ellos. Al principio, me sedujeron las palabras de la
lengua materna, el tono de voz, los cuerpos que eran cuerpos que parecían
sacados del pozo de mi infancia, cierta manera de estar en el mundo, pero no he
tenido tiempo para hacerme la ilusión de que recuperaba algo de ese brillo, de
que volvía a él. Lo que el amago de convivencia aquí me ha echado a la cara es
el conjunto de razones por las que nunca quise vivir en esta puta tierra"
---
"Jünger, que había
pertenecido a las SS" (??)
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"aunque Céline hubiera escrito
sus Bagatelles llamando a masacrar a los judíos"
---
"Los cristeros mexicanos, su
furor carnicero; los fundamentalistas musulmanes, que degüellan a sus víctimas
con la misma técnica que a los corderos que se comen en la fiesta del profeta,
en el Mouloud.”
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"En el siglo XXI se es joven
hasta los ochenta."
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"En el libro sobre Gil de
Biedma, Dalmau nos cuenta las estrategias de mercado de los señoritos
catalanes: escalar la montaña de la posteridad abriéndose paso a hachazos en el
mundillo literario gracias a su privilegiada red de relaciones; pactar unos con
otros la escala del prestigio; crear lo que, si no estuviéramos hablando de
gente culta y procedente de buenas familias, llamaríamos un grupo mafioso. Tal
como lo cuenta Dalmau, la cosa acaba cobrando un toque cínico, mezquino: la
carrera literaria, qué mal suena eso. Asegurarse la crítica en el periódico, la
benevolencia del crítico que la escribe, la página de la enciclopedia, el
capítulo en el libro de historia de la literatura. Ponerse bien los unos a los
otros, citarse, concederse espacio en los artículos, en las colecciones de
narrativa o de poesía, concederse los premios literarios. La red. ¿Dónde está
todo aquello de un mundo mejor, que – a quienes en su momento los leíamos
confiados – nos empujó a ser lo que somos?, ¿qué queda de lo que nos contaban
ellos mismos a quienes éramos por entonces adolescentes?, ¿solo fueron
estrategias de un grupo de señoritos aburridos y vanidosos? Había que luchar
por la verdad, por la justicia, por los pobres, por lo que fuera, menos por uno
mismo. Ese era el mensaje, esos eran los principios."
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"los árboles tienen raíces, los judíos
tenemos piernas."
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Lecture d’Imre Kertész (Sauvegarde, Actes Sud)
Les humiliations physiques de la vieillesse. Je ne l’aurais jamais cru,
mais la vieillesse arrive d’un coup. D’un jour à l’autre, presque d’une minute
à l’autre. L’attitude physique change soudain et on ne peut rien y faire. Une
envie d’uriner vous prend brusquement et il faut lui céder tout de suite sous
peine de souiller son linge de corps. Quelle humiliation. La pire catastrophe,
c’est l’impuissance, alors qu’on n’a pas perdu son attirance pour les femmes.
Une autre catastrophe, c’est l’insomnie. Il est trois heures quarante-deux du
matin et je n’ai pas encore fermé l’œil.
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Je m’abîme dans la fabrication de textes que je lis avec bonheur et
étonnement – je ne les comprends pas toujours, mais ils sortent de ma plume,
cette petite boîte qui répond au nom d’ordinateur.
---
Ce qu’on fait aujourd’hui de la démocratie n’a pas grand-chose à voir avec
la res publica ; je parlerais plutôt de démocratie de marché. Avec un peu
d’autodiscipline, c’est une forme d’existence très agréable, mais elle prendra
vite fin, à cause de son évolution insolente vers la centralisation de l’argent
et du pouvoir ; alors c’en sera fini de l’autodiscipline et de la douceur de
vivre. N’est-ce pas une sorte de fascisme discret qui nous attend, avec parure
biologique, restriction totale des libertés et relatif bien-être matériel ?
---
Un illuminé monomaniaque prend le pouvoir, les véritables détenteurs du
pouvoir et de l’argent voient une bonne opportunité dans sa personne et dans
ses convictions, et les foules cèdent à leurs véritables penchants – la haine,
le sadisme meurtrier, la servilité, le faux héroïsme et, surtout, la
possibilité d’accaparer tout ce qui reste.
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Mon Dieu, Rousseau s’est trompé ; il n’a même pas su juger sa propre
nature.
La souffrance, seule la souffrance est sérieuse. Je crains que Magdi ne
souffre, et je ne peux soulager sa souffrance qu’en souffrant avec elle, ce
sera alors une souffrance double, tant pour elle que pour moi. Les choses sont
plus simples quand on n’aime pas.
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La maladie n’a rien à voir avec nos conceptions – en fin de compte, la
maladie n’a rien à voir avec nous, tout au plus, elle nous tue. Elle n’a rien à
voir avec la morale, avec nos actes, elle n’a aucun rapport avec nos vertus ou
nos fautes. Les cellules sont aveugles et nous gouvernent d’une manière
absurde. C’est pourquoi la vie est une chose moyennement sérieuse. On accorde à
notre vie une bien plus grande importance qu’elle n’en a en réalité. En
réalité, une vie humaine égale zéro. C’est un cas particulier de l’espèce, qui
ne mérite même pas d’être mentionné. Nous sommes les seuls affectés par cette
vie, soit parce que nous l’aimons, soit parce que c’est la nôtre.
---
M. dit qu’elle n’a pas encore compris ce qui lui arrivait ; sauf qu’il n’y
a rien à comprendre. Je me rappelle ma conversation avec le cancérologue. Les
yeux brillants, il m’a expliqué le fonctionnement des cellules dans
l’organisme. Ces cellules existent et agissent de manière autonome, selon leurs
propres lois ou, si l’on préfère, au gré de leurs caprices. Elles s’associent
ou se séparent, provoquent ou subissent des mutations, etc. Et quand je lui ai
dit que c’était terrible, il m’a regardé d’un air étonné et m’a demandé
pourquoi l’horreur de la déchéance physique nous menace, nous allons devenir
laids, faibles, nous allons glisser hors du monde.
Tous les matins, j’ai envie de pleurer, de pleurer sur M.
Toute relation humaine est illusoire. La famille : questions d’héritage, de
fortune. L’amitié : paroles chaleureuses, impuissance, inaction. Parfois une
joie mauvaise. L’amour : il se volatilise sans laisser de trace. Et pourtant
quelque chose existe, il arrive malgré tout qu’un acte s’épanouisse. Mais
toujours de manière inattendue et généralement pas là où on l’attendait, pas de
la part de la personne en qui on avait placé toute sa confiance.
---
L’homme est incapable de respecter les principes moraux qu’il a lui-même
édictés, dans la vie tant sociale que personnelle. L’homme construit sa vie sur
le mensonge, parce qu’il ne peut pas faire autrement. La mort met fin au
mensonge, mais elle ne le remplace pas par la vérité, elle sert tout au plus à
l’effroyable prise de conscience du mensonge.
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Automne mortel. Le soleil brille. Le monde agonise. Hier, dans le tramway,
au milieu des gens, j’ai eu soudain l’impression de ne pas être entouré d’êtres
humains. Puis je me suis dit : mais oui, bien sûr, ce sont des hommes nouveaux,
une espèce qui n’a jamais existé auparavant. Leur incroyable brutalité. Leur
lâcheté. Leur bêtise grégaire. Leur méchanceté envers l’individuel. La soif de
sang qui réagit au moindre signe de faiblesse, toujours prête à tuer. Cette
scène connue des pogromes m’a souvent laissé songeur : on insulte, on bouscule,
mais on attaque seulement quand la personne est à terre. Je n’ai pas osé
concevoir ce fait répugnant dans toute sa réalité. Je pensais que l’instinct
humain commandait d’épargner un homme à terre (voire de l’aider à se relever).
Il est tout à fait clair que le monde doit disparaître. Mais ce n’est qu’une
prescription morale. La réalité est que le monde est tombé au niveau des
animaux et que rien ne pourra freiner sa chute.
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Le roman ressemblera à un tableau de Turner. Les contours nets s’estompent
dans le brouillard au fond duquel on devine une lueur mystérieuse : l’existence
même.
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L’antisémitisme tenu en bride pendant de longues années remonte du bourbier
de l’inconscient, comme une éruption de lave et de soufre. Manifestations
anti-israéliennes dans le monde entier. À vrai dire, il ne faudrait pas
accepter de nommer les événements avec les mots des journaux. Le fait que de
jeunes gens se fassent exploser avec volupté (soit dit en passant, il paraît
que leurs familles touchent vingt-cinq mille dollars) montre que le fond de la
question n’est pas de créer un État palestinien. Par ce geste, ils se désignent
comme des perdants de l’existence. Leur acte révèle une amertume qui ne peut
s’expliquer par la ferveur nationaliste. Il faudrait laisser tomber les mots
qui renvoient à la raison. Comment comprendre que l’Argentine [ !] puisse être
le théâtre de manifestations anti-israéliennes ? Par le fait qu’environ deux
mille ans d’antijudaïsme se sont cristallisés en une vision du monde
---
J’ai toujours considéré mon art comme une distraction solitaire qui ne
concerne que moi et mon dieu, et dans une très faible mesure le prétendu et
inexistant lecteur. Si la vie égale mon existence – ce qui, je pense, est
indéniable – je n’aurai pas vécu pour rien. Du point de vue de l’achat et de la
vente, de la consommation, il se peut que j’aie vécu pour rien ; après tout, la
créativité éthique finira probablement par disparaître en tant que valeur,
puisqu’elle est le résultat d’une activité solitaire et aristocratique ; seule
la bêtise est démocratique, ainsi que les statistiques de vente.
---
Dans un nombre incalculable de beaux endroits (Stockholm, par exemple),
chaque fois à des conférences qui n’avaient aucun sens, mais partout arrivaient
les chacals qui vivent des conférences organisées dans le monde entier – mais
quel monde ! Cela doit aller de pair avec la démocratie : le même consensus
ressassé partout passe pour une activité culturelle. On ne peut s’empêcher de
devenir sceptique ou cynique. La plupart penchent pour cette dernière
possibilité. Et la vie s’éloigne de plus en plus ; on la cherche avec une longue-vue.
---
Selon lui, cette histoire illustrait le fiasco complet de la hiérarchie des
sentiments, car sa femme aimait son petit-fils et sa famille stupide, inculte
et déclassée et seulement loin derrière, en dernière position, son mari
---
Le fait est que la guerre en Irak a apporté un certain changement dans le
consensus ouest-allemand – et même l’a fait carrément disparaître. Les
sentiments anti-américains qui plongent leurs racines dans les sous-sols moisis
des passions se déchaînent. On entend dire que la condamnation de la politique
d’Israël n’est pas de l’antisémitisme. Et cela a donné naissance à une nouvelle
hostilité envers les juifs, dont les perspectives ne sont pas plus favorables
que celles de l’ancienne.
***
Un professeur d’économie m’annonce
fièrement qu’il n’a jamais vu un seul de ses élèves échouer. En revanche, une
année, c’est la classe entière qui a connu l’échec ! Cette classe était
entièrement convaincue que le socialisme est une idéologie qui marche, personne
n’étant ni pauvre ni riche. Un système égalitaire parfait. Le professeur dit alors : « OK donc,
nous allons mener une expérience du socialisme dans cette classe. A chaque
contrôle, on fera la moyenne de toutes les notes et chacun recevra cette note
mpyenne. Ainsi personne ne ratera son contrôle et personne ne caracolera avec
de très bonnes notes. Après le 1er
contrôle, on fit la moyenne de la classe et tout le monde obtint un 13/20. Les élèves qui avaient travaillé dur
n’étaient pas très heureux au contraire de ceux qui n’avaient rien fait et qui
eux étaient ravis. À l’approche du 2e contrôle, les élèves qui
avaient peu travaillé en firent encore moins tandis que ceux qui s’étaient
donné de la peine pour le 1er test décidèrent de lever le pied et de moins
réviser. La moyenne de ce contrôle fut
de 9/20 ! Personne n’était satisfait.
Quand arriva le 3e contrôle, la moyenne tomba à 5/20. Les notes ne remontèrent jamais alors que
fusaient remarques acerbes, accusations et noms d’oiseaux dans une atmosphère
épouvantable, où plus personne ne voulait faire quoi que ce soit si cela devait
être au bénéfice de quelqu’un d’autre. A
leur grande surprise, tous ratèrent leur examen final. Le professeur leur
expliqua alors que le socialisme finit toujours mal car, quand la récompense
est importante, l’effort pour l’obtenir est tout aussi important tandis que si
on confisque les récompenses, plus personne ne cherche ni n’essaie de
réussir. Les choses sont aussi simples
que cela.
***
Simone Weil, Note sur la suppression générale des partis politiques
***
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