Le semeur à sa charrue tient les roues du destin
***
Je regarde de vieilles photos d’il y a un demi-siècle. L’amour rend l’homme semblable à un fou capable de détruire sur son passage tout ce qui pourrait briser son désir. Il n’a pas le temps de reprendre son souffle. C’était presque hier. Je me dis que la vie avance trop vite. Je n’en distingue plus les pauses, les étapes. Ou alors, en fin de parcours, je prends pour de la vitesse extrême ce qui n’est que lenteur et répétition. Chaque soir, je ferme la maison et les volets comme on referme un palais secret et sans visites. J’attends des lendemains peu chantants... Quelques semaines avant les prochaines élections, la bêtise et la méchanceté sont colossales, dures comme l’obsidienne. Ce sont les seules choses sur lesquelles nous pouvons compter. Comment éviter le désespoir ? Ils mentent. Ils savent d’instinct qu’ils ont déjà perdu la bataille de la gestion des affaires publiques et ils deviennent plus méchants, plus ignobles, plus frustes que jamais à l’idée d’abandonner le pouvoir. Le présent, ils l’ont rendu abject et ils veulent gagner le passé. Si lourd pour eux, pourtant. Ils ont une obsession pour la mémoire « démocratique » avant de s’effacer de la scène, comme ceux qui s’aperçoivent, gênés, qu’ils sont nus en pleine rue. Ce n’est pas facile à accepter mais c’est inéluctable. La vie « normale » s’est retirée de partout, c’est patent. Mêmes les bêtes l’ont compris. Elles font face aux artifices butés du camp « animaliste » avec une dignité simple et rude qui force le respect. Je manque de courage pour me précipiter où que ce soit dans le marécage de la politique, pour échapper à ma solitude, trop accomplie pour susciter l’intérêt et le respect. On croit qu’on est à la recherche d’un gouvernant honnête, on va le chercher partout, on revient à chaque fois les mains vides, et l’on se rend compte alors que ce n’était pas de politiciens qu’on avait besoin, mais des idées.
Et, de proche en
proche, c’est toute la campagne qui est convertie en spectacle clownesque, dont
les idées ont été perdues, effacées, toujours de vieilles idées « de la vieille
racaille des années trente, de retour », comme écrivait Murray Bookchin, échangées
contre n’importe quoi, ou de très anciennes qui sont revenues alors qu’on les
avait oubliées. Entre les mots et les idées, un étrange ballet s’installe, qui
bientôt nous rend incapables de les distinguer, en attendant que de cette
confusion au rythme fou surgisse, enfin, la solution tant attendue. Les discoureurs
sont des amis fourbes parce qu’ils mentent, mais on en a tellement besoin pour
se donner l’impression qu’on colmate la brèche de l’existence ! La seule
possibilité réelle serait de tout miser sur la chance et l’impondérable. Vouloir
de la propreté en politique mérite des coups de balai sur la tête et j’ai l’air
d’en réclamer pour avoir écrit tant de lignes à ce sujet. Vous irez donc aux
urnes, si vous trouvez un parti au candidat idéal mais ses actes ne manqueront
pas de vous le révéler encore plus ignoble qu’il n’était quand il voulait vous séduire
par ses belles paroles. La parole politique a été faite pour mentir. Surtout
quand il y en a beaucoup et toutes s’avèrent fausses.
***
Dans le silence de la nuit, j’écris,
j’écris depuis longtemps. Renvoyant sur ma table la lumière de la lampe,
l’abat-jour laisse dans l’ombre les livres qui montent en étages sur le fond du
cabinet de travail. Les ténèbres de cette chambre sont mystérieuses, parce
qu’on y sent confusément l’âme de tous les livres endormis. Que des fantômes
apparaissent dans une bibliothèque, rien de plus naturel. Où se montreraient
les ombres des auteurs, sinon au milieu des signes qui gardent leur souvenir ?
Je fais de courts articles à propos de tout et de rien. J’y prends plaisir non
que je me soucie en aucune façon des idées que je pourrais y exprimer mais parce
que les traces laissées pourront intéresser, dans quelques années, un lecteur
occasionnel. Ajoutez à cela que le temps m’est compté et que je me contenterais
de laisser quelques signes avant de quitter la scène le plus dignement
possible. Le temps, c’est de la poudre d’or, des dents d’éléphant et des plumes
d’autruche. Et la vie est courte. Il faut, sans perdre un moment, naviguer vers
l’autre rive, afin de gagner des souvenirs heureux et une mémoire digne des
miens. Je ne m’étais jamais inquiété de ce qu’on penserait de moi après ma mort.
Mes craintes et mes espérances n’allaient point au-delà de cette vie dont j’ai
joui depuis ma naissance. Plutôt qu’assoiffé d’or et d’argent ou d’une vaine
gloire, j’ai voulu toujours agir par amour de la bonté et pour ce qu’on appelait
« la vertu » dans les temps classiques. J’ai appris que les hommes
sont mauvais et que, s’ils sont puissants, ils sont pires. Et qu’ils faut les
craindre et s’efforcer de les apaiser. Je me peins tel que je suis et n’ayant
pas assez d’esprit pour devenir riche ou célèbre, mes efforts et mon enthousiasme
se sont orientés vers la recherche d’ivresses intellectuelles et, rêve contre
le néant, des liens avec ce que François Mitterrand appelait « les forces
de l’Esprit », que je préfère, et je l'écris, avec un « E » majuscule.
***
La démoralisation croissante vers les familles et les couples en âge de procréer, avec une facilité graduelle des avortements et des stérilisations ainsi que les encouragements, plus ou moins déguisés de qualité de vie, à euthanasier les vieux et certains malades participent d’un mouvement amplement développé de banalisation du wokisme et de son introduction partout dès le plus jeune âge.
***
Quand un flic se fait tuer, tout le monde
de dire : « Il connaissait les risques du métier. » Quand un criminel
se fait tuer, personne pour dire : « Il connaissait les risques du métier. »
Et des tonnes de larmes.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire