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mardi 7 février 2023

Septidi pluviôse 231

 

Désenchantement. Passer sa jeunesse à réfuter des idées et croyances (ô combien archaïques ! qu’on disait …) des aînés. Vérifier que le temps dévore lentement vos opinions et vous épuise et vous laisse démuni face à vous-même. Tant d’efforts pour se dissiper comme les vagues en atteignant le rivage ! La facilité de jouer le jeu, la révolte, née du décalage fondamental entre les règles de ce jeu et leur concrétisation sur le terrain, dans tous les domaines, entre les valeurs transmises au foyer et celles portées par une immense majorité hypocrite, l'héritage antique et pastoral de l'enfance castillane et la futilité, l'abjection et le néant du monde… Telle a été le parcours de ce désenchantement et la matière de maintes réflexions inattendues, que je continuerai sans doute à décrire. La contradiction entre la volonté de triompher (des maux) de la vie et l'attachement inconscient aux valeurs éthiques abîmées. La bienheureuse petite pauvreté nietzschéenne (humildad ?) se montre normalement très peu compatible avec cette quête (insensée) du monde.

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La retraite au clairon. La grande affaire du moment, en France, c’est la réforme des retraites et je dois avouer que je n’en ai à peu près rien à foutre. Le seul point qu’il m’intéresserait de voir réformer aussi bien en France que chez nous est le système global des pensions, actuellement soumis au principe socialiste selon lequel tout individu est une vache à lait qu’il faut traire sans répit et emmerder le plus possible, de sorte qu’un quidam qui a le mauvais goût d’être propriétaire de quelque chose devra penser à s’en débarrasser pour avoir des revenus et pouvoir survivre. Une pension n’est qu’un prêt récupérable par l’état, alors qu’elle est un don pour les parasites subventionnés qui n’ont pas été foutus de mettre un sou de côté pendant toute leur vie. Mais ce problème global n’est pas du tout au centre des débats ni même à leur périphérie, voilà pourquoi je m’en désintéresse. A part ça, mes quelques pensées sur le sujet : tout le monde travaillait en Espagne jusqu’à 65 ans et les gens n’en sont pas morts, mais il est vrai qu’aujourd’hui la majorité n’accède à ce qu’on appelle le marché du travail avant la trentaine, souvent bien entamée. La part de mon travail que j’aimais, j’aurais aimé la pratiquer encore, toutefois j’en étais légalement empêché. La retraite peut paraître attirante quand on cède réellement sa place aux jeunes. La pénibilité : à mon avis, les gens qui font un boulot pénible ou qu’ils n’aiment pas, mais qu’ils continuent de pratiquer pendant quarante ans sans avoir la possibilité de faire autre chose. Une autre idée : examiner une fois pour toutes avec sévérité le montant de la retraite des députés, des sénateurs, des ministres, des présidents, des journalistes vedette ou valets du pouvoir et de tous ceux qui sont les mieux servis.

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Période pré-électorale partout à Zombieland. Même s’il est vrai que l’acharnement électoral à désigner des élus toujours plus stupides et veules tendrait à prouver que le citoyen lambda n’est pas une flèche, le gouvernement une fois de plus le traitera cyniquement comme un imbécile. À commencer par son président. Dès qu’il aperçoit une caméra, il rigole, le con ! Là où la haine, le mépris et le dégoût publics lui sont autant de motifs pour jubiler, se rire de lui, en le mettant à son exacte et petite place, pourrait nous en délivrer. On peut rêver : la probabilité est proche de zéro, vu le sérieux dont il est traité par les médias serviles à ses pieds.

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Droits sans mérites. À bas la tyrannie du mérite ! Dans la société du contrôle total qui vient sur ses mignonnes petites pattes de colombe progressiste, les euro-éco-schwabo-altermondialistes se soucient encore, heureusement, de protéger des droits : les leurs et ceux de leurs exécutants, indispensables au régime du tout reseter pour repartir uniquement sur la base de leurs intérêts. Les péquenots n’ont pas à surveiller leurs surveillants, ce serait le monde à l’envers ! Les néo-gauchistes essaient de gérer les choses, toutes, pas que l’économie, comme si elles étaient déjà à leur idée, qui est presque toujours biscornue et souvent délirante, et donc pas selon ce qu’elles sont effectivement. Le projet du wokisme coïncide très mal avec les faits et ils sont donc obligés de mentir partout à tout le monde, y compris à eux-mêmes. Ça ressemble furieusement à une psychopathologie. Seraient-ils intelligents que leurs objectifs seraient atteints depuis un certain temps. Pour commencer, faire abattre les chômeurs, par exemple. Géniale réinitialisation du marché du travail ! Et ainsi de suite, pour l’énergie, etc.

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La littérature, combien de divisions ? Platitudes. La littérature a toujours été une source d'aide pour de nombreux problèmes. Elle peut offrir une échappatoire à la réalité ou une voie d'approche pour mieux la connaître, permettre d'exprimer des émotions refoulées, aider à comprendre certains problèmes d'une manière méticuleuse et fournir des solutions pour les résoudre. La lecture de romans, de poèmes, de récits de vie, de biographies, peut avoir un impact bénéfique sur l'humeur, aider à se sentir moins seul, vous offrir un moyen de fuir la réalité, de mieux l'approcher, vous permettre de vous immerger dans des histoires et des personnages et de découvrir de nouvelles perspectives. Il est important de noter que cela dépend des personnes. Pour certaines, la lecture peut être une source de stress ou d'agitation, il est donc important de trouver le genre qui convient le mieux à chacun. Il est recommandé de discuter avec des gens qui s’y connaissent pour évaluer les meilleures options. Dostoïevski peut-il faire quelque chose pour moi ? Ou bien, je ne sais pas, moi, Almudena Grandes, Amélie Nothomb ? Il est possible que la lecture de certains livres ou auteurs puisse aider à gérer sa vie. Certaines personnes peuvent trouver un certain réconfort ou une inspiration dans la lecture de livres qui traitent de thèmes similaires à leurs propres problèmes. Cependant, il est important de noter que cela varie d'une personne à l'autre et que ce qui peut aider une personne à gérer ses problèmes ne peut pas nécessairement être efficace pour une autre. Dostoïevski et Pérez-Reverte ont des styles différents et abordent des thèmes différents, il est donc possible que vous trouviez une inspiration différente dans leurs œuvres. Il faut noter que la littérature ne peut pas " remplacer le vécu ", la vraie vie. La littérature pourrait nous refiler un carré d'as dans cette société stupide qui ne fonctionne qu'avec des phrases toutes faites et des idées reçues. Un domaine vaste et complexe qui comprend de nombreux genres différents, styles et perspectives. Elle peut être utilisée pour explorer des sujets profonds et importants de manière créative et nuancée. Certaines personnes peuvent considérer que la littérature est un moyen de défier les idées reçues et de questionner les normes sociales et culturelles. D'autres peuvent penser que certains aspects de la littérature peuvent être limités par des conventions formelles ou des attentes sociales. Il est important de garder à l'esprit que la littérature est un domaine complexe dont les perspectives varient considérablement.

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Dialogues exemplaires et bonnes résolutions.

- Il est important de parler de manière respectueuse et de ne pas insulter les autres.

- Vous avez raison, mais Untelle et Untelle, c'étaient des putes et Trouduc, Machintruc et Machinchose très très cons.

- Il est inapproprié d'utiliser des termes vulgaires et offensants pour parler des autres. Il est important de respecter les autres et d’en parler de manière professionnelle et respectueuse, même si on n'est pas d'accord avec leurs opinions ou actions.

- N'empêche, je sais ce que je dis.

- Il n'est pas approprié d'insulter les autres et de les dénigrer. Cela ne mène généralement à rien de constructif. Si vous avez des préoccupations ou des désaccords avec quelqu'un, il est préférable d'essayer de les résoudre de manière calme et raisonnable plutôt que d'utiliser des termes offensants.

- Inapproprié, qu'entendez-vous par là ?

- Lorsque je parle d'inapproprié, je fais référence à des comportements ou des propos qui ne conviennent pas à la situation ou à la personne en question. Cela peut inclure des propos vulgaires, offensants ou discriminatoires, ainsi que des comportements qui manquent de respect ou qui sont maladroits. Il est important de garder à l'esprit que ce qui est approprié varie selon les contextes et les relations, il est donc important de se montrer respectueux et conscient des personnes avec lesquelles on interagit.

Il est important de respecter les autres, qu'ils soient des personnes ou des pruneaux d’Agen. Cela inclut de ne pas utiliser de langage vulgaire ou offensant, et de ne pas être discriminatoire. Si vous avez des préoccupations ou des désaccords avec quelqu'un, il est préférable de les aborder de manière calme et raisonnable, plutôt que d'utiliser des termes offensants.

- Tout à fait : j’aime les pruneaux d’Agen !

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Même sujet encore et toujours. Le marxisme est une idéologie qui a inspiré de nombreux mouvements révolutionnaires à travers le monde au cours des siècles derniers. Il a été utilisé pour justifier des régimes autoritaires et totalitaires dans de nombreux pays, notamment l'Union Soviétique, la Chine, Cuba, etc. Ces régimes ont conduit à des violations massives des droits de l'homme, des répressions, des exécutions, des camps de concentration, des famines, des génocides, etc. qui ont causé la mort de millions de personnes. Il faut souligner que ces actes horribles ne sont pas l'expression de la théorie de Marx elle-même mais ils ont été pervertis et utilisés pour justifier des actions criminelles par des régimes totalitaires qui se sont réclamé du marxisme. Il est important de comprendre les idéologies et les mouvements dans leur contexte historique et de les évaluer de manière critique.

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Comment tant de demeurés peuvent-ils continuer à proférer gravement que l'art ne peut échapper au politique et qu'aucune de ses expressions ne saurait éviter la crasse trivialité d'un engagement partisan quelconque, quand le propre de la beauté est précisément d'échapper à ces misères et, si peu que ce soit, de nous en délivrer ?

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Détruire l’Europe ? Peut-être que la troisième fois sera la bonne ! Les pays occidentaux sont sur le même modèle inchangé depuis 1945, à part des adaptations comme la fin de la convertibilité dollar/or, qui ont permis de relancer une machine sur le point de gripper, et ce modèle a eu du un succès uniquement grâce à la force militaire américaine, sans que rien ne change sur le fond, à savoir que les Américains vivaient sur les dos des autres et que les Européens bénéficiaient aussi du Système de Ponzi. Grosso modo 80 ans que ce système existe, et maintenant, ça commence à prendre l’eau de toutes parts par l’émancipation des pays non-occidentaux. La guerre en Ukraine n’en est que le symptôme, un abcès de fixation qui est en train de craquer. On en était à se demander si la seule solution pour résoudre le problème du crédit de la zone dollar qui s’effondre n’aurait pas été que les USA puissent mettre la main sur les richesses naturelles de la Russie et de l’Ukraine, ce qui avait été presque réussi avec Eltsine, et qui a finalement clapoté à cause de la gestion des équipes de V. Poutine. Du coup, on est bien en face d’une guerre existentielle des deux côtés, configuration la moins favorable pour une issue pas trop cataclysmique. Déjà la première guerre mondiale a révélé aux dirigeants européens (France, Allemagne, Grande Bretagne) qu’ils n’étaient plus les premiers de la classe. Ils ne voulaient simplement pas le voir mais en se lançant dans ce conflit ruineux et stupide, ces pays ont acté leur mise au second plan. Pour des raisons avouables ou non, les Américains sont venus tirer d’affaire la France et la Grande-Bretagne. L’illusion a duré vingt ans et en 1945, Oncle Sam a eu beau jeu de s’installer comme superpuissance mondiale. Pour ces deux pays, ça a précipité le déclin. Le cas allemand est particulier et il ne doit son existence qu’à la mainmise financière US sur l’économie allemande. Avec la guerre en Ukraine, on est arrivé à la fin d’un cycle et au début d’un autre. L’Occident soutiendrait-il l’Ukraine pour piller ses richesses et déstabiliser la Russie ? Ça alors, on a du mal à le croire ! Habitué aux blablas de plateaux télé libres bien de chez nous tout me faisait penser que c’était plutôt pour défendre la paix, la démocratie et le vivrensemble éco-inclusif !

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Le peuple, oui ; la masse, non. Ce qui fait que j'ai tant de mal à marcher, quand des bien-pensants, la bouche en cœur, s'arrogent le droit de discourir au nom du peuple, c'est que le peuple, précisément, j'en sors. Par mes parents, justement, par leurs mains ouvrières dont ils avaient la saine fierté ainsi que le plus grand détachement à l'égard de l'agitation sociale comme du cérémonial compassé des professionnels de la politique d'où qu'ils vinssent. Quant à mes parents, c'est en naissant qu'ils m'ont appris le principe d’égalité dans le peuple castillan : « nadie es más que nadie » (personne n’est supérieur à personne) et qu’on ne devait se découvrir que devant Dieu.

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18 juillet 1973, rue de la Pompe, Paris. Jour de fête en Espagne (notes revisitées). Déploiement de drapeaux aux fenêtres. Foule joyeuse et désœuvrée dans les rues. Beaucoup de jeunes, qui ne connaissaient rien d'autre que ce régime-là, et dont l'insouciance était manifeste. Comme chaque année, on commémorait le soulèvement des généraux contre la République dans une placidité totale. Conversation, rue de la Pompe, avec un groupe d’universitaires, accompagné de trois carmes déchaux basques (« un Espagnol et trois Basques » selon la formule du plus solide et mieux charpenté des trois, calvities et têtes rondes, pour nous présenter au public), rue de la Pompe, à laquelle un petit groupe de jeunes gens qui fréquentaient la Mission viendrait bientôt se joindre. Tous avec le souvenir de déchirements familiaux issus de l'affrontement des idées mais aussi, très souvent, d'un pur hasard circonstanciel, tel père en zone « libérée » au départ ayant des fils géographiquement répartis en zone « rouge » et ainsi des frères, des cousins, pris de divers côtés dans la tourmente et condamnés à s'entre-tuer aux dépens de toutes leurs convictions, sans nouvelles des leurs, de leurs fiancées, de leurs femmes, de leurs amis. Peu à peu les portes s’étaient ouvertes à ceux qui avaient choisi l'exil et qui rentraient, de plus en plus nombreux, d'Amérique latine et même d'Union soviétique. L’histoire ancienne, comme les drames de Shakespeare, nous renvoyait sans cesse à la fatalité de ces alternances d'effondrements chaotiques, de châtiments sanglants, et de retours à un ordre plus ou moins bien inspiré. La longévité politique de Franco tenait peut-être à ce qu'il n'avait pas songé un seul instant, contrairement à d'autres, à promouvoir une éthique révolutionnaire, un homme nouveau, une société plus ouverte, solidaire et exaltante. Il se souciait comme d'une guigne d’une société sans classes, préférant ouvertement faire appel au travail dur et au sacrifice, loin de celle qui, dans un délai record, avec l'adhésion enthousiaste de tout un peuple et particulièrement de sa magnifique jeunesse, avait jailli comme par magie de la volonté d'Hitler. Franco, lui, s'était contenté de restaurer les hiérarchies traditionnelles, et d'améliorations sociales lentes, homéopathiques, et d'une innocuité garantie. Il savait que personne ne se souviendrait de lui, si éloigné de la filandreuse harmonie universelle des mondialistes de l’époque et créditeur de la haine des gogos crétinisés de partout. Comparés aux boucheries sans nom et aux exterminations continuelles du sinistre Lénine, du génial petit père Staline (« Padre y maestro y camarada:/vuela en lo oscuro un gavilán./ Pero en tu barca una paloma,/ pero en tu mano una paloma / se abre a los cielos de la paz. » Rafael Alberti), à l'anéantissement systématique des élites, aux déportations de populations entières et à leur suppression pure et simple, les crimes de Franco faisaient figure de modestes mesures hygiéniques et Franco lui-même apparaissait finalement aux bourriques démocratiques de l'Anglo-saxonie et d'ailleurs, vaguement contrariées et perplexes malgré tout, comme un bienfaiteur de l'humanité. Telle est l'ironie de l'Histoire, que mieux vaut en rire quand on a la chance de survivre.
L'ennui des dictatures, c'est qu'elles entraînent fatalement une promotion d'intrigants agités, ignares et furibonds, acharnés en vindictes minables dont la mise au pas exige à nouveau de sanglantes purges. A dix-sept ans, la défaite de notre République me provoquait de l’urticaire. Et portant, je savais de première main, par le frère aînée de ma mère que, par exemple Toulouse, ville radicale où se massaient les réfugiés, était un lieu pourri, un rassemblement de va-de-la-gueule enragés de haine et de terroristes frustrés, alors que les petits groupes de réfugiés de Bordeaux, que je voyais tous les jours, avec beaucoup de Basques, qui reconstituaient, au Jardin Public, leur tradition du paseo, me frappaient par leur dignité, leur propreté, la noble et mélancolique fierté de leurs visages. Mon père qui considérait avec le plus grand scepticisme toutes les idéologies trouvait à alimenter ses sarcasmes à l’évocation de ses souvenirs, qui m'enchantaient, et la décomposition du Frente popular et de la République ne lui provoquaient pas un regret démesuré. Ce qui m'était insupportable, dans le climat de l'époque, c'était l'espèce d’évidence, perceptible au lycée, dans les écoles et chez la plupart des gens, selon laquelle une autre République, la République française, malgré ses combines, ses scandales à répétition, la débilité de son Grand Homme creux, constituait le plus parfait modèle d'art politique, le véritable summum de la civilisation. Ceux qui ne voyaient là qu'abîme de petitesse et de médiocrité incapable d’avoir prévu sinon évité tant de désastres passés et récents étaient regardés de travers ou pris pour fous. Pour Franco, médiocre lui-même, sa force résidait dans une indifférence totale aux réactions qu'il provoquait comme à la somme de popularité qui l’entourait. L'opposition la plus virulente s’écrasait inutilement devant sa froideur. Peu a peu, et comme par un raffinement sadique, les communistes revendiquaient sans faillir la réconciliation nationale avec ostentation et fierté se réclamant de leur appartenance à la séculaire culture nationale. La liberté d'expression populaire était à la moquerie générale devant les manies, tics et commémorations du régime où ministres et hiérarques étaient les cibles d'innombrables plaisanteries. Cette liberté était visible d'ailleurs dans une longue liste d’activités sociales, d’œuvres littéraires ou de créations cinématographiques (Berlanga, Bardem ou Saura) que la censure n'avait vraiment pas l'air de paralyser. Tout cela témoignait d'une vitalité réelle et augurait plutôt bien, me semble-t-il, de l'avenir du pays. Ulcéré par tant de modération et mes allusions au socialisme réel, le plus combatif des religieux, assurait vivre, lui, « qui n'avait pas demandé à naître » (!), un véritable enfer. « Tu parles d'un pays ! » Même mon admiration pour le Président Azaña lui paraissait suspecte. « Un modéré piètre écrivain et afrancesado jusqu'à la moelle ! ». Pour doucher encore ma dialectique paradoxale, axée sur les particularités du mouvement ouvrier espagnol, surtout anarchosyndicaliste, il s'avoua "ami" de Durruti, « d'ascendance basque comme chacun sait », (ça me fait encore rigoler, cette "amitié" ethno-cléricale) pour continuer assurant que les organisations anarchistes ont toujours été des pépinières de provocateurs et d'agents doubles. Il assurait savoir « de bonne source » que Durruti, même s'il l'avait toujours farouchement nié, avait bel et bien assassiné le vieil archevêque de Zaragoza.  Il affirma cela en clignant de l'oeil comme s'il s´était agi d'une bonne blague. Toute son aversion était concentré contre Franco. Pas exactement la même que contre Hitler, observant que les temps n'átaient pas mûrs pour que certaines évidences puissent être acceptées. J'avoue publiquement ne pas me sentir tenu à aucune vénération particulière à l'égard de qui que ce soit pour l'effroyable gâchis de chaque passage du rêve utopique à l'acte. À peine cinq ans plus tard, avait lieu le marché des dupes de la transition démocratique. Sans se donner le temps de réfléchir aux vices et aux insuffisances du prétendu jeu démocratique : la nouvelle monarchie bourbonienne instaurée n'était que le laborieux et lent replâtrage des précédentes. On cédait la place aux équarrisseurs de 1978, avec leur Constitution taillée au goût de l'OTAN, assez pourrie (immense supercherie qui me m'était intolérable à l'époque) pour permettre que Jordis et Campechanos de tout poil, gais comme des moineaux sur la même branche, fassent les meilleures affaires ensemble, sauf imprévisible explosion en ce pays de ruminants épuisés, haineux et flasques. Au moment où j'écris ces lignes, la condamnation inlassable et maniaque de Franco, sans opérer la moindre distinction de ceux, honnêtes, probes, indemnes de toute infamie qui vécurent tout simplement la vie qui leur avait été donné de vivre, cache à peine la lâcheté de filous et d'opportunistes qui s'acharnent à cracher (plus de quatre-vingt-ans après la fin de la guerre !) un régime supporté par l'immense majorité de la population, et n'en est pas moins répugnant. 

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Qu'est-il devenu, cet ancien collègue « dont je ne veux pas me souvenir le nom », enseveli dans de brillants travaux de l'intellect, maintenant qu'il est à la retraite depuis des années ? Ça lui a valu des voyages d'études, une accumulation d'annuités de "mérites" et de certificats garantissant une sécurité qui le hantait, constamment tendu, préoccupé, toujours craignant du perdre du fric, en réalité tournant désespérément à vide et se donnant des airs décontractés et libertaires, branché, progressiste, moderne... pour tenter d'échapper au néant lamentable de son existence. Souvent avec des réactions de demi fou, il continuera ses habitudes à Vitoria, ne trouvant rien de mieux qu'à se montrer dans la ville comme éternel persécuté par les nationalistes. Il etait possédé d'une horreur épouvantée des gens normaux préférant l'"aventure", le "risque" des colloques, des rencontres, des recherches parce qu'il y avait des déplacements gratis et une de ses joies était, malgré la persécution des pouvoirs dont il souffrait, en fonctionnaire exemplaire, de vivre le plus possible aux croûtes de l'administration.

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Vide. De ma vie sexuelle adolescente. Période totalement désertique et qui n'en finissait pas. Longtemps je voulais croire que l'amour, dans l'absolu que j'imaginais, n'était possible qu'au prix d'une attente ardente et ascétique (« effroyable néant de gloire »). Cela m'a servi plus tard à être suffisamment patient. Je ne regrette rien. La fidélité permanente a été, pour moi, la seule issue, même s'il faut la traverser sans cesse comme sur des sables mouvants. Si je récapitule, la question cul de mon existence pourrait se résumer ainsi : de dix-neuf à vingt-trois ans, des moments d’exaltation continue avec ma fiancée. Avant : des années entières à macérer lugubrement dans une ville castillane traditionnelle, mis à part l'interlude des années avec R. En marge à peu près de tout ce dont rêve un adolescent aujourd'hui et nanti d'un modeste pourboire m’interdisant toute largesse, puisque c’était aux dépens de mes parents, pliés sous le fardeau que je représentais pour eux, je m'imposais une continence sans doute assez rare à cet âge et certainement peu propice à une bonne santé et à un équilibre euphorique, dû sans doute à un sentiment d'honneur et de dignité lié incontestablement à une éducation religieuse – pourtant déjà largement rejetée – et surtout à l'exemple de mes propres parents et à l'imprégnation sévèrement castillane. A dix-neuf ans, début de mon épisode avec R., de mon âge, qui me saisit fébrilement et transforma ma vie entre des tornades fulgurantes et des bécots tendres au creux de l'oreille au coin d’un bar. Charmante jeune femme à qui j’adressais des poèmes exaltés et déclamatoires qu'elle avait la tranquillité de me confier pour que je les lui lise avec ma voix tandis qu'elle m'écoutait en fermant les yeux au bord de la rivière au crépuscule ou dans l'encadrement d’une fenêtre, elle si sensible et qui aimait tant la poésie et moi ne sachant où me mettre, honteux pour ses éloges mais sans m'arrêter au bout des lignes pour lui remettre à la fin ces sacrés feuillets, pressentant quelque chose de bon pourrait en résulter par l'addition de ces phosphorescences inextinguibles et, après tout, généreuses. Elle était belle et capable de transformer un bled perdu de province en lieu de tous les possibles, de maintenir allumé par le brasier inouï qui flambait dans ses yeux lumineux quelque chose qui vous étourdissait sur place comme l'agneau hypnotisé par la louve, quand bien même je n'étais pas tout à fait, dans cette histoire et c'était bien ainsi, un agneau... La sexualité, de désastres en enchantements, bref (« deux secondes de trémoussement » céliniennes) et effrayant épisode et juste châtiment du ciel (« sans commencement ni fin », le sexe, version célinienne du gouffre pascalien), on doit la prendre conformément à quelque vieux fatalisme issu peut-être de la sagesse orientale ou des mythologies du fabuleux creuset caucasien lié, aurait pu écrire Dumézil, aux insolites particularités espinguoines. Ensuite, équilibre physique retrouvé dans le calme de devenir papa. Attachement définitif à l’autre, immédiatement, passionné par l'irruption de la petite M. Si je compte bien, quelques années d'épanouissement heureux plus quelques éclaircies intenses mais brèves. Cela me semble maintenant une misère en comparaison des héros entourés de harems de fiction et c'est peut-être énorme. J'ai presque soixante-dix ans, nel fin del cammin della mia vita... Bref. A quoi bon m'enivrer si souvent de l'ensorcelante mélancolie de Dante parcourant à pas lents son éternelle et Divine Comédie, sinon pour me convaincre que les années vont s'accélérer, que cette vie est brève, que je ne suis certainement pas des plus mal lotis, et que j'aurais grand tort de me plaindre.



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