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mercredi 18 janvier 2023

Beaux jours de janvier trompent l'homme en février.

 

Evocation d’un vieux copain (Enrique D.H.), cinquante ans après les faits. On discutait à perte de vue sur la signification des œuvres qu’il fallait lire ou des tendances politiques qui s’installaient. Parler littérature, poèmes, cinéma, théâtre, comédie … Vaste programme ! Mais, par-dessus tout, on aimait la politique et l’histoire. On se moquait bien des heures qui passaient et ce n’était pas pour débattre dans le vide. Tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre. On se racontait les mille et une nuits en prose et en vers. Ensuite, on se raccompagnait. Puis on rentrait, raccompagné ; arrivé à sa porte, la conversation continuant, on raccompagnait celui qui vous avait ramené. Ça n'en finissait pas ...

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Quelques lectures « de gauche » pour apprendre à s'ennuyer pour faire durer le plaisir de vivre encore dans les remous de la politique...

Jean-Jacques Becker, Histoire des gauches
Michel Winock, La gauche en France
Alain Bergougnioux, Des poings et des roses
Si la gauche savait : entretiens de Michel Rocard avec Georges-Marc Benamou (conseiller spécial de ... Nicolas Sarkozy !)

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Hospital Comarcal del Bidasoa, mi-décembre deux mil vingt-deux. Échographie hépatique. Répétée six mois après une détection démontrant un tout petit kyste. Je déboutonne mon pantalon et je me couche docilement sur un lit bas assez confortable. Au plafond, il y a un reflet que je ne regarde pas. La technicienne des mystères échographiques est polie, taiseuse et pressée. Un jeune médecin commence ses mouvements comme sur une femme enceinte et commente à voix basse ce qu’il voit avec un collègue plus jeune que lui, il me semble. Ils discutent en basque, que je comprends sans difficulté, à propos de ce qu’ils sont en train d’observer. Ça me rassure et ça m’inquiète en même temps. « À ce moment-là, à partir de ce volume, on opère et puis c’est tout … » Ma médecin traitante, quelques jours après, finit de me rassurer. Pas de quoi s’inquiéter … Elle entend au téléphone que je pousse un soupir de soulagement et, après une vanne idiote de ma part, rigole un bon coup pour me monter le moral. À l’accueil, on m’avait offert un joli masque que j’avais refusé : j’en avais un flambant neuf, et noir, couleur que j’affectionne.

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Après lecture de Un sermon de alta mar. La réflexion sur sa propre vie vient de la main de la conviction que la cordialité et la joie sont des obligations inconditionnelles précédant toute norme éthique qui se soucie vraiment des autres. Après un long séminaire de travail avec un groupe d'enseignants-chercheurs francophones de mon université, un sondage, soumis aux participants pour obtenir de retours d’expérience suite au travail accompli, incluait le ressenti d’un participant à propos de mon activité qui m’avait laissait rêveur : « … dégage un enthousiasme extrêmement contagieux ». Enthousiasme, joie de vivre sans polluer davantage la forêt de la vie par les avatars qu’on doit traverser comme des vagabonds et, si possible, améliorer le quotidien des gens qui nous entourent dans la mesure de nos possibilités. Quoique. Si le Dieu qui m'a créé doit un jour me recevoir, je ne pourrai pas lui rendre sa créature telle qu'il l'a faite mais en très piteux état. Il faut laisser parler le néant : Il sait mieux que nous de quoi est faite notre chair. La mort dans la mort. Sans appel, sans cassation, sans reprise. Mais, au moins, que ce soit sans avoir blessé qui que ce soit du fait même d’être présent sur les mêmes lieux.

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Être marxiste est un problème moral difficile, un peu comme être ésotériste. L'histoire témoigne de quelle dramatique manière l’application du dogme marxiste a conduit des millions de personnes à la tyrannie, à l’injustice et à la mort. Chaque nouvelle tentative affirme savoir s'y prendre finalement pour assurer le bonheur de tous. Heureusement banalisé en Occident, s’avouer partisan du marxisme aujourd'hui démontre la même dangereuse audace que celle de s’avouer partisan de Copernic. Raconter des trucs à la noix pour occuper un espace professionnel, médiatique, social. Le problème radical du marxisme, c'est qu'en se prétendant de manière obsessionnelle depuis ses débuts une théorie scientifique indépassable, ce n'est qu'un leurre et une formule redoutable fondée sur la soumission de masses humaines aux caprices des détenteurs d’un pouvoir absolu. Adolescent, j’ai été en premier lieu fasciné par l’anarchisme (Stirner !). Un peu plus tard, par l’anarchosyndicalisme. Ça collait parfaitement avec ma famille, à commencer par mes parents, l’une concierge, l’autre ouvrier de la construction : de vrais ouvriers à mille années de distance – ténacité, solidarité, abnégation, sacrifice – d’une gauche bourgeoise, de décor, remplie de figurants et trop souvent, de vrais salauds déguisés en idéalistes. Plus tard, ma sympathie pour le communisme a tenu d’abord à ses origines incroyables, à sa formidable façade d’utopie atteignable, ennemie à la centième puissance de la fiction démocratique, qui lui valait la haine bouffonne des vieilles tripes bourgeoises. Et ensuite, par la réputation universelle de l’océan du marxisme. Donc : plongeon dedans. Déception plus tard, sans abandon total, ne pouvant pas m’arrêter de penser que la transformation de moins en moins déguisée du stalinisme en autocratie de fer est, dans l’absolu, dans le domaine de l’idée gratuite, moins odieuse que l’affreuse hypocrisie du biblisme capitaliste des Anglo-Ricains avec leurs puritains milliardaires et leurs dynasties du coffre-fort convaincues du bien-fondé de leur projet de domination sans partage de l’univers. Jamais très loin de penser en 1990 : tout, plutôt qu’une victoire planétaire de l’immonde capitalisme américain, régnant en maître sur l’ensemble du monde et surtout d’une Europe dont il aura anéanti la civilisation, qu’il aura exploité à fond avec sa vieille férocité boursière et, pour perpétuer ce bluff, ces privilèges exorbitants de quelques classes au-dessus du commun des mortels. Avec cet énorme et désespérant paupérisme des millions de sans-travail et de laissés-pour-compte qui constituent exactement l’actif de leurs libertés démocratiques, si commodes pour les rois du dollar dont ils sont, et pour cause, les conservateurs intolérants. Tout plutôt que cette soumerde-là.

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Dans les textes que je laisse dans ce blog, je mets des initiales presque partout où bien je me contente de citer “un ami”, des initiales, etc. En tout cas, je ne partage pas l’avis de ceux qui essaient de faire croire que sans l’anonymat ils pourraient entrer en conflit avec leur propre image ou l’image que leur propre entourage pourrait s’en faire. Personne n’en a rien à foutre de mon petit blog aussi génial ou stupide soit-il. Mais les anonymisés préfèrent penser que leur simple nom ou une opinion reflétée ici aurait un tel impact qu’ils pourraient en arriver à perdre leur image sociale, leur rayonnement. Ils se trompent, tout le monde s’en fout. Mon opinion – ou la leur – n’intéresse personne d’autant que, neuf fois sur dix, on ne fait qu’exprimer ce que beaucoup de monde, sinon tout le monde, a ânonné avant. Les professeurs sont particulièrement touchés par ce syndrome.

Ils pensent comme les gens qui passent-à-la-télé, mais sont persuadés que s’ils signaient leur assentiment à des idées qui contredisent le monde-comme-il-va, leur petit collègue de bureau ou de trottoir qui y conduit se fâcherait tout rouge. Donc, ils préfèrent l’anonymat. Sur ce point, on pourrait être d’accord si on vivait sous le régime d'une dictature féroce qui ferait que, au moment même de manifester une opinion ou une affinité personnelle, on mette sa vie et celle de ses proches en danger. Pour le reste, l'anonymat sur les blogs, est un babillage de bac à sable : personne ne se met en danger avec ses petits lieux communs. Personne, et moi, pas plus que les autres. Aucun présumé phare de l’humanité souffrante, même le plus con d'entre eux, ne se souciera de mes petites élucubrations anti ou pro sanchistes ou poutinistes ou macronistes, du moment qu’ils sont fidèlement servis par des millions avec des intérêts autrement importants que nos petites parcelles de vie à nous. Mêmes les orgasmes collectifs qui, sous couvert d'indignation, viennent régulièrement saisir la blogosphère lorsqu'il est question de démolir une cause ou de dégommer un type, nuire un parti ou virer un gouvernement sont savamment orchestrés sans se faire du souci pour une éventuelle réaction des drôles comme nous. On n’est jamais plus heureux qu’en troupeau, quand on mime l'érection palpitante sous l'indignation feinte.

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Mon désintérêt pour le foot remonte à mon enfance. Je n’ai jamais été sportif, mes inclinations  ne m’y prédisposant pas vraiment, enfant, j’étais plus attiré par la lecture. Avec le temps, ça ne s’est pas arrangé. Les débordements de joie puérile que déclenchent les sports chez leurs adeptes comme chez leurs amateurs ne sont pas dans ma nature, c’est dommage, peut-être, mais c’est comme ça. Même quand un de mes auteurs favoris s’est vu décerner le prix Nobel, ça ne m’a pas fait descendre dans la rue pour fêter ça. Il faut bien reconnaître qu’un tel prix, quelle qu’en soit la discipline, ne déclenche jamais l’enthousiasme des foules et que si cette nouvelle m’avait poussé à traverser mon quartier en klaxonnant, j’aurais été le seul à le faire. J’avais passé, très confié, La route des Flandres à un collègue prof d’anglais. Deux jours après, il m’a jeté à la figure le roman : « C’est illisible ! »

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Le hasard a fait que, il y a quelques jours, j’ai allumé distraitement la radio et qu’un sort malin a voulu que la station fût France Inter. L’émission La Terre au carré commençait. Toujours soucieuse de donner la parole à ceux qui pensent correctement, l’émission débuta par des messages d’auditeurs. Je me suis immédiatement senti dans un autre monde. La première intervenante, une jeune femme – à sa voix – était en total désarroi : elle demandait conseil sur la manière de parler à son entourage afin qu’il partage ses lubies idéaux. Elle tentait de prêcher par l’exemple : entre autres actions d’éclat au service de la planète, elle avait réduit sa consommation de viande, changé de banque (!), et ne prenait plus l’avion ! Malgré cela, il semblait que ses proches n’eussent rien à cirer de ses exhortations. Ainsi, un copain devait venir lui rendre visite en prenant l’avion ! Que fallait-il qu’elle fît, seule contre tous ! Que leur dire ? Comment leur faire comprendre ? Un autre intervenant en avait contre les rallyes automobiles (Paris-Dakar, etc.) qui gaspillent quantité de carburants fossiles sans le moindre remord de leurs incommensurables crimes. Ensuite, un « spécialiste du nazisme » (?) se lança dans un parallèle entre l’idéologie hitlérienne et certains aspects de la société consumériste : par exemple les deux étaient partisans d’une exploitation éhontée des ressources minières de la planète et en faveur d’une croissance économique sans limite. J’ai éteint. J’avoue que ces « sauveurs de la planète » me laissent pantois. Leurs « actions » leurs indignations, leurs rapprochements audacieux entre des choses qui n’ont rien à voir entre elles me paraissent dérisoires, pitoyables ou risibles.

Qu’importe si la jeune femme ne parvient pas à convaincre ses amis ? Quelle part de la consommation mondiale de carburants fossiles représentent les courses automobiles ? Le Parti Communiste Chinois, dirigeant un pays productiviste et grand utilisateur de ressources minières est-il un proche parent du nazisme ? Il me semble que ceux qui croient en une imminente destruction de la planète ou, plus exactement, de la vie sur celle-ci, devraient s’y résigner car la totale transformation des modes de production et de consommation que la réalisation de leurs rêves impliquerait ne saurait se faire du jour au lendemain. Comme un Titanic que son erre entraîne irrémédiablement vers l’iceberg, la catastrophe qu’ils envisagent apparaît inéluctable. Leurs efforts individuels, les multiples interdictions qu’ils préconisent ne changeront rien. Des colibris qui font leur possible pour lutter contre le feu qui ravage la forêt, des fourmis qui pissent dessus pour arrêter l’incendie, voilà à quoi me font penser leurs « actions ». Si la maison brûle vraiment, c’est à sa reconstruction qu’il faudra penser sa destruction terminée. Le reste est bavardage.

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Voilà pourquoi Céline appréciait P. Morand : « Fréquentiez-vous les omnibus dans votre jeunesse ? Moi, beaucoup. Un tram me menait place Pereire, du Champ-de-Mars, pour le lycée Carnot. Quand je n'y allais pas à vélo descendant l'avenue Niel à des allures record (un jour, au coin de l'avenue Marceau, mon pneu dans un rail, je fis un soleil par-dessus le guidon) ; un autre, énorme, à vapeur, de l'Alma aux Sciences Po, dans une odeur de coke mouillée que je sens encore. Mais le grand plaisir, c'était l’omnibus : Trocadéro - Gare de l'Est, à trois chevaux, descendant en trombe la rue Pierre-Charron. Le plus amusant, le plus célébré par les poètes, c'était Batignolles-Clichy-Odéon, à deux chevaux, transportant l'intelligentsia sur l'impériale. Le plus pittoresque, celui d'Auteuil - Saint-Sulpice, un cheval, puissant, un seul, flottant dans ses harnais ; il y avait aussi les chevaux de relais, fumants sous la couver- ture toile cirée, pour gravir la rue des Martyrs, ou ceux qui attendaient à la gare Saint-Lazare d'aider à l'ascension de Montmartre par le sud. Le tram-train d'Arpajon qui, de la gare de Sceaux, descendait aux Halles, apportant les légumes de la vallée de Chevreuse, à deux heures du matin, en mettant le frein, boulevard Saint-Michel, signalait l'heure d'aller au lit. » Prose qui bouge, promène son lecteur, accompagné. Sans radotage ni superflu.

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« Il y a 68 ans, je m'installais à l'ombre de la Tour Eiffel. J'ai été élevé sous elle, d'abord rue de l'Université, au Dépôt des marbres ; puis en 1925, 11 bis avenue de Suffren ; puis, à mon mariage, juste au-dessous de mon dernier atelier de célibataire. Vous ai-je raconté que, lorsque ma femme, en 1913, acheta son terrain au Champ-de-Mars, ma belle-mère, vieille folle, écrivit à Monsieur Eiffel pour lui demander si sa Tour était solide et si l'on pouvait, à son ombre, construire sans crainte ? Très poli, le vieil ingénieur lui répondit qu'on pouvait y aller, sans avoir à redouter une chute de sa Tour dans le jardin. » Paul Morand à Jacques Chardonne, 1967

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J’ai dans l’idée que le président autonome de Castille et Léon n’est pas tout à fait Adolf Hitler, et que les ministres, sous-ministres, vice-ministres, para-ministres du sinistre farceur – celui-là même qui meuglait il y a à peine quelques mois contre les comploteurs capitalistes en haut-de-forme et à gros cigare et qui est parti à Davos comme un toutou lécher le derrière de ces caricatures qu’il dénonçait – qui occupe la présidence du gouvernement central madrilène ne sont que des progressistes de pacotille. Il ne faut aucun courage pour prendre leur posture anti pro-vie, tout juste une bonne dose de haine. La haine, l’incitation à la haine, le fanatisme, la discrimination, l’ostracisme, le refus de la démocratie sont d’ailleurs les ressorts à l’œuvre dans cette clownerie d’une prétendue attaque aux droits des femmes devant laquelle, naturellement, les rézozozio de gôche, qui ne trouvent rien à redire quand on réduit les peines des violeurs ou qu’on doit carrément les libérer en application de la sinistre pitrerie-loi-imbroglio « seul un oui est un oui », gueulent comme de putois. J’ai aussi dans l’idée que s’il s’agissait d’aller bramer contre les abus bien tangibles du gouvernement du frimeur, ces m’as-tu-vu seraient beaucoup moins tatillons sur les principes… 



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Sois sage ! dit-on aux petits. Sinistre plaisanterie. La vie est un coup d’épée dans l’eau qui n’a même pas l’excuse de l’esthétique, de l’épique ou du baroque. Au sein de cette matière informe, la vie, la volonté humaine passe en douce et se contorsionne comme un spectre grimaçant ; sa prétention hurlée à ordonner le chaos par la sagesse me semble plus que jamais risible. J’ai essayé de sortir la tête de l’eau, mais, à peine sortie, on m’a fait comprendre qu’il y avait peu de place pour elle. Défaites ou victoires dans une vie n’ont même pas la belle séduction qui accompagne ordinairement vaincus ou héros dans les films. Les autres ne nous laissent aucune place. Chacun marche sur la tête de l’autre, comme s’il était impossible de survivre sans détruire ce qui n’est pas soi. Je laisse courir un instant dans ma tête toute une masse de visages aveugles, sourds, fermés, inversés, ricanants, la bouche grande ouverte semblant en pleine digestion d’idiotie, comme une colonie de portraits cubistes qu’on aurait arrachés au néant. Je les revois revendiquant à pleins poumons qu’ils sont les propriétaires du monde, de leur monde. Il faut en être, ou périr.



 

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