Réveillé, je ne sais pourquoi, au milieu de la nuit, je regarde le réveil. Il est deux heures cinquante. J’entends la bise qui souffle dans le jardin et le bruit des voix de quelques jeunes glissant rapides sur le pavage à bord de leurs trottinettes. Nuit calme, aucune fête dans le voisinage, à part les jeunes, aucun passage dans la ruelle. La nuit d’aujourd’hui ne sera pas si paisible mais le vent froid, présage de neige, amortira un peu le vacarme habituel de chaque Saint-Sylvestre à minuit : pétards, feux d'artifice, cloches … Ce bruit de fond qui accompagnera les vœux, les embrassades sous guirlandes et paillettes, les repas festifs et les résolutions pour l'année à venir, un passage symbolique et artificiel entre l'ancienne et la nouvelle année. Au moment où je me réveille, le Jaïzkibel se détache péniblement sur un ciel tout gris. Le vent reprend ses tours. Je me demande combien de temps je vais mettre pour envoyer des vœux de Nouvel An bien sentis et surtout à qui les destiner.
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Personne n’a mieux décrit l’angoisse existentielle de l’homme que Pascal dans le fragment concernant le divertissement, et ces lignes, Contre l’Indifférence des Athées, qui nous font nous interroger inlassablement sur le but de l’existence et le destin de l’être humain, étroitement liés au but de l’existence même de l’univers: « Je ne sais qui m’a mis au monde, ni ce que c’est que le monde, ni que moi-même ; je suis dans une ignorance terrible de toutes choses... Je vois ces effrayants espaces de l’univers qui m’enferment et je me trouve attaché à un coin de cette vaste étendue, sans que je sache pourquoi je suis plutôt placé en ce lieu qu’en un autre, ni pourquoi ce peu de temps qui m’est donné à vivre m’est assigné à ce point plutôt qu’à un autre de toute l’éternité qui m’a précédé et de toute celle qui me suit... Tout ce que je connais est que je dois bientôt mourir, mais ce que j’ignore le plus est cette mort même que je ne saurais éviter ».
« Savoir », « connaître » ? La recherche ne commence ni ne se termine dans des utopies, la civilisation hindoue, ni dans les civilisations extrême-orientales. Le Japon, la Chine, l'Inde ne donnent pas le genre de réponses exigées par la culture occidentale. Seules vont très au-delà l'angoisse de Pascal qui parie désespérément ; la nuit angoissée de Jouffroy ; la vie parallèle de Pasteur, qui laisse à la porte de son laboratoire l'homme de foi qu'il retrouve sur le seuil de sa maison; l'attitude d'un Renan ou d'un Louis Rougier abandonnant le dieu de sa jeunesse pour rester fidèle à son serment de servir la vérité. Elles expriment des tourments, des faiblesses, des complexités, que n'ont point ressentis les sages du Brahmanisme, du Bouddhisme, du Taoïsme, du Confucianisme. « L’ignorance terrible des choses » …
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Longue discussion, à table, à propos de notre prochain appartement neuf sur plan. De l’angoisse qui sera la nôtre au moment de « vider les lieux », de prendre ses cliques et ses claques et aller se faire voir ailleurs. Olivier Rolin dans un récit autobiographique sous ce même titre relate un évènement vécu. Sauf que nous, on n’habite pas un très vieil appartement, mais une magnifique villa dans laquelle on aura passé plus d’un quart de notre vie, entassé un prodigieux trésor de souvenirs et, surtout, des plantes et des livres, des livres partout, des objets chers à force d’être vus et bougés d’un étage à l’autre.
Un déménagement, écrit Michel Leiris, c’est « une fin du monde au petit-pied ». Chaque objet devra nous aider à préserver notre mémoire et le sens des choses (souvenirs, moments vécus, émotions associées) face à l'oubli, la perte, la destruction, nous témoignant de leur parcours pour mériter leur survie et continuer ainsi d'exister dans notre conscience. Ces objets permettent à Olivier Rollin d’évoquer les souvenirs de ses lointains voyages et les livres dans lesquels il les a racontés. Nous sommes très riches en souvenirs de toute sorte, mais nous ne nous sommes pas offert de si merveilleux voyages ni écrit de livres à foison. Nous n’avons en commun que le départ obligé …
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Ce dimanche vingt-huit, coincé entre Noël et le Jour de l’An, normalement le jour plus creux de l’année, aura été cette fois-ci l’occasion de vivre une vraie merveille : le ballet russe Tchaikovsky National Ballet qui offrait son très beau Casse-Noisette à Saint-Sébastien. Nombre de restaurants, fermés dimanche, restaient ouverts. Ainsi le Gronx dont la cuisine inventive, à quelques mètres face au Kursaal, nous a permis de prolonger le bon moment passé devant le spectacle. Rentrés, ne voulant plus subir le vent froid qui s’était invité tout seul. C’est ce même dimanche que Brigitte Bardot a choisi pour mourir. Pour « partir », comme on préfère dire et écrire partout pour signaler la fin de l’existence de quelqu’un. Plus que ses films, me sont présentes des chansons dans lesquelles elle chantait sa liberté ainsi que celles, archi-connues, signées Serge Gainsbourg. Je me souviens quand je les entendais, très jeune, à la radio. Entre Brigitte Bardot et Paul Léautaud il y a eu un amour pour « les bêtes » sans concession ainsi qu’une semblable détestation de la bêtise humaine.
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