
Chant intime comme carte de vœux pour moi-même. Prochaines fêtes de Noël avec le cœur
fané, devenu moins sensible à la joie, et d’autant moins sensible au penchant à
l’obligeance et à la sympathie. Arrivée cette période de l’année, j’avais normalement
l’habitude d’adresser des vœux bien sentis à droite et à gauche. À des
collègues, des amis, des prochains plus ou moins « proches ». Au fil
des ans, les destinataires se sont dispersés dans le brouillard et pour le peu
qu’il en reste, je crains de m’aliéner leur bienveillance sans me frayer un
chemin parmi de multiples discordances, propres au quotidien gauchiste
postchrétien, alignées sur toutes les foutaises du système, faites pour
embrouiller et exploiter les troupeaux progressistes dans le monde :
wokisme, climat, guerre des sexes, vilaine Russie, gentil Israël, etc. Trop
fatigant ! Mais je garde tout de même, sensible à des souvenirs d’ordre
émotionnel, un certain air qui chante à répétition dans ma mémoire et que je
scande sifflotant entre les dents en attendant qu’on soit, une fois de plus
tous à table à la maison, pour fêter le réveillon en famille dans quelques
jours. Si peu nombreux, mais obéissant à une voix intérieure qui nous donne
l’ordre de hisser la grand-voile de façon à ce que le petit bateau que nous
formons puisse prendre le vent dès que le vent de la nouvelle année se mettra à
souffler. On se remettra en route dans trois jours pour regagner nos pénates avec vue sur l'Atlantique, si loin d'ici. Arrivés à Alicante le vendredi 5, on est parvenus finalement à respirer un peu après la pluie
incessante de notre cher chez nous, dans lequel il faudrait se faire greffer un
parapluie dans le dos, tellement il pleut sans discontinuer pendant des jours
et des jours, puis des semaines. Ces premiers jours de décembre, cette pluie qui
m’a fait monter plusieurs fois dans mon bureau pour y vérifier que tous les
travaux pour couper une satanée voie de pénétration d’eau, qui nous a bouffé la tranquillité et le sommeil pendant des semaines, avaient
été bien réalisés, s'était considérablement accrue. En redescendant, je voyais l’état des lieux comme si tout
pouvait recommencer à chaque nouvelle averse. Une fois débarqués à Playa San
Juan, on a salué des voisins et des connaissances que nous n’avions pas vus depuis six mois. On s'est donc offert une très
agréable plongée de deux semaines, en ces terres d'Alacant - n’allez surtout pas chercher un gentilé pour « Alacant »
décalqué sur le modèle Brabant / brabançon ! - normalement douces et tempérées, après un commencement de décembre « irunois » (?) normalement pluvieux, comme à l'accoutumée. Rebelote toponymique : nous possédons le terme générique « autunois » donné pour Autun, mais pour Irun, ça donnerait quoi comme gentilé ?
***

On n’échappe pas au métier qu’on a
exercé. On me propose
comme cadeau original l’achat d’une reproduction d’un tableau de Van Gogh, Une liseuse de romans. Je me projette sur le titre : lire des romans !
Voilà la solution à une grande partie de nos malheurs. Pourtant, la réalité –
« la vie vécue sans artifice » réclamée par Léautaud – est moins
intéressante et plus imprécise que certains « réalistes » voudraient
nous le faire croire. De là, ma préférence pour les récits possédant les
caractéristiques de la langue travaillée à l’extrême où le narrateur est
quelqu’un qui s'adresse au lecteur au terme d’un processus par lequel un
événement ou une idée banale, bien « réels » toutefois, acquièrent
une beauté durable grâce à l’art de l’écrivain qui consiste à faire briller
l’objet le plus commun. Un métier vécu et exercé « avec artifice ».
Un travail fictionnel d’artisan individuel grâce auquel la « réalité
extérieure » accessible à tout un chacun est dotée d’une ou de plusieurs
manières de signification rationnelle. Dans le magma qu’on appelait nouveau
roman, c’est Claude Simon sans doute qui semble avoir perfectionné
l’exploration de cette voie du travail littéraire. Si on replonge dans la
lecture des premières pages d’Histoire, qui font penchant à d’autres, de
L’Acacia, par exemple, on pourra observer à quel point l’intensité
verbale des descriptions, riche en figures rhétoriques et en associations, se
rapproche de la poésie lyrique. C. Simon est un auteur prodigieusement doué
dans l’art de la métaphore et la multiplication des « comme »/« comme
si ». Lire quelques lignes de
Claude Simon représente une tentative fructueuse pour échapper à l’existence
suffocante de la routine. Sans arriver à la dépasser mais très utile pour en
faciliter l’assimilation. Il faut donc, reprendre d’autres textes pour répondre
en fait à la question qui pose chaque page sur ce qui fait défaut dans notre
existence purement empirique. Et je m’imagine juste à côté de « la
liseuse » de Van Gogh, attaché à mes propres lectures, « nu dans
l’aurore après l’Hadès entrevu ».
HISTOIRE

l’une d’elles touchait presque la maison et l’été quand je travaillais tard
dans la nuit assis devant la fenêtre ouverte je pouvais la voir ou du moins ses
derniers rameaux éclairés par la lampe avec leurs feuilles semblables à des
plumes palpitant faiblement sur le fond de ténèbres, les folioles ovales
teintées d’un vert cru irréel par la lumière électrique remuant par moments
comme des aigrettes comme animées soudain d’un mouvement propre (et derrière on
pouvait percevoir se communiquant de proche en proche une mystérieuse et
délicate rumeur invisible se propageant dans l’obscur fouillis des branches),
comme si l’arbre tout entier se réveillait s’ébrouait se secouait, puis tout
s’apaisait et elles reprenaient leur immobilité, les premières que frappaient
directement les rayons de l’ampoule se détachant avec précision en avant des
rameaux plus lointains de plus en plus faiblement éclairés de moins en moins
distincts entrevus puis seulement devinés puis complètement invisibles
quoiqu’on pût les sentir nombreux s’entrecroisant se succédant se superposant
dans les épaisseurs d’obscurité d’où parvenaient de faibles froissements de
faibles cris d’oiseaux endormis tressaillant s’agitant gémissant dans leur
sommeil comme si elles se tenaient toujours là, mystérieuses et geignardes,
quelque part dans la vaste maison délabrée, avec ses pièces maintenant à demi
vides où flottaient non plus les senteurs des eaux de toilette des vieilles
dames en visite mais cette violente odeur de moisi de cave ou plutôt de caveau
comme si quelque cadavre de quelque bête morte quelque rat coincé sous une lame
de parquet ou derrière une plinthe n’en finissait plus de pourrir exhalant ces
âcres relents de plâtre effrité de tristesse et de chair momifiée comme si ces
invisibles frémissements ces invisibles soupirs cette invisible palpitation qui
peuplait l’obscurité n’étaient pas simplement les bruits d’ailes, de gorges
d’oiseaux, mais les plaintives et véhémentes protestations que persistaient à
émettre les débiles fantômes bâillonnés par le temps la mort mais invincibles invaincus
continuant de chuchoter, se tenant là, les yeux grands ouverts dans le noir,
jacassant autour de grand-mère dans ce seul registre qui leur était maintenant
permis, c’est-à-dire au-dessous du silence que quelques éclats quelques faibles
rires quelques sursauts d’indignation ou de frayeur crevaient parfois les
imaginant, sombres et lugubres, perchées dans le réseau des branches, comme sur
cette caricature orléaniste reproduite dans le manuel d’Histoire et qui représentait
l’arbre généalogique de la famille royale dont les membres sautillaient parmi
les branches sous la forme d’oiseaux à têtes humaines coiffés de couronnes
endiamantées et pourvus de nez (ou plutôt de becs) bourboniens et
monstrueux : elles, leurs yeux vides, ronds, perpétuellement larmoyants
derrière les voilettes entre les rapides battements de paupières bleuies ou
plutôt noircies non par les fards mais par l’âge, semblables à ces membranes
plissées glissant sur les pupilles immobiles des reptiles, leurs sombres et
luisantes toques de plumes traversées par ces longues aiguilles aux pointes
aiguës, déchirantes, comme les becs, les serres des aigles héraldiques, et
jusqu’à ces ténébreux bijoux aux ténébreux éclats dont le nom (jais) évoquait
phonétiquement celui d’un oiseau, ces rubans, ces colliers de chien dissimulant
leurs cous ridés, ces rigides titres de noblesse qui, dans mon esprit d’enfant,
semblaient inséparables des vieilles chairs jaunies, des voix dolentes, de même
que leurs noms de places fortes, de fleurs, de vieilles murailles, barbares,
dérisoires, comme si quelque divinité facétieuse et macabre avait condamné les
lointains conquérants wisigoths aux lourdes épées, aux armures de fer, à se survivre
sans fin sous les espèces d’ombres séniles et outragées appuyées sur des cannes
d’ébène et enveloppées de crêpe Georgette
L’ACACIA
La fenêtre de la chambre était ouverte sur la nuit tiède. L’une des
branches du grand acacia qui poussait dans le jardin touchait presque le mur,
et il pouvait voir les plus proches rameaux éclairés par la lampe, avec leurs
feuilles semblables à des plumes palpitant faiblement sur le fond de ténèbres,
les folioles ovales teintées d’un vert cru par la lumière électrique remuant
par moments comme des aigrettes, comme animées soudain d’un mouvement propre,
comme si l’arbre tout entier se réveillait, s’ébrouait, se secouait, après quoi
tout s’apaisait et elles reprenaient leur immobilité.
***
Vœux de Père Ubu. Conférence de presse avant « ses »
longues vacances aux frais du contribuable du grotesque pantin que nous avons
comme chef du gouvernement. Ce type m'impatiente par ses mensonges à
répétition, ses propos outrageux, son cynisme éhonté. Rôti, bouilli, traîné dans
les cendres par les pires cas de corruption depuis Bettino Craxi en Italie, il
me met hors de moi. C’est plus fort que moi, je deviens chèvre quand je vois sa
gueule défiante sous son masque foudroyé, exhibant l’éternel contraste entre
son âme banale jusqu’au vil et un visage devenu dantesque. Il connaît bien son
électorat, ses fans, ses admiratrices : de vrais hamsters. C'est à celui
qui arrivera à faire tourner sa roue le plus vite ou qui produira le plus de
bruit ! Avec cela, une voix théâtralement timbrée, tout enflammé
d’admiration pour lui-même, proclamant que chaque jour sous ses ordres, depuis
son truculent accès au pouvoir en deux mille vingt-trois, sans gagner les
élections, constitue sans conteste un chef-d’œuvre éternel de justice sociale
et de revendication féministe digne d’applaudissements reconnaissants. Je me
vois, citoyen lambda, hamster fatigué, moi-aussi, devant continuer mon
interminable course avec d’autres rongeurs de mon espèce dans la cage où nous explorons
chaque jour la série d'obstacles personnalisés que nous devons franchir : éviter
des labyrinthes fiscaux cherchant la perte du contribuable, pour les
uns ; traverser des tunnels où se cachent les chaotiques locomotives
de la corruption sanchiste, pour les autres ; et pour tous, admirer
les balançoires géantes destinées, en rigoureuse exclusivité, aux partis
soutiens de la coalition gouvernementale et aux meilleurs potes du sinistre
plagiaire, cramponnés aux cordes qui tiennent l’ensemble du radeau où le
vertige entre népotisme, clientélisme et pantouflage est garanti à l’heure de réclamer
ses faveurs …

Un couple argentin à la retraite en dit des merveilles à chaque
fois qu’on se croise devant l’ascenseur. Autoentrepreneurs au statut juridique
compliqué, ils n’ont pas cotisé grand-chose en Espagne et se sentent réellement
redevables du cadeau reçu du contribuable espagnol en forme de rondelette somme
mensuelle régulièrement touchée, encourageant chez eux reconnaissance, docilité
et gratitude instinctive. Ainsi qu’une efficace vaccination contre toute
critique, aussi sucrée, amène ou bienveillante soit-elle, qu’on adresserait à
l’encontre de ces bénéfacteurs du genre humain qui se donnent tant de peine
pour nous « gouverner ». On abreuve d’aides, primes, subventions,
facilités, oboles, subsides et libéralités à des poignées de gens. Et ces gens,
qui votent, se laissent facilement endoctriner par les flatteurs du Big
Boss et par ses mercenaires. Une myriade de consultants, des créateurs
de contenu médiatique bien payés et certains « journalistes » des
chaînes publiques à ses pieds, dont la servilité laisse bien en vue leur mauvaise
graine et leur instinct prédateur, font le nécessaire pour susciter l’adhésion sans
faille, coûte que coûte et malgré tous les malgré, des masses capables d’ingurgiter
les pires couleuvres dans d’infatigables exercices quotidiens, physiques et
mentaux. Partout, où que ce soit. Sur les réseaux sociaux, dans la presse
écrite, sur les écrans : urbi et orbi. Une espèce de prolifération carnassière
pour voir qui pousse à ramer plus fort les pagayeurs qui s’imaginent terminer heureusement
un jour leur parcours, tout en négligeant leur propre tragique course vers le
précipice s’ils ne réagissent pas à temps.
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