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dimanche 5 octobre 2025

Comment pourrais-je prendre du plaisir, alors qu'Israfil a déjà posé sa bouche sur l’embouchure de sa trompette ?

 


« C'est ainsi qu'un jour, par hasard, nous nous rappelons tant de visages, tant de choses, mais il n'y a plus personne pour se souvenir de nous, et nous sommes encore vivants. » 
Angelo Rinaldi, La dernière fête de l'Empire, Gallimard, 1980

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Nouveaux ordinateurs en chantier avec l’espoir de récupérer sur les remplacés le plus d'éléments possible : programmes, machins et tout. Tête occupée à cela pour éviter d’autres ruminations mentales. Obligés de rester à Irun au moins jusqu’à fin octobre. Si tout se passe bien. Impossible de nous rendre à Alicante sans avoir franchi toutes les barrières médicales en bonne et due forme. Me faire remettre à sa place une hernie inguinale, après pas mal de semaines de galères diverses. On se résignera à l’attente sans découragement.

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Ancienne habitude, presque manie, tout en marchant, de ramasser par terre divers matériaux : des bouts de bois ou des tessons polis par la mer, des cailloux et des coquillages sur le sable pour compléter la décoration de mes étagères, des éclats de verre poli, quelques feuilles de ficus, etc. Ces objets m’amusent sans que je sache après quoi en faire.


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Les guerres changent d’objet ou de prétexte. La religion, la justice, l’égalité, une terre de naissance, le progrès… Toutes ces "raisons" fournissent successivement leurs feux, justifient leurs catastrophes. L’instrument qui permettrait invariablement d’en sortir, lui, ne change pas : la recherche d’une charpente commune, au-delà des ligues et des factions, pour vivre ensemble sur terre la vie qu’il nous a été donné de vivre, sans prendre le ciel pour prétexte, les écritures pour instrument de puissance, un passé mythique, puisé dans une histoire inventée de toutes pièces, pour lieu de racolage des bourreaux. Mon dégoût pour l’actualité dépasse tout. Je l’écris parce qu’il faut absolument que ce soit écrit quelque part, et aujourd’hui-même. Les "génies" qui écrivent ou qui parlent de quoi que ce soit en connaissance de cause sont extrêmement rares. Il est souvent, malheureusement, plus possible de trouver presque partout beaucoup d’ignobles malfaisants, qu’il n’est pas question de désavouer, ou de sous-estimer car ils font basculer l'opinion. Cependant, il suffit qu’on entende un avis bien fondé, argumenté solidement, pour mesurer la distance infinie qui sépare les cerveaux de ces chroniqueurs, du reste de la production médiatique. Il ne faut jamais perdre de vue la chose la plus importante qui soit, la mise en forme des idées hiérarchisées, la solidité, la qualité et la force des raisons et des preuves utilisées pour soutenir une affirmation ou une thèse sans lesquelles il n’est ni vérité ni dignité et, surtout, pas de généralisation excessive, pas de démagogie, ces petits véhicules fragiles que nous empruntons pour traverser des zones qui pourraient être fragilisées par le plus infime contre-argument qu’on pourrait éventuellement anticiper. On devrait être terrassés par ce qui se joue sous nos yeux, rendus muets, sans mots. Abandonnés à notre solitude dont les murs montent jusqu’au ciel. L’anéantissement d’un peuple sans provoquer une réponse, un cataclysme sur le plan international, sauf de la part des Houthis, nous fait entrevoir ici que ce qui se passe en Palestine occupée n’a que peu de rapports avec les sentiments humains, avec l’Histoire qu’on enseigne, que nous connaissons et qui a encadré nos pensées et nos affects depuis notre enfance. Il y a, dans les très grands moments de l’expropriation des Palestiniens, des épisodes où l’indécence de l’impérialisme anglo-américain se surpasse elle-même, où elle sort de son cadre. C’est autre chose que de l’Histoire, de la politique ou du droit international, alors. On pourrait presque soutenir qu’il n’y pas le moindre indice de vie civilisée depuis le début de l’implantation de la fiction sioniste sur les terres volées impunément à leurs propriétaires. On a gracieusement permis aux sionistes de se situer au-delà de la morale, du respect à la parole donnée et aux traités internationaux et cela leur a facilité de camper fièrement au-delà de la violence militaire classique. J’ignore de quoi est faite la matière qui est ici convoquée, car il faudrait tout de même qu’un miracle se manifeste, avec quelques concessions à la matérialité de nos sens, pour que tout le monde comprenne, s’il observe attentivement, qu’on est bien au-delà des formes, des conventions et des évènements. Le sentiment d’appartenir à une même condition humaine demande une foi parfaite en l’être humain dont le comportement, à de certains moments, perce nos défenses et pulvérise nos limites.
Chaque visage de chaque victime, dans sa singularité et dans sa chair martyrisée, atteint un degré de vérité qui le rend apte à entrer sans discussion dans le domaine de la pitié insondable qui devrait nous traverser, une pitié qui vient de bien plus loin que la foi, le droit ou la souffrance, fussent-t-ils ceux d’un soi-disant peuple élu. À quelle image ces visages défigurés sous les bombes ont-ils été créés, pour qu’ils soient à même de rendre cette pitié perceptible ? Hélas, la véracité d’un génocide, même quand il est filmé et retransmis partout, c’est une question d’opinion maintenant. Ce n’est plus un délit mais un « droit de se défendre ». Au lieu d’enfumer les gens avec le « plan de paix pour Gaza » que Netanyahou et Trump, son larbin, veulent imposer en Palestine occupée et que les manipulateurs professionnels s’empressent de faire accepter sans discussion au Hamas pour qu’on puisse « régler la question », on devrait considérer sérieusement cette affaire de génocide filmé en direct : d’abord, comment l’arrêter une fois pour toutes et comment faire, parallèlement, pour envoyer au tribunal tous ces gens que, non seulement ils le nient mais en font l’apologie, quand ils n’y participent pas directement comme de nombreux juifs et sympathisants sur place et dans le monde. Je ne crois plus qu'il soit question d’être de gauche ou de droite. Il n'y a plus que les homines humani et ceux qui ne le sont pas. Le reste n'est que règlement de comptes au sein de la pègre qui fait office de classe politique.


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