Toute comparaison est odieuse, à ce qu’on dit. L’immigration d’il y a
quelques années aux vagues déferlantes actuelles, par exemple. Pour les gens de
la photo, il fallait ravaler les larmes amères de leur pauvreté en quittant
l’Espagne, l’Italie, le Portugal à la recherche d’un avenir meilleur. Ils n’ont
pas reçu des aides dont ils avaient cruellement besoin ni des subventions ni
créé des mafias pour vivre sur le dos du contribuable. Ils n’ont pas, non plus,
attaqué les institutions du pays d’accueil ni voulu lui imposer leurs modes de
vie. Bien au contraire, l’intégration représentait pour eux une fierté, une
conquête, une victoire durement remportée à force de ténacité et de courage.
Grand respect à ces générations qui ont fait don de leurs vies et de leur force
de travail « à l’étranger » …
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Sur la terre sableuse du Champ de Mars, apparaît la Tour Eiffel comme
symbole de la modernité et de la technique, comme « temple de la
science » dans un ciel vide éclairant les moindres recoins de la capitale (Roland
Barthes, La Tour Eiffel). Elle deviendra mythologique grâce à des
artistes, des écrivains, des poètes : Apollinaire, Bonnard, Buffet,
Chagall, Cocteau, Delaunay, Léon-Paul Fargue, Picasso, etc. La regarder, la
visiter deviennent quelque chose d’obligatoire pour chaque visiteur de Paris.
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Anniversaire de l'assassinat de Miguel-Angel Blanco. Conciliation, réconciliation, mécanismes judiciaires pour les crimes
graves. Le « conflit basque » a-t-il été réglé à l’amiable ? La
réconciliation aurait été possible si on avait pu restaurer les liens détruits par
le crimes, les blessures, les offenses. Les pratiques non-officielles de
réconciliation, essentiellement sociales, en marge des cours de justice mais sans être forcément une défaillance de celle-ci, auraient pu conjuguer l’idée de
responsabilité collective mais aussi individuelle. La réconciliation (collective), c’est la base, mais pour se
mettre en œuvre correctement, il aurait fallu que justice (individuelle) eût été faite et qu’elle bénéficiât d’un climat général d’apaisement. Ce ne pas le cas à l’heure actuelle.
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Étonnement d’apprendre, à la lecture d’un texte de F. Fanon (Peau noire,
masques blancs, Seuil, Paris) l’histoire du garçon de campagne qui revient
dans la ferme où il prétend ne pas savoir à quoi sert un outil agricole
particulier. La même histoire que j’avais tant de fois, plié de rire, entendu
raconter à mon propre père quand j’étais petit. Le paternel du garçon oublieux lui
rend miraculeusement la mémoire en lui faisant tomber sur les pieds l’outil en
question. Après avoir colonisé des continents, les Européens sont colonisés. Rien
n’interdit de penser que le processus de colonisation ne puisse s’étendre à des
peuples européens victimes de l’inextinguible rapacité américaine. « Tout
peuple colonisé – c’est-à-dire au sein duquel a pris naissance un complexe
d’infériorité du fait de la mise au tombeau de l’originalité culturelle locale
– se situe vis-à-vis du langage de la nation civilisatrice » (Peau
noire, masques blancs,). Le colonisé, dépossédé de sa langue maternelle,
souffre de cette dislocation qui ne fait que renforcer son complexe
d’infériorité car le colonisateur lui dit en fait que sa langue est sans
valeur : l’histoire, la culture et l’origine du colonisé perdent également
toute valeur. Sans langage, la nature humaine se réduit à la notion hégélienne
de « certitude sensible » sans pouvoir exprimer d’émotions, de
passions et d’énergie liée à la vie même. Pour s’intégrer, le colonisé est
forcé de renoncer à son identité ancestrale et de revêtir le costume de la
société et de la culture auxquelles il souhaite adhérer. Vivre comme des Yankees
même si on ne comprend rien à leur monde.
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Le cas Nahel. Impossibilité d’adhérer au principe marxiste selon lequel une
théorie ne peut attirer les masses que lorsqu’elle devient radicale. Pour être
radical il faut saisir « la racine de la chose », pour reprendre l’expression
de Marx (Critique du droit politique hégélien, Éditions sociales, Paris
1980) selon qui, pour l’homme, la racine c’est l’homme lui-même. Mardi, à
l’issue d’une demi-heure de course-poursuite, commencée alors qu’un jeune
chauffard récidiviste mais toujours sans permis avait été surpris en train de
rouler à vive allure dans un couloir de bus, au volant d’une voiture dont on ne
sait d’où elle sort, le pilote s’est fait flinguer par la police. C’est cher
payer le refus d’obtempérer, mais enfin on ne peut pas dire que le défunt
n’avait pas cherché les ennuis. Dans cette affaire, le président de la
république, en se précipitant pour juger le policier « inexcusable » avant même
de savoir au juste ce qui s’est passé, et l’abruti milliardaire Mbappé, en
qualifiant carrément le malfrat de « petit ange », se sont comportés comme deux irresponsables. Le lendemain la mafia politique, ne ratant jamais une
occasion de prendre le parti de la racaille, a fait observer à l’assemblée
nationale, s’il vous plait, une minute de silence à la mémoire du hors-la-loi abattu.
On n’en fait pas tant, semble-t-il, pour les innocents massacrés chaque semaine
par la meute sauvage. Les télévisions ont retransmis les déclarations de la mère et
de la grand-mère de l’automobiliste, le dépeignant sans gêne et contre toute
vraisemblance comme un gentil petit garçon sans problème.
Aucun regret quant à
ses infractions répétées, ni quant à sa très imparfaite éducation.
Accessoirement aucune larme, à ce que j’ai pu observer, tout au contraire on a
vu la mère, portant déjà un t-shirt à l’effigie de son lardon, pérorer sur un
camion et une motocyclette. Et bien sûr dans les jours et surtout les nuits qui
ont suivi, les hordes de banlieue, déjà très indisciplinées en temps ordinaire,
et ne se sentant plus pisser dès qu’un tel prétexte leur est fourni, ont fait
régner toute la sauvagerie dont on les sait capables. La horde d’en bas est l'alliée objective de la horde d’en haut dans une guerre contre la
population qui les arrange bien : à la peur générée par les bandes
déchaînées succédera comme on commence à en avoir l’habitude, des restrictions
de libertés. D’un autre côté, les dirigeants sont incapables de ramener le
calme. Aucun n’a dit à propos du drame de Nanterre qu’il s’agissait d’une
situation confuse au terme d’une course-poursuite dangereuse et que la justice
essayait de débrouiller les faits. Les journaux parlent d’un simple contrôle
routier, comme les faux-barrages mis en place en Algérie dans les années 90
par des pillards islamistes, sans doute. Le président a parlé de geste inexplicable,
ce qui a pour effet de signifier « ne cherchez pas à comprendre,
indignez-vous sous le coup de l’émotion », ou bien encore « si vous
avez une idée, nous les autorités, on n’en a pas et on n’en reconnaîtra pas, donc
soyez bien furieux ». Bingo. Je ne dis pas que ça aurait tout changé, mais
l’une des caractéristiques des troubles est qu’ils s’apaisent quand les gens
sentent non seulement un pouvoir, mais une volonté déterminée en face d’eux. Il
n’y a plus ni l’un, ni l’autre.
***
Que peut-on faire quand on a été professeur de philologie française dans
une université de « l'État espagnol » et que tout semble
vouloir s’évanouir autour de soi, que votre femme, que vous aimez le plus au
monde et pour laquelle vous vous faites en permanence du souci – infirmière
dévouée avec une « clientèle » fidèle et admirative : saluée
partout dès qu’elle met les pieds dans la rue ! – a donc dû se résoudre à passer en salle
d’opération à deux reprises en moins d’un an, que vos enfants, dans la course
accélérée de leurs vies, semblent au bord de verser définitivement dans le
progressisme optimiste, la forme même du temps, que votre petite-fille pense,
évolue et réfléchit exactement comme une adulte, que le fisc vous harcèle,
qu’un Monsieur Feijoo est sur le point de battre à l'élection qui s'annonce dans
une semaine un chef du rayon vêtements de chez LIDL qui s’était trompé de lieu,
pathétique pantin gonflé de suffisance, que votre entourage professionnel disparaît
sans faire du bruit, que vous avez renoncé à consulter l’immonde presse
quotidienne à la vitesse habituelle et à ouvrir votre courrier, sachant trop
bien ce qu'il contient de pénible ? Que peut-on faire, disais-je ? Rien.
Si ce n’est se résigner à écluser jours après jour, seul ou accompagné d’autres
coureurs de fond, quelques verres de blanc ou de rouge. Quitte à refaire le
monde avec vos connaissances nulles et laisser l’opinion gober les conneries
dont elle raffole. Eh bien, quand la vie change à ce rythme, il n’y a comme
issue que la lucidité : franchir vite fait les frontières de Baskoland
et foncer vers les chaudes plages méditerranéennes pour y jouir du lever du
soleil. Et, une fois rénové de fond en comble un appartement qui était presque
aussi fragilisé que votre existence, s'y installer dans le but hautement
affirmé de lire à perte de souffle des auteurs oubliés et d'écrire des billets
anodins que presque personne ne lira et que le monde entier n‘attendait point de
vous.
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