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samedi 15 juillet 2023

Sur la terre sableuse de juillet

 

Toute comparaison est odieuse, à ce qu’on dit. L’immigration d’il y a quelques années aux vagues déferlantes actuelles, par exemple. Pour les gens de la photo, il fallait ravaler les larmes amères de leur pauvreté en quittant l’Espagne, l’Italie, le Portugal à la recherche d’un avenir meilleur. Ils n’ont pas reçu des aides dont ils avaient cruellement besoin ni des subventions ni créé des mafias pour vivre sur le dos du contribuable. Ils n’ont pas, non plus, attaqué les institutions du pays d’accueil ni voulu lui imposer leurs modes de vie. Bien au contraire, l’intégration représentait pour eux une fierté, une conquête, une victoire durement remportée à force de ténacité et de courage. Grand respect à ces générations qui ont fait don de leurs vies et de leur force de travail « à l’étranger » …

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Sur la terre sableuse du Champ de Mars, apparaît la Tour Eiffel comme symbole de la modernité et de la technique, comme « temple de la science » dans un ciel vide éclairant les moindres recoins de la capitale (Roland Barthes, La Tour Eiffel). Elle deviendra mythologique grâce à des artistes, des écrivains, des poètes : Apollinaire, Bonnard, Buffet, Chagall, Cocteau, Delaunay, Léon-Paul Fargue, Picasso, etc. La regarder, la visiter deviennent quelque chose d’obligatoire pour chaque visiteur de Paris.

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Anniversaire de l'assassinat de Miguel-Angel Blanco. Conciliation, réconciliation, mécanismes judiciaires pour les crimes graves. Le « conflit basque » a-t-il été réglé à l’amiable ? La réconciliation aurait été possible si on avait pu restaurer les liens détruits par le crimes, les blessures, les offenses. Les pratiques non-officielles de réconciliation, essentiellement sociales, en marge des cours de justice mais sans être forcément une défaillance de celle-ci, auraient pu conjuguer l’idée de responsabilité collective mais aussi individuelle. La réconciliation (collective), c’est la base, mais pour se mettre en œuvre correctement, il aurait fallu que justice (individuelle) eût été faite et qu’elle bénéficiât d’un climat général d’apaisement. Ce ne pas le cas à l’heure actuelle.

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Étonnement d’apprendre, à la lecture d’un texte de F. Fanon (Peau noire, masques blancs, Seuil, Paris) l’histoire du garçon de campagne qui revient dans la ferme où il prétend ne pas savoir à quoi sert un outil agricole particulier. La même histoire que j’avais tant de fois, plié de rire, entendu raconter à mon propre père quand j’étais petit. Le paternel du garçon oublieux lui rend miraculeusement la mémoire en lui faisant tomber sur les pieds l’outil en question. Après avoir colonisé des continents, les Européens sont colonisés. Rien n’interdit de penser que le processus de colonisation ne puisse s’étendre à des peuples européens victimes de l’inextinguible rapacité américaine. « Tout peuple colonisé – c’est-à-dire au sein duquel a pris naissance un complexe d’infériorité du fait de la mise au tombeau de l’originalité culturelle locale – se situe vis-à-vis du langage de la nation civilisatrice » (Peau noire, masques blancs,). Le colonisé, dépossédé de sa langue maternelle, souffre de cette dislocation qui ne fait que renforcer son complexe d’infériorité car le colonisateur lui dit en fait que sa langue est sans valeur : l’histoire, la culture et l’origine du colonisé perdent également toute valeur. Sans langage, la nature humaine se réduit à la notion hégélienne de « certitude sensible » sans pouvoir exprimer d’émotions, de passions et d’énergie liée à la vie même. Pour s’intégrer, le colonisé est forcé de renoncer à son identité ancestrale et de revêtir le costume de la société et de la culture auxquelles il souhaite adhérer. Vivre comme des Yankees même si on ne comprend rien à leur monde.

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Le cas Nahel. Impossibilité d’adhérer au principe marxiste selon lequel une théorie ne peut attirer les masses que lorsqu’elle devient radicale. Pour être radical il faut saisir « la racine de la chose », pour reprendre l’expression de Marx (Critique du droit politique hégélien, Éditions sociales, Paris 1980) selon qui, pour l’homme, la racine c’est l’homme lui-même. Mardi, à l’issue d’une demi-heure de course-poursuite, commencée alors qu’un jeune chauffard récidiviste mais toujours sans permis avait été surpris en train de rouler à vive allure dans un couloir de bus, au volant d’une voiture dont on ne sait d’où elle sort, le pilote s’est fait flinguer par la police. C’est cher payer le refus d’obtempérer, mais enfin on ne peut pas dire que le défunt n’avait pas cherché les ennuis. Dans cette affaire, le président de la république, en se précipitant pour juger le policier « inexcusable » avant même de savoir au juste ce qui s’est passé, et l’abruti milliardaire Mbappé, en qualifiant carrément le malfrat de « petit ange », se sont comportés comme deux irresponsables. Le lendemain la mafia politique, ne ratant jamais une occasion de prendre le parti de la racaille, a fait observer à l’assemblée nationale, s’il vous plait, une minute de silence à la mémoire du hors-la-loi abattu. On n’en fait pas tant, semble-t-il, pour les innocents massacrés chaque semaine par la meute sauvage. Les télévisions ont retransmis les déclarations de la mère et de la grand-mère de l’automobiliste, le dépeignant sans gêne et contre toute vraisemblance comme un gentil petit garçon sans problème.

Aucun regret quant à ses infractions répétées, ni quant à sa très imparfaite éducation. Accessoirement aucune larme, à ce que j’ai pu observer, tout au contraire on a vu la mère, portant déjà un t-shirt à l’effigie de son lardon, pérorer sur un camion et une motocyclette. Et bien sûr dans les jours et surtout les nuits qui ont suivi, les hordes de banlieue, déjà très indisciplinées en temps ordinaire, et ne se sentant plus pisser dès qu’un tel prétexte leur est fourni, ont fait régner toute la sauvagerie dont on les sait capables. La horde d’en bas est l'alliée objective de la horde d’en haut dans une guerre contre la population qui les arrange bien : à la peur générée par les bandes déchaînées succédera comme on commence à en avoir l’habitude, des restrictions de libertés. D’un autre côté, les dirigeants sont incapables de ramener le calme. Aucun n’a dit à propos du drame de Nanterre qu’il s’agissait d’une situation confuse au terme d’une course-poursuite dangereuse et que la justice essayait de débrouiller les faits. Les journaux parlent d’un simple contrôle routier, comme les faux-barrages mis en place en Algérie dans les années 90 par des pillards islamistes, sans doute. Le président a parlé de geste inexplicable, ce qui a pour effet de signifier « ne cherchez pas à comprendre, indignez-vous sous le coup de l’émotion », ou bien encore « si vous avez une idée, nous les autorités, on n’en a pas et on n’en reconnaîtra pas, donc soyez bien furieux ». Bingo. Je ne dis pas que ça aurait tout changé, mais l’une des caractéristiques des troubles est qu’ils s’apaisent quand les gens sentent non seulement un pouvoir, mais une volonté déterminée en face d’eux. Il n’y a plus ni l’un, ni l’autre.

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Que peut-on faire quand on a été professeur de philologie française dans une université de « l'État espagnol » et que tout semble vouloir s’évanouir autour de soi, que votre femme, que vous aimez le plus au monde et pour laquelle vous vous faites en permanence du souci – infirmière dévouée avec une « clientèle » fidèle et admirative : saluée partout dès qu’elle met les pieds dans la rue ! –  a donc dû se résoudre à passer en salle d’opération à deux reprises en moins d’un an, que vos enfants, dans la course accélérée de leurs vies, semblent au bord de verser définitivement dans le progressisme optimiste, la forme même du temps, que votre petite-fille pense, évolue et réfléchit exactement comme une adulte, que le fisc vous harcèle, qu’un Monsieur Feijoo est sur le point de battre à l'élection qui s'annonce dans une semaine un chef du rayon vêtements de chez LIDL qui s’était trompé de lieu, pathétique pantin gonflé de suffisance, que votre entourage professionnel disparaît sans faire du bruit, que vous avez renoncé à consulter l’immonde presse quotidienne à la vitesse habituelle et à ouvrir votre courrier, sachant trop bien ce qu'il contient de pénible ? Que peut-on faire, disais-je ? Rien. Si ce n’est se résigner à écluser jours après jour, seul ou accompagné d’autres coureurs de fond, quelques verres de blanc ou de rouge. Quitte à refaire le monde avec vos connaissances nulles et laisser l’opinion gober les conneries dont elle raffole. Eh bien, quand la vie change à ce rythme, il n’y a comme issue que la lucidité : franchir vite fait les frontières de Baskoland et foncer vers les chaudes plages méditerranéennes pour y jouir du lever du soleil. Et, une fois rénové de fond en comble un appartement qui était presque aussi fragilisé que votre existence, s'y installer dans le but hautement affirmé de lire à perte de souffle des auteurs oubliés et d'écrire des billets anodins que presque personne ne lira et que le monde entier n‘attendait point de vous.

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