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samedi 29 janvier 2022

Fuite de la routine domestique basque et envie de routine aquitaine

 


Retour à Bordeaux. Nos enfants nous accueillent dimanche chez eux, Rive droite, et leur chaleureuse cordialité, leurs sourires et la gaité de notre petite A. viendront ranimer ma confiance dans le sentiment d'être au cœur de notre clan familier porteur d'espoir, de chaude ambiance intime et de joie de vivre. Si j'ai connu quelque vague à l'âme sur des moments ponctuels, dévasté par l'érosion de la vie quotidienne des uns et des autres, la répétition de bons moments dont rien, depuis toujours, ne trouble le flux coloré, enchanté et joyeux, agissent sur moi comme un vrai tonique.

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Mémoire de mon père. Je me souviens des derniers moments de mon père. De ses derniers jours. De ce qu’il traversait en silence, de son besoin de discrétion dans sa douleur solitaire, impossible à partager avec ceux qui l'entouraient. Je redécouvre à chaque fois sa personnalité remarquable, avec le regret de ne pas l'avoir revu à temps pour lui en porter un témoignage de reconnaissance qui eût pu lui faire du bien. Lorsque nous étions enfants et que j’ai commencé à le connaître, c'était à mes yeux l'Homme dans toute sa plénitude, le Père que j'avais pour me défendre contre tout. Par sa stature, par sa voix puissante et ferme, par toute sa guerre de 36 qui l'auréolait de virilité. Petit enfant, combien j'ai pu être sensible à ces choses ! Les années ont passé et, par bribes, par nos conversations la nuit, par les souvenirs qu'il nous contait, par ce que j'ai entendu sur lui de divers côtés, je crois que j'ai fini par le connaitre totalement, mais je ne le savais pas. Il a fallu qu'il nous quitte pour que, pensant à lui, je fasse en quelque sorte la synthèse de tout ce qu'il m'inspirait. C'est pourquoi je peux écrire aujourd'hui sincèrement de sa personnalité remarquable, que je ne réalisais même pas quelques jours après sa disparition, sa mort. Mon père était la droiture même ; d'une honnêteté courageuse, totale, intransigeante, et cependant, sans fanatisme aucun. Sa droiture était elle-même une conséquence de son goût de l'ordre et d'une rigueur qui l'ont conduit à cette perfection dans le travail auquel il apportait une minutie extrême. Bien entendu, lorsqu'on aime l'ordre, on aime la justice, qui met chacun et chaque chose à sa place. Entier, il allait jusqu'au bout, avec ce mélange de bonté et de rudesse que lui donnaient ses certitudes. Lorsqu'il s'asseyait dans son coin le soir avec un bon roman du Far West (Marcial Lafuente Estefanía, il adorait !), il était parfaitement détendu, l'âme sans une ride, l'esprit sans une compromission. Il pouvait laisser son petit roman et croiser son regard dans la glace sans baisser les yeux. Il pouvait se regarder lui-même de ce regard direct, énergique, sans nuance, qu'il posait sur les autres, même si cela les gênait. Il avait une conscience absolument pure. Il dormait sur ses deux oreilles, il marchait plus droit qu'il n'est permis, et il le pouvait. Il avait compris bien des choses. Il n'avait pas d'ambition personnelle car l'ambition n'eût rien apporté de plus à la simple aisance dont il jouissait avec les siens. Mon père était loin de ce risque, car il était sauvé par son cœur. Il puisait dans sa sérénité une immense indulgence et ses colères étaient limitées, verbales, et concernaient surtout le désordre. Frappé par un cancer terrible tardivement détecté, sans que le temps me permette de lui apporter quelque satisfaction que ma situation de fils prodigue sans retour ne lui avait accordé que rarement, il avait regagné un équilibre qui paraissait pouvoir durer encore longtemps. Je l'accompagne très souvent par la pensée et il me restitue généreusement de vivants souvenirs de mon enfance.


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Vieilles notes d’une visite à la Cité Administrative (2016). La fonctionnaire était furieuse sans me laisser m’expliquer. Deux numéros d'identification fiscale de référence attribués à une même et unique personne ! Elle a retroussé ses manches, d'une horrible blouse bleu. Situation irrégulière ! Comment voulez-vous qu'on s'y retrouve si tout le monde en fait autant !? Vérifiez vos coordonnées personnelles ou refaites-les comme il faut à chaque changement de situation (!?). Vous avez une semaine pour vous mettre à jour ! Pour en finir, j'ai fait tout établir, puisque j'étais enregistré deux fois, sous un nom presque identique, dans les données du ministère à cause d'une erreur de saisie de la part de Dieu sait qui. Muni de preuves attestant l'erreur, il m'a fallu poireauter à nouveau à la Cité Administrative, parmi des centaines de gens pareillement emmerdés par d'autres foutaises. Au final, tout s'est bien passé grâce à l'efficacité d'un jeune compétent capable de corriger la base de données. Heureusement, la première fois, j'avais pris la précaution d'emporter ma tablette et la queue n'a pas été trop crevante. Je sais bien qu'il y a encore pire ailleurs, mais il me semble parfois que l’administration française si jalousée à en croire ses représentants, est la plus chiante du monde, toujours impuissante à simplifier et à réduire et ne sachant que multiplier à l'infini bureaux, démarches, paperasses et formalités malgré l'omniprésence du numérique. Le pire de tout est l'arrogance que se permettent tant de minables à peine revêtus de la plus petite apparence d'autorité. Le besoin qu'avait cette pauvre abrutie, ce matin-là, de me voir me morfondre dans l'attente de son bon plaisir. Sa rage de manquer ses effets tandis que je me prélassais, lecteur désinvolte des trucs dans ma tablette, à mille lieues de marquer l'impatience ou l'intimidation escomptée. Avoir gâché la journée d’une sorcière m'a drôlement consolé d'avoir perdu la mienne. J'ai tout de même l'esprit de l'escalier. Que font en effet tant de bureaucrates des migrants, des forains, des itinérants perpétuels, qui se déplacent sans cesse et risquent de connaître tout le temps des « changements de situation » ? Il doit bien y avoir une formule ! J'aurais dû déclarer une situation fiscale originale : nomade professionnel, rien que pour voir l'effet sur cette gueule. C'était peut-être la porte ouverte à des emmerdements sans fin, mieux valait couper court par la tangente de la démarche répétée docilement. Mon instinct ne m'avait pas trompé. Le professionnalisme du jeune bienveillant, perle rare, rachète habituellement le désordre causé par la vioque aigrie ?


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