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mercredi 8 septembre 2021

Alger, Saïgon, Kaboul ... Et le compteur tourne !

 On est proche de se trouver dans l’humeur de Scipion sur les ruine de Carthage. L’historien grec Polybe rapporte que c’était la ruine des grands empires antiques et cela exprimait la crainte que Rome soit elle-même anéantie quelque jour. Il aurait alors cité des passages de l’Iliade (IV, 148 sq. et VI, 464 sq.) qui prophétisaient la fin de Troie : « Viendra le jour… »

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Une fois de plus, les Amerloques prennent la poudre d’escampette, ils quittent Kaboul, ils s'échappent en abandonnant sur place leurs alliés de toute sorte après une autre guerre perdue. A Alger, en 1962, le gouvernement de l’homme providentiel à gros pif (« Je vous ai compris ! ») avait fait pareil refusant à l’armée de défendre une partie de son territoire dans une guerre qu’elle avait gagnée et par crainte que son régime tout neuf ne soit déstabilisé et que la France s'islamise si elle continuait sa présence au sud de la Méditerranée. On peut difficilement admettre que le petit géant de Colombey avait raison ou qu'il avait une grande vision d'avenir, vu la situation d’aujourd’hui même. A Saïgon, les Américains, après avoir créé une administration des plus corrompues qu’il nous ait été donné de connaître et une armée de mercenaires armés jusqu'aux dents, ont vu comment les guérilleros de Ho Chi Minh ont dévoré en quelques jours le Sud Vietnam face à une armée faite à l'image et ressemblance du modèle yankee. Ce qui se passe ces jours-ci à Kaboul rappelle à la fois les épisodes de 1962 et de 1975. Maintenant, laissés à côté cris, pleurs et lamentations, une variante de l'islamisme – moins bien armée, moins bien formée et moins bien financée que d’autres riches en pétrole – vient de vaincre à plate couture les États-Unis, et ses créatures de l’OTAN. Les talibans ont su attendre et sont toujours prêts à donner leur vie pour des causes considérées chez nous ringardes : celle de leur terre et celle de leur Dieu. Les Occidentaux sont bien incapables de comprendre tout ça. Si la guerre est la continuation de la politique par d'autres moyens, les talibans se sont comportés en dignes disciples de Clausewitz. Tout le monde sentait que lorsque les Yankees se lasseraient de dépenser de l'argent en Afghanistan, ils iraient ailleurs – la Chine et la Russie menacent leur domination planétaire – avec leur technologie, leurs bombes, leurs milices privées. Ils ont toujours fait de même. Que foutait tout ce beau monde en Afghanistan ? Ils y étaient aussi étrangers et envahisseurs que l'avaient été les Soviétiques ou les Anglais. Anglais et Russes se battaient sans drones et sans les merveilles de la technologie d’aujourd’hui. Si l'empire britannique et la non moins impériale URSS avaient été battus, quel résultait pouvait attendre l'Amérique décadente, corrompue, avec sa panoplie humanitaire, ses ONGs à la con, ses droits de l'homme sur mesure, son armée de genre, homomatriarcale, transsexuelle et féministe ? La popularité des talibans auprès de la majorité de la population est un fait, tout comme les Vietcong l'étaient chez les Sud-Vietnamiens. Une armée ne contrôle pas facilement un pays sans un soutien massif de la population et si les Afghans veulent de la charia et du Coran partout chez eux, grand bien leur fasse. Nos sociétés de robots, de culture de la mort, de déracinement et d'extinction nationale sont-elles meilleures ? Après l'étalage d'impuissance et d'imbécillité fait par les Etats-Unis, comment s’étonner qu’ils soient désormais considérés les pires alliés au monde ? Le Shah d'Iran, ou Saddam Hussein, par exemple, en savent quelque chose. Nos « amis », selon le dogme hollywoodien de ces quatre-vingts dernières années, qui veut toujours faire des Américains nos protecteurs à vie, n’étaient qu’un leurre et la défaite de l’automate-président Biden confirme que le mondialisme peut être vaincu par les armes. « En même temps », il est ahurissant de voir comment les mêmes qui encouragent l'islamisation et l'africanisation de l'Europe se lamentent sur l'entrée des talibans à Kaboul.

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« Soir. Après une journée passée à relire, par-ci, par-là, un peu de Joseph de Maistre, je m'offre une grosse émotion en lisant dans Libé un fait divers parfait, LE fait divers, la métaphore absolue, la cellule-mère explicative de toute la décennie. Enfin ! Ça s'est passé, paraît-il, en août dernier, dans un train anglais. Un type et une fille commencent par baiser tranquillement devant les autres voyageurs. Ceux-ci ne disent rien, ne protestent pas. L'étreinte se termine. Et les deux amants allument une cigarette. Là, brusquement, c'est la fureur unanime. L'outrage ! Le scandale ! Compartiment no smoking ! Qu'ils se soient enfilés, d'accord ; mais qu'ensuite ils jouissent de se nicotiniser, alors là c'est pas possible ! Les autres passagers vont chercher le contrôleur. Et celui-ci verbalise. » 

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« Un des enjeux centraux des rivalités littéraires est le monopole de la légitimité littéraire, c'est-à-dire, entre autres choses, le monopole du pouvoir de dire avec autorité qui est autorisé à se dire écrivain ou même à dire qui est écrivain et qui a autorité pour dire qui est écrivain. » À l'inverse d'autres siècles, le XVII par exemple, où les écrivains les plus respectés par leurs pairs étaient aussi ceux qui recevaient le plus de considération (pensions, bénéfices), à la fin du XIXe la hiérarchie se renverse, le succès commercial va à ceux que leurs pairs méprisent le plus. Les écrivains viennent d'assister à la montée des parvenus du Second Empire, à l'apparition d'hommes d'affaires incultes faisant main basse sur l'État et la presse. Pour s'acquérir une légitimité que son image d'imposteur compromet, l'Empereur multiplie les fêtes où il convie les éléments les plus conformistes du monde culturel. L'intellectuel, ou l'écrivain, se retrouve devant deux voies de subordination : 1° Au marché (tirage, chiffres de vente) ou aux médias (postes dans la presse, dans l'édition); 2° Au pouvoir politique (mécénat d'État; pensions, charges, distinctions). « Faire le champ », comme dit Bourdieu, ou être « fait par les forces du champ » ? Flaubert ou Maxime Du Camp ? Plus on s'imagine candidement libre, bien entendu, plus on est fait, et comme un rat, par un « champ» où règnent « libertés sous contrainte » et potentialités objectives ». Univers tout aussi fini que les autres, dont seule la connaissance précise peut donner l'espoir de le maîtriser. Bourdieu a une autre belle expression : les best-sellers sans lendemain. Ça me rappelle ma Chimère, éloge continu des aventures sans lendemain contre les lendemains sans aventures. En somme: Bérénice et le commun des mortels veulent des lendemains sans aventures et des best-sellers sans lendemain ; Parneix, moi, quelques autres, veulent le contraire : des aventures sans lendemain et des lendemains sans best-sellers.

Philippe Muray, Ultima Necat IV

 

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