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mardi 28 janvier 2014

Début de formation Atelier CLES 2014



Début de formation Atelier CLES 2014 
Nous (re)mettons en marche demain la cinquième édition de la formation pour développer des compétences linguistiques au supérieur autour d'un axe triple : facilitation, remédiation, veille.
Les mails fusent pour savoir exactement si on va beaucoup souffrir ou si le programme sera, au contraire, orienté vers des activités "faciles à digérer"... 
Du coup, je rassure les non-initiés quant à l'ambiance détendue et l'efficacité du travail, les invitant à écouter en guise d’apéritif ce passage classique de Mort à crédit... le certificat d'études, lu par Arletty.



Le matin du certificat, ma mère a fermé sa boutique pour pouvoir mieux m'encourager. Ça se passait à la Communale près de Saint-Germain l'Auxerrois dans le préau même. Elle me recommandait en route d'avoir bien confiance en moi-même. Le moment était solennel, elle pensait à Caroline, ça la faisait encore pleurnicher...

Tout autour du Palais-Royal, elle m'a fait réciter mes Fables et la liste des Départements... À huit heures juste, devant la grille, nous étions là, qu'on nous inscrive. Y avait du soin dans les habits, tous les mômes étaient décrottés, mais énervés au possible, les mères aussi.

Y a eu d'abord la dictée, ensuite des problèmes. C'était pas très difficile, je me souviens, y avait qu'à copier. On faisait, nous, partie des refusés de l'automne, de la session précédente. Pour presque tous c'était tragique... Qui voulaient devenir apprentis... À l'oral, je suis tombé très bien, sur un bonhomme tout corpulent, qu' avait des verrues plein son nez. Il portait une grande lavallière, un peu dans le genre de l'oncle Arthur, c'était pourtant pas un artiste... Pharmacien qu'il avait été, rue Gomboust. Y a des personnes qui le connaissaient. Il m' a posé deux questions à propos des plantes... Ça je ne savais pas du tout... Il s' est répondu à lui-même... J'étais bien confus. Alors il m'a demandé la distance entre le soleil et la lune et puis la terre et l'autre côté... Je n'osais pas trop m'avancer... il a fallu qu'il me repêche. Sur la question des saisons je savais un petit peu mieux. J'ai marmonné des choses vagues... Vrai il était pas exigeant... Il finissait tout à ma place.

Alors il m'a posé la question sur ce que j'allais faire dans l'avenir, si j'avais un Certificat ?

«Je vais entrer, que j' ai dit lâchement, dans le commerce.

– C'est dur le commerce mon petit! ... qu'il m'a répondu... Vous pourriez peut-être encore attendre?... Peut-être encore une autre année?...»

Il devait pas me trouver costaud... Du coup j'ai cru que j'étais collé... Je pensais au retour à la maison, au drame que j'allais déclencher... Je sentais monter un vertige... Je croyais que j'allais défaillir, tellement que je me sentais battre... Je me suis raccroché... Le vieux il m' a vu pâlir...

«Mais non mon petit ! Qu'il me fait, rassurez-vous donc ! Tout ça n' a pas d'importance ! Moi je vais vous recevoir ! Vous y entrerez dans la vie ! Puisque vous y tenez tant que ça !»

J'ai été me rasseoir sur le banc, à distance, en face du mur ! ... J'étais quand même bouleversé. Je me demandais si c'était pas un mensonge commode... Pour se débarrasser. Ma mère était devant l'église sur la petite place, elle attendait les résultats...

C'était pas fini pour tout le monde... Il restait des mômes... Je les voyais les autres à présent. Ils bafouillaient leurs confidences, par-dessus le tapis... la carte de France, les continents...

Depuis qu'il m'avait dit ces mots à propos d'entrer dans la vie, je les regardais les petits compagnons, comme si jamais je les avais vus... L'angoisse d'être reçus, les coinçait tous contre la table, ils se tortillaient comme dans un piège.

C'était ça rentrer dans la vie? Ils essayaient dans l'instant même, de s'arrêter d'être que des mômes... Ils faisaient des efforts de figure, pour déjà prendre des allures d'hommes...

On se ressemblait tous à peu près, comme ça vêtus, en tablier, c'étaient des enfants comme moi, de petits commerçants du centre, des façonniers, des «bazars»... ils étaient tous assez chétifs... ils s'écarquillaient les mirettes, ils en haletaient comme des petits clebs, dans l'effort de répondre au vieux...

Les parents le long de la muraille, ils surveillaient la procédure... Ils jetaient les regards vers leurs moutards, des coups de châsses carabinés, des ondes à leur couper la chique.

Les gosses, ils se gouraient à tout coup... ils se ratatinaient davantage... Le vieux il était inlassable... Il répondait pour tout le monde... C'était la session des crétins... Les mères s'empourpraient à mesure... Elles menaçaient de mille raclées... Ça sentait le massacre dans la piaule... Enfin tous les mômes y ont passé... Il restait plus que le palmarès... C'était le plus beau du miracle ! ... Tout le monde était reçu finalement! L'inspecteur d'académie l'a proclamé sur l'estrade... Il avait un bide à chaîne, une grosse breloque qui sautillait entre chaque phrase. Il bafouillait un petit peu, il s'est gouré dans tous les noms... Ça n'avait aucune importance...

Il a profité de l'occasion pour prononcer quelques paroles tout à fait aimables... et très cordiales... très encourageantes... Il nous a bien assuré, que si on se conduisait plus tard dans la vie, dans l'existence, d'une façon aussi valeureuse, on pouvait être bien tranquilles, qu'on serait sûrement récompensés.

J'avais pissé dans ma culotte et recaqué énormément. J'avais du mal à me bouger. J'étais pas le seul. Tous les enfants allaient de travers. Mais ma mère a bien senti l'odeur, en même temps qu'elle m'étreignait... j'étais tellement infectieux, qu' il a fallu qu'on se dépêche. On a pas pu dire «au-revoir» aux petits copains... Les études étaient terminées... Pour rentrer encore plus vite on a pris un fiacre...

On a fait pourtant courant d'air... C'étaient des drôles de carreaux qui branlaient tout le long du chemin. Elle a reparlé de Caroline. «Comme elle aurait été heureuse de te voir réussir!... Ah ! si elle a une double vue ! ...»

Mon père attendait au premier étage, tous feux éteints, les résultats... il avait rentré tout seul l'étalage, les lustres, tellement qu'il était frémissant... «Auguste! Il est reçu !... Tu m'entends? ... Il est reçu! Il a passé facilement !»

Il m'a accueilli à bras ouverts... Il a rallumé pour me voir. Il me regardait affectueusement. Il était ému au possible... Toute sa moustache tremblotait...

«Ça c'est bien mon petit ! Tu nous as donné bien du mal! ... À présent je te félicite! ... Tu vas entrer dans la vie! ... L'avenir est à toi! ... Si tu sais prendre le bon exemple! ... Suivre le droit chemin ! ... Travailler ! ... Peiner ! ...»

Je lui ai demandé bien pardon d'avoir été toujours méchant. Je l'ai embrassé de bon coeur... Seulement j'empestais si fort, qu'il s'est mis à renifler...

«Ah ! Comment ? qu' il m'a repoussé... Ah ! le cochon ! ... le petit sagouin ! ... Mais il est tout rempli de merde !... Ah ! Clémence ! Clémence !... Emmène-le là-haut, je t'en prie ! ... Je vais encore me mettre en colère ! Il est écœurant ! ...» Ce fut la fin des effusions...

On m'a nettoyé tant et plus, on m'a enduit d'eau de Cologne.

Le lendemain, on s'est mis en quête d' une maison réellement sérieuse pour que je commence dans le commerce. Une place même un peu sévère, où on ne me laisserait rien passer.

Pour bien apprendre, il faut que ça barde ! Telle était l'opinion d'Édouard. Il avait vingt ans de références. Tout le monde était de son avis.

(Céline, Romans I, Mort à crédit, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, 1981, pp. 631-634)

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