
Perte du sens esthétique et culte de la
laideur. Des « créateurs »
(?) dans divers domaines utilisent des méthodes de travail qu'ils se plaisent à
qualifier de libres, mais dont la liberté consiste surtout en
l'absence de toute règle, de toute intelligence ordonnatrice, de toute
finalité. L'instinct, comme dans tant d'autres professions, dont certaines sont
plus importantes que le « travail artistique », semble guider ces
gens. Pour aller où ? S’ils l’ignorent, sans doute, Dieu le saura !
L'insouciance et la paresse intellectuelle d'un grand nombre de ces « créateurs
» ont atteint un tel degré qu'ils ne connaissent même pas les règles
conventionnelles de chaque branche, qui gouvernent strictement chaque
corporation, le travail modeste et respectable des « artisans » reconnus par la
tradition qui les ont précédés dans le passé. Ils croient ainsi violer des
règles qu'ils ne connaissent même pas. Comportement ridicule quand il n’est pas
toxique. Tout cela n’est possible que grâce à la lâcheté et à l’inculture des
journalistes, surtout des journalistes « culturels », à la démission du monde
enseignant, à l’arrogance vide des bourgeois cultivés, aux victimes du
simulacre lexical généralisé, bourrées de clichés, qui se marient parfaitement avec
l’hologramme idéal que l’univers américanisé se fait de lui-même.
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« La gauche et la droite / S'insultent et
se battent / Et retour à la case départ … » (Jacques Revaux / Michel Sardou / Pierre Delanoë).
Depuis le 28 août 1789 et le choix des députés de se placer à droite ou à
gauche de la tribune pour voter pour ou contre le maintien du droit de veto du
roi, tout a changé considérablement. Les programmes de gauche et de droite se
sont quasiment croisés sur certains sujets, parfois retournés à front renversé.
Certains s’accrochent mordicus à ce clivage et ces mots magiques et pour eux,
la gauche est gage de toutes les qualités humaines, toutes les « valeurs ». Cela
n’a aucun sens et ne devrait intéresser personne pour ce qui est de la
littérature. Un écrivain doit démontrer par son écriture qu’il a le pouvoir de
voir et saisir le monde, de savoir l’appréhender et s’y inclure, instant par
instant, de chemin caillouteux en pré sauvage. C’est un don, un de ceux que les
plus riches au monde ne possèdent pas forcément, et ils le savent bien. Gauche
ou droite, on s’en fout si on est capable de faire voir qu’on a le don d’écrire. Un
œil, relié à un cerveau, commandant une langue : une grâce. Une énième
injustice en ce bas-monde qu’aucun égalitarisme ne nivellera jamais : certains
ont une finesse d’esprit, de vision et de langue que d’autres n’ont pas. Une
pesée des mots plus subtile, plus efficace. L’éducation n’y peut quasi-rien :
ces choses ne s’apprennent pas. On peut apprendre à conjuguer à l’école,
retenir ou inventer de bonnes histoires, apprendre à formater ses chapitres
dans un Master : il s’agit d’autre chose. Au-delà surtout des clivages des politicards. Céline,
par exemple, est classé à l’extrême-droite. Pourtant, un contresens. D’une part
parce qu’il a mené une vie de prolétaire, médecin des pauvres et banlieusard,
d’origine plus que modeste. D’autre part parce qu’il a démantibulé le français comme
aucun jeune de gauche n’oserait, ou ne saurait le faire, aujourd’hui. Destruction
constructrice pour mieux restituer le flux chaotique de la parole humaine la
plus populaire, les mots qu’on prononce réellement, pas ceux des discours
officiels. Ceux des sans statut, sans argent, sans poids, sans prix, sans
parole. C. Angot, en revanche, serait de gauche (rires), mais elle n’a pas le
don d’écrire.
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L’indigeste PSOE n’est pas, n’a jamais été,
un ennemi de l’État « israélien » et encore moins de ses multiples relais
mondiaux. Son soutien aux Palestiniens est du flan pour détourner les soupçons
de ce qu’il est réellement. Comme par rapport à la Russie. On n’a pas le droit
de dire qu’il se détourne des injustices de ce monde, le parti socialiste. Il
en voit aussi les rouages, conséquence des rapports de classe et de production.
Hors discussion, donc, son intérêt bien pesé pour les grandes causes, les
petitesses des Méchants sans cœur, sans optimisme, la grandeur morale des Gentils,
comme par hasard ses votants, qu’il se plait à appeler ses « militants »,
pour les choyer. Pas dupe, le parti sanchiste ! Et d’une honnêteté à toute
épreuve. À condition qu’on renonce à délimiter exactement le périmètre de sa
vertu.
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Nostalgie des cloches. Nous vivons tous collés devant les écrans
de nos portables, tous enfermés avec nos ordinateurs mais les gens, les heures,
les jours ne sont pas identiques. Ni les mois, ni les saisons. De la nouvelle
passerelle en bois qui longe la Bidassoa sous le pont international, j’entends
sonner les cloches de l’église du Juncal (la Joncheraie) et je remémore en une
seconde le son, que je garde enfoncé dans le crâne, des clochettes au moment de
la Consécration. Qu’on ne vienne pas me balancer là-dedans que c’est très ringard
et « tradi » ! J’ai été enfant de chœur et, donc, servi la messe,
sans jamais avoir pensé qu’il s’agissait, là, d’une page de mon enfance
définitivement tournée. Les cloches ne sonnent pratiquement plus. Elles
emmerdent le voisinage. Et les touristes, réveillés sans raison et incapables
de se rendormir. Elles ne sonnaient pas pendant la pandémie. Qui pourrait
« croire aux cloches », à ce qu’elles puissent signifier, représenter
quelque chose encore aujourd’hui ? Tout comme les vieux lieux de culte
chrétien, les nobles églises et vénérables paroisses qui organisaient et
protégeaient les vieilles communautés. Avec leurs clochers et leurs cloches.
Qui pouvaient sonner, à l’occasion, pour rameuter les villageois. Pour marquer
les heures. Pour organiser le rythme de travail et de vie. Temples démolis, cloches
que les révolutions ont fondues pour en faire des fusils, des balles et des canons.
Voix que la mort et la torture ont fait taire en tant qu’ennemis du Progrès
et des Lumières : les voix de la prière, de la louange, de la pénitence,
de l'adoration, de l'oubli.

Malgré les oreilles profanes d’aujourd’hui, les
tintements des cloches n’étaient pas tous les mêmes. Leurs prières magnifiques,
spécifiques et précises, ont cessé de parvenir à nos oreilles dinanzi
all'incerto disegno dei Fati. Caprices de l’Histoire. Tout un mode de vie
jeté au feu au nom du Progrès et des Lumières. Aujourd'hui, les
sons des dernières cloches retentissent encore en échos lointains et flétris (« J’entends l’écho flétri / D’un dernier son
de cloche »). Le
sens de ces appels s'est dissous dans le bruit, dans le sale désordre qui a
écrasé les peuples, les rites et les vies. Au nom du Progrès et des Lumières.
Des Siècles des Lumières ! Des droits de l'homme ! Les meilleurs
lance-flammes pour carboniser la mémoire souffrante des martyrs. Les cloches
qui diffusaient au loin la Parole fraîche, vibrante et riche de sens, sont
mortes. Elles sont tombées en sonnant, apaisant les voix enfouies qui sont
maintenant de purs nuages cachés dans l'air. Nos vieilles églises portaient la Parole
d'un temps qui voulait encore être interprété. Leurs cloches appelaient chaque
foyer depuis un Signe, un lieu de refuge fidèle pour les périodes
hostiles d'angoisse ou d'abandon, un port de repos sollicité en cas de
naufrage. Un toit pour les choses et les gens, avec des draps chauds, du pain
et tant d'heures au coin du feu. Aujourd'hui, de chaque clocher, ne vient que
le grognement obstiné du Progrès sans Lumières, le grognement des
porcs violents et sauvages que nous devons engraisser pour qu'ils puissent organiser
tranquillement notre propre abattage, tranquillement repus, embusqués dans
leurs gouvernements, leurs conseils d’administration et leurs tribunaux de
garanties ... Nous, commun des mortels, en attente des sabres tranchants qui réclameront
bientôt nos cous, tremblant des peurs d'antan si longtemps ignorées. La guerre
reprendra. Et encore des carnages et des incendies. Sans temples où s’abriter
ni cloches protectrices. Ce qui rendait l’homme humain, depuis des siècles,
n'est plus qu'un souvenir ou un déchet touristique : aujourd'hui, au nom du Progrès
et des Lumières, de sensibles lames de boucher transpercent nos doux
rêves. Des lames durables, bien entendu. Résilientes, éveillées, réveillées, woke
et cancel cent pour cent ! Et tout le monde heureux, les yeux asséchés.
Jouissant sans complexe, dociles et complaisants sans le moindre murmure,
sourds, muets, héritiers méritants d’un vrai regnum caecorum qu’on aura
fabriqué sans même y prêter attention. 
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