Une manipulation malhabile des messages
Gmail m’a fait en éliminer des dizaines soigneusement conservés depuis des
années. Des échanges avec des amies que j’aime toujours bien ou qu’il m’avait
été donné d’aimer et avec qui, pour des raisons diverses, j’avais interrompu
tout contact… De ISU, tout volatilisé ! Élève d’une rare conscience
professionnelle, déjà adulte et vaccinée comme on dit. Elle avait traversé pas
mal de tornades dans sa vie. Sa licence en poche, par le plus grand des
hasards, on a partagé le même bureau de la fac de lettres. Elle était contente !
Elle assurait des cours de littérature et se projetait dans un avenir prometteur.
Comme elle était incapable de garder la langue dans sa poche, elle a rapidement
été la victime de la hargne stupide d’une bigote qui dirigeait (?) le département sous la tutelle d’un savant
cyclotymique qui se prenait pour l’incarnation vivante du talent et du génie, victime lui-même dans le passé du tandem de mégères qui faisaient et
défaisaient à leur guise dans le pathétique panier de crabes qu’elles croyaient
centre de l’univers… Lors d’une saisie de notes de devoirs corrigés, elle a eu des
problèmes de connexion : mot de passe incorrect à plusieurs reprises. Du
coup, elle apprend que l’arrêt de travail pour maladie du despote libertaire dont elle assurait le remplacement a brusquement
pris fin sans préavis et sans qu’on se donne la peine de lui souffler le
moindre mot. Gentils, à la direction collégiale
du département : petits dans la conduite des affaires courantes, très très
grands, de vrais géants, immenses, dans la bassesse…
Perdue également, l’intégralité des textes
échangés avec NB. J'écarte toute possibilité de renouer le contact avec elle,
pour récupérer l’essentiel. Elle a changé d’amitiés et sans doute d’alliances, ce
qui libère de la besogne de la gratitude. Soutenance oblige et, je comprends,
c’est son droit. On n’a pas à le discuter. Du coup, son estime envers moi,
témoignée à plusieurs reprises, s’est rétrécie : l’intelligence correcte
de sa situation actuelle n’a plus besoin d’émotions percées des flèches du
souvenir… Un jour, j’avais cru mériter sa confiance, je sais pertinemment en
tapant ces lignes que je n’ai ni sa confiance ni son cœur. « L’on peut,
écrivait l’auteur des Caractères, avoir
la confiance de quelqu’un sans en avoir le cœur : celui qui a le cœur n’a
pas besoin de révélations ou de confiance ; tout lui est ouvert. »

Mais là où je me vois, atterré, comme dans
un jardin dans lequel on aurait abattu les plus beaux arbres, juste ceux qui
faisaient partie de ma mémoire et qui dépolluaient – à chaque relecture – des
parties de mon chagrin, c’est dans le vide laissé par la disparition des
messages, lettres, missives, courriers de FAR. Amie des années de jeunesse,
toujours prête à rendre service. Collègue, tant d’années après, dotée d’une
incroyable capacité de respect, dans la mare pourrie de notre métier, frappé de
la condamnation éternelle de la haine d’autrui. Longtemps attachée à l’œuvre et
à la personne du poète A. Pardo (aristocratie du cœur !), elle m’adressait
il y a quelques mois des mots de remerciement pour avoir restitué en espagnol
comestible un article écrit en basque ressuscitant les vertus originelles de
son travail poétique, après l’attribution d’un prix important. La tentation
était grande de croire aux figures imaginaires des qualités qu’elle m’y
attribuait.
Désormais, je devrais m'infliger la
pénitence de restituer de mémoire les expressions d’affection de chaque mail
perdu… s’impose alors, la phrase d’Yves Bonnefoy : « Il n’y a pas de
passé dans ce moment qui s’achève. »