
Je déteste rédiger des légendes pour chaque photo. Mes propres pas pourraient
l’être. Je marche durant quelques heures, démarche extrêmement facile et peu
exigeante, en regardant d’autres personnes et sans m’arrêter de méditer aux
gens qui marchent autrement, en pèlerins, vers quelque part. Pour s’imprégner
de l’énergie qui se dégage de leurs propres traces. Nous visitons des musées.
Le temps de chaque visite se perd inexorablement dans la masse d’informations
(audio-guides, étiquettes, panneaux, pancartes, écrans …) fournies pour chaque
objet qui, par culture interposée, finit noyé dans le néant … Dehors, souvent, promenade
impossible. Trottoirs envahis par toute sorte d’engins à deux roues, des
monstres dessus. Mobilier urbain ridicule. Publicités moches à en vomir.
Épandage excrémentiel, symptôme plutôt de la qualité des propriétaires que des
animaux. Espaces urbains devenus mesquins où toute promenade reste interdite et
la moindre tentative de conversation impossible.
Je pense souvent à la rue
Sainte-Catherine de Bordeaux, cette réserve à piétons-consommateurs où tout
n’est que fatalité économique : des foules coulent et s’accélèrent au fil
des heures chaque jour pour le bonheur des boutiques et des magasins, ce n’est
même pas urbain : c’est un décor. Des millions de visiteurs par an, déversés
par les bus gros-porteurs pour consommer, se restaurer, acheter. La ville
devenue vidéo-clip d’elle-même. Nous-mêmes devenus des clips.
… / …
La politique est plus spectacle que jamais grâce à la télé, c’est
l’envahissement des « débats ». C’est quand même inquiétant qu’il y
ait un public enthousiaste, persuadé qu’il participe à une entreprise citoyenne
quand il regarde des gens qui rivalisent pour faire des mots avec l’actualité
minable. C’est la guerre des tranchées. On tire à vue sur tout ce qui dépasse,
confortablement installés dans la boue dialectique. Vous êtes des nôtres ?
[1] Lors de notre visite à plusieurs villes allemandes, très
particulièrement à Berlin et à Dresde, j’ai projeté à mes proches, en
surimpression, ce que j’avais « vu » sur des centaines de photos et
de films, des tonnes de bombes au phosphore sur des villes fantasmagoriques
dont les bâtiments, les voitures, les églises, les champs et les gens
déchiquetés se diluaient dans d’immenses océans de flammes … Tout était pourtant
là, devant nos yeux, mais il y en avait qui ne « voyaient » rien. Les
« visions » que j’avais bien eues avaient disparu. Les années
écoulées avaient modifié le décor, seules demeuraient les images, cosa mentale…